La semaine dernière, c’était la rentrée pour des millions d’enfants qui ont rejoint les bancs de l’école. Cependant, beaucoup d’enfants en situation de handicap n’ont pas eu accès à l’accompagnement humain et structurel dont ils ont besoin pour s’épanouir. L’association Unapei341 renouvelle ce constat à l’occasion de sa conférence à Montpellier, réunissant associations, institutionnels, presse et familles.


 

Si l’éducation est un droit, ne pas y avoir accès constitue une privation d’une liberté fondamentale, ainsi qu’un danger sur le plan éducatif, que l’on soit handicapé ou non. En effet, les enfants non scolarisés ne peuvent pas apprendre des autres, ni de leur environnement. Ces mauvais départs dans la vie laissent des traces. Une prise en charge tardive rend l’émancipation de l’adulte en construction parfois impossible.

 

Donnons la parole aux parents venus témoigner

Submergé par l’émotion, un père saisit le micro pour expliquer que son fils redouble la maternelle et est sur liste d’attente d’une IME2 depuis 3 ans sans aucun retour. « Pourquoi ne reçoivent-ils pas les familles ? Pourquoi ne communiquent-ils pas sur les délais, même si c’est négatif ? N’y a-t-il pas de considération humaine ? » Ne trouvant pas d’autres solutions, il s’est déplacé accompagné de son fils pour tenter de pallier au silence. Ils n’ont pas été reçus d’une autre manière que par la directrice de l’IME qui les a menacé à travers l’interphone d’appeler la police s’ils ne partaient pas. Ce père de famille confie également avoir dû lui-même payer une formation au langage des signes à l’AESH3 attribuée à son fils pour qu’elle puisse avoir au minimum les moyens de s’adapter à son handicap. Après quoi, on a voulu la lui retirer et il s’est battu en menaçant de médiatiser l’affaire pour la conserver. Ce parent a décidé de porter plainte, mais a conscience qu’un recours collectif a plus de chances d’avoir un impact. Cependant, il est souvent plus facile de mettre en place plusieurs actions individuelles en même temps qu’un recours collectif qui nécessite que les familles se mobilisent simultanément sur la durée (ce qui est difficile avec le quotidien des enfants).

Par la suite, une mère a le courage de prendre la parole pour partager ses craintes. Sa fille de 12 ans est scolarisée dans une classe ULIS4 en CM2. Elle est censée bénéficier de dix-huit heures par semaine, mais les possibilités du dispositif ne lui permettent d’assister qu’à trois heures de cours hebdomadaire. C’est la cinquième année qu’elle est sur liste d’attente pour une IME5. « Où sera ma fille l’année prochaine ? Va-t-elle avoir accès au collège ? Et même si c’était le cas, en aura-t-elle les capacités ? »

Enfin, une mère monoparentale décide d’intervenir pour signaler les inégalités que ces situations exacerbent. Elle souligne la chance qu’elle a d’avoir fait des études de droit et d’avoir sa mère qui vient d’arriver à la retraite mais qui a la volonté de l’aider à s’occuper de son enfant. Elle est pourtant contrainte de travailler à mi-temps. La situation est plus ou moins difficile en fonction de la connaissance que l’on a de ses droits, de l’accès à la presse, de l’héritage de moyens financiers, de la monoparentalité, du soulagement des parents par d’autres membres de la famille habitant à proximité, etc. « J’ai engagé un avocat pour faire reconnaître à l’État ses manquements. »

Ces situations défavorables ajoutent également des difficultés supplémentaires aux membres des familles : les frères et sœurs éventuels et le couple de parents, s’il y en a un. De plus, si les parents doivent remplacer l’école et l’AESH, il devient difficile, voire impossible, de se déplacer hors du foyer et donc également de garder son travail. Une enquête menée en 2023 a montré que 41 % des parents dont les enfants sont en situation de handicap sont à temps partiel. Ainsi pour s’occuper de leurs enfants, les familles se retrouvent non seulement surchargées de démarches administratives, mais aussi dans la précarité.

