Rencontres Musicales Internationales d’Aigues-Vives du 15 au 17 septembre 2023


Maryleen Schiltkamp a étudié l’art à la Rietveld Akademie1 et à la Rijksakademie voor Beeldende Kunsten à Amsterdam2. Elle a exposé dans le monde entier, notamment à New York, Los Angeles, Tokyo, Curaçao, Amsterdam, Saint-Pétersbourg et à Prague, et s’est produite avec la peinture musicale en direct, à l’international. Fascinée par les parallèles visuels entre le mouvement musical, la couleur et le son, elle collabore avec de nombreux musiciens dans des performances d’un type nouveau où elle peint en direct durant un récital, donnant naissance à une œuvre mixte appelée LiveART. Pendant les « Rencontres » elle réalisera en direct une œuvre picturale sur la Sonate pour Alto et Piano de Dimitri Chostakovitch, jouée en live par le Duo Ingolfsson-Stoupel.


 

Maryleen Schiltkamp nous explique le travail de préparation et d’exécution d’une pièce :

« Avec mes collègues musiciens, je me consacre à l’art de la performance en peignant de la musique. Mon objectif est de créer un langage visuel reflétant la musique, d’une manière qui soit spécifique à chaque morceau de musique et qui renforce l’expérience musicale.

De par sa nature, cette nouvelle forme d’art/musique se définit comme un processus, plus que comme un résultat final. La partie la plus intéressante est de voir le processus de création. C’est pourquoi elle existe principalement sous la forme d’une performance en direct dans un théâtre ou une scène expérimentale, et ensuite sous la forme d’enregistrements vidéo.

Pour chaque pièce, j’ai une approche plutôt abstraite, et parfois représentative. En guise de préparation, avant de peindre la musique, j’écoute la musique tout en faisant des dessins avec deux crayons dans une main. Ça donne une forme de relevé sismographique de la dynamique musicale, des moments clés du morceau que je découpe en intervalles de temps. Une fois ce relevé sismographique terminé, je mesure les intervalles de temps du morceau. Je tire des traits, je le divise en minutes. Je fais ainsi ressortir les moments clés du morceau.

 

 

« Relevé sismographique » : Chostakovitch Symphonie n° 4 ; premier mouvement

C’est une étape qui sert de patron au travail final : une étape essentielle qui me permet, quand je peins la musique, d’en avoir physiquement totalement intégré les mouvements.

Mais dans un premier temps je dois mesurer les minutes, la dynamique de la musique, ce qui s’y passe, en dresser une sorte de carte, car pour peindre la musique, le pinceau doit suivre une chorégraphie. Je dois savoir très précisément ce qui se passe, où et quand. Cela implique que je mémorise plus ou moins la musique. Je dois pouvoir me situer dans le morceau et savoir à l’avance où je serai sur la toile. C’est quelque chose qui nécessite beaucoup d’entraînement, comme quand on apprend le piano ou un autre instrument de musique.

La chronologie — un plan des intervalles temporelles — est une partie importante des études. Une fois que j’ai dressé la carte des moments clés du morceau, je me concentre sur eux pour créer un langage visuel en utilisant des symboles ou des mouvements parallèles à ceux de la musique. Le pinceau suit ce mouvement et ça crée ces signes parallèles au mouvement de la musique. J’identifie donc ces différents moments dans le morceau que j’étudie et je les représente par des symboles.

 

 

La chronologie — plan des intervalles temporelles : Chostakovitch Symphonie n° 4 ; troisième mouvement

Quand je suis à ce stade-là, à partir de ces différents éléments, je réalise une composition visuelle durant ce travail préparatoire : j’appelle cela une partition visuelle, et c’est la première traduction visuelle de la musique, ce qui constitue l’ébauche de l’œuvre finale.

Quand je compose l’œuvre dans le cadre de la toile, je passe dans le domaine visuel et à partir de là, mes choix sont guidés également par ce qui fonctionne visuellement et ce qui la rend originale.

 

 

La partition visuelle : Chostakovitch Symphonie n° 4 ; troisième mouvement

Une fois que j’ai l’ébauche de ma partition visuelle, je commence à m’entraîner à plus grande échelle. Je travaille en écoutant la musique, en rythme avec elle, dans mon atelier, et je peins de façon synchrone avec la musique la partition visuelle que j’ai prévue.

Je dois répéter ces gestes pour que ça devienne un réflexe et je dois connaître cette partition de manière intrinsèque. Ça doit être quelque chose que mon bras connaît mieux que moi.

C’est l’étape après avoir étudié les intervalles et les symboles visuels. À partir de là, je dois donner corps à cette musique et la mettre en couleur, et là, on arrive au cœur de la représentation picturale de la musique.

C’est quelque chose qui est planifié, le pinceau suit une chorégraphie, mais ça se produit tellement dans l’instant qu’il y a une part d’improvisation, le résultat diffère à chaque fois.

La peinture a sa propre vie. Les associations peuvent varier. Parfois je suis différente, ou quelque chose se produit sur la toile que je décide de suivre et des choses différentes émergent dans l’instant alors que je peins la musique. Je commence et je m’arrête en même temps que la musique. Et pour moi, c’est souvent une expérience très intense et bouleversante.

 

 

Résultat final : Chostakovitch Symphonie n° 4 ; troisième mouvement

En 1919 l’écrivain T.S. Eliot écrit l’essai La tradition et le talent individuel, où il décrit l’artiste comme véhicule”, comme catalyseur”. L’artiste est là pour permettre la réaction chimique. Il ressort de l’expérience inchangé. C’est comme ça que je vois l’artiste, comme un véhicule, comme un individu au service de cette transmutation. »

recueilli par Alan Mercer

 

 

L’Art de la Symphonie, un film tourné à Prague en 2016, montre la préparation pour, et l’exécution de trois morceaux de la Symphonie n° 4 de Dimitri Chostakovitch, dans un contexte artistique mais aussi géopolitique en vue de l’histoire du pays et des anciens pays « satellites » de l’URSS. Même si la symphonie a dû être retirée en 1936, après la condamnation de l’opéra Lady Macbeth par Staline, et que sa création a dû attendre 25 ans, ici, Chostakovitch appréhende des années de chaos, de supplice et de sang sous les régimes totalitaires partout dans le monde, y compris l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 par les troupes soviétiques. Voici la bande annonce du film :

 

 

 

Altermidi est partenaire des Rencontres musicales internationales d’Aigues-Vives qui se tiendront du 15 au 17 septembre 2023 dans le Gard. Dans ce cadre nous accueillons une contribution en quatre volets d’associations et de musiciens qui éclairent le contexte des œuvres données et de la programmation de ces Rencontres où se croisent différentes disciplines artistiques.

Programme et réservations

Lire aussi : Chostakovich et l’histoire contemporaine Les compositions de Chostakovitch pour le cinéma

Notes:

  1. La Gerrit Rietveld Académie est une petite université des sciences appliquées des beaux-arts et du design, indépendante et tournée vers l’international, située à Amsterdam (NL), où l’expertise artistique converge sous un large éventail d’angles.
  2. Académie royale des beaux-arts d’Amsterdam.
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