Fondatrice et directrice du Centre International de Musiques Médiévales, Gisèle Clément préside la direction artistique des Marteaux de Gellone qui se tiendra du 19 au 28 mai à Saint-Guilhem-le-Désert. Elle évoque l’esprit ouvert qui anime le festival.
Aux côtés d’un répertoire pluriel de musiques médiévales, la saison 2022-2023 du CIMM intègre d’autres musiques, des musiques dites traditionnelles, c’est-à-dire dont la tradition encore vivante permet la continuité à travers le temps de savoirs et de savoir-faire propres à ces musiques. Musiques non occidentales ou d’un “autre occident”, elles peuvent éclairer d’un autre regard l’approche des musiques