 

Les associations doivent coopérer face au mur politique

Alors que le paysage politique est chahuté depuis plusieurs années, des enfants grandissent sans être scolarisés. L’éducation et la politique sociale ne font pas partie des priorités du gouvernement qui se concentre plutôt sur les coupes budgétaires. Pourtant, permettre un bon accompagnement aux enfants en situation de handicap, c’est-à-dire avec des actions effectives, pérennes et sans interruptions, n’est pas plus coûteux que le suivi de démarches administratives et les aides allouées aux membres de la famille sur des années. Quant aux changements de gouvernement successifs, ils freinent l’adoption de mesures durables. Le plan « 50 000 solutions », annoncé en 2023, pour améliorer d’ici 2030 l’accompagnement des personnes en situation de handicap qui n’ont pas de réponse adaptée à leurs besoins avance à un rythme désespérément long. Bien que les personnes en situation de handicap aient le droit de vote, leur voix n’est pas entendue.
« L’État doit investir dans le handicap car c’est son rôle de ne pas abandonner les personnes vulnérables », font valoir les représentants de l’Unapei. Dans les faits, en 2023, l’État français a été condamné par le Comité européen des droits sociaux pour violation de nombreux articles de la Charte sociale tels que l’intégration sociale, l’accessibilité et la participation, l’inclusion scolaire, l’accès aux soins ou encore la protection de la famille.

Des associations tentent de coopérer pour accompagner les familles malgré des moyens de plus en plus restreints.

L’ADDENA (Association de Défense des Droits des Enfants et des Adolescents) à Montpellier6 propose des services gratuits visant à aider les familles à constituer des dossiers de recours administratifs et de demande de réparation lorsque la scolarisation ou la prise en charge ne suit pas les notifications de MDPH7. Depuis l’année dernière l’ADDENA a déposé une dizaine de recours au tribunal administratif. Elle chiffre les préjudices pour tous les membres de la famille et attaque l’État pour qu’il reverse des dommages et intérêts à défaut d’avoir permis aux parents de scolariser leur.s enfant.s.

L’Unapei et d’autres associations ayant des assistantes sociales peuvent aider à constituer un dossier PCH8 destiné à rembourser les frais liés à la perte d’autonomie d’une personne en situation de handicap (c’est le cas par exemple d’un avancement de frais pour couvrir la formation aux langage des signes d’une AESH).

Des associations comme APSH34 (Association pour personnes en situation de handicap de l’Hérault) possèdent des facilitateurs de parcours qui réfléchissent avec les enfants et leurs familles à la construction d’un projet de vie (pas uniquement basé sur le plan médical) en tenant compte des réalités du terrain, des besoins et des désirs.

L’Espace Épanoui à Baillargues et à Toulouse sont des centres privés destinés aux jeunes en situation de handicap entre 0 et 20 ans pour favoriser leur développement et épanouissement avec un environnement adapté et des activités variées pour tenter de combler les lacunes des prises en charge traditionnelles.

Face à un État défaillant, ce sont les associations qui tentent de garantir aux enfants en situation de handicap un avenir digne. Le handicap ne relève pas d’un problème à résoudre, mais d’un projet de société à construire. Il ne revient pas aux seules familles concernées de relever le défi de l’inclusion.

Sapho DINH


 

Une enquête accablante de l’Unapei

Selon Bernard Dessimoulie, président de l’association Unapei34 : « Dans l’Hérault, 700 enfants en situation de handicap se sont retrouvés sans scolarisation ni accompagnement adapté. » 300 enfants sont également sur la liste d’attente de leurs IME. Si la région Occitanie est particulièrement en difficulté, ce n’est pas la seule.

La vice présidente de Unapei au niveau national, Sonia Ahéhéhinnou, souligne l’intérêt des pouvoirs publics et de la presse pour les chiffres avant celui de l’accompagnement des familles. Pour favoriser la visibilité et l’efficacité de ses actions, l’Unapei a dû élargir ses fonctions avec le lancement de la campagne de mobilisation citoyenne « J’ai pas école… mais j’y ai droit ! ».

Leur enquête auprès des associations et des établissements alerte sur le fait que les enfants en situation de handicap intellectuel, qui ne sont pas ou peu scolarisés, ne sont pas des cas marginaux. De plus, ils ne sont souvent que partiellement scolarisés, avec un nombre d’heures réduit. Sur un panel de 3 603 enfants du réseau Unapei ayant entre 3 et 16 ans :

  • 13 % n’ont aucune heure de scolarisation par semaine.

  • 38 % ont entre 0 et 6 heures par semaine.

  • 30 % ont entre 6 et 12 heures par semaine.

  • 19 % ont plus de 12 heures par semaine.

En juillet 2025, 65 % sont invisibles aux yeux de l’Éducation nationale, car dépourvus de numéro INE9.

4 410 enfants sont sur liste d’attente dans les 38 associations Unapei, ce qui représente un chiffre plus important que ceux inscrits, même partiellement.

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Notes:

  1. L’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis est une fédération française créée en 1960 qui œuvre pour la défense des droits et l’inclusion des personnes en situation de handicap intellectuel ou avec troubles du neurodéveloppement, ainsi que le soutien à leurs familles.
  2. Un Institut Médico-Éducatif est un établissement médico-social qui accueille des enfants et adolescents en situation de handicap intellectuel, afin de leur offrir un accompagnement éducatif, pédagogique et thérapeutique adapté à leurs besoins.
  3. Un·e AESH (Accompagnant·e des Élèves en Situation de Handicap) est un personnel de l’Éducation nationale chargé d’assister les élèves en situation de handicap dans leur vie scolaire, afin de favoriser leur autonomie et leur inclusion. Cependant, c’est un métier très dévalorisé, souvent exercé par des femmes, et sous-payé. Au-delà du fait que les enseignants soient impuissants face à leurs classes surchargées, les AESH doivent souvent accompagner tous les élèves en situation de handicap de l’établissement à la fois, alors que ces derniers auraient besoin d’un suivi individualisé et présentent des profils de handicap très différents. Concrètement, les prescriptions ne sont pas toujours suivies d’effets.
  4. Une classe ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire) est un dispositif au sein d’un établissement scolaire qui permet à des élèves en situation de handicap de suivre une scolarité adaptée, tout en favorisant leur inclusion dans certaines activités avec les autres élèves.
  5. En théorie, les IME ont un délai d’attente de 1 à 5 ans.
  6. L’ADDENA est une association dont le président est un pédopsychiatre du CHU de Montpellier, accompagné de juristes, avocats et d’une assistante sociale. Elle a pour mission de défendre les droits des enfants et adolescents présentant un trouble du neurodéveloppement.
  7. La Maison Départementale des Personnes Handicapées est un organisme public présent dans chaque département chargé d’accueillir, informer, accompagner et orienter les personnes en situation de handicap ainsi que leurs familles. Elle évalue les besoins liés au handicap, attribue les aides et prestations et délivre des notifications officielles pour organiser la prise en charge.
  8. Une demande de Prestation de Compensation du Handicap est une aide financière versée par la MDPH. La PCH peut couvrir des aides humaines (accompagnement par un AESH ou un aidant familial), techniques (fauteuil, ordinateur adapté), ou encore des aménagements (voiture, logement).
  9. Le numéro d’Identifiant National Élève est en théorie attribué par l’Éducation nationale à chaque élève ou étudiant scolarisé en France. Il sert à identifier un élève de manière unique dans les bases de données de l’Éducation nationale et permet de suivre le parcours scolaire de l’élève dans l’ensemble du système éducatif, de l’école primaire à l’université.
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Titulaire d'un master en anthropologie, je me suis penchée sur les questions de migration et de transmission culturelle par le recueil de récits de vie. Mon travail a porté sur les identités vécues de femmes sibériennes. Afin d'ouvrir un dialogue avec les citoyen.ne.s, j'ai par la suite assuré la fonction de médiatrice auprès des publics dans le cadre d'un festival de danse contemporaine réunissant des artistes de différents pays d'Europe de l'Est. La pratique journalistique répond à mon désir de découverte, de partage, de réflexion commune pour rendre visible en usant de différents supports et modes de langage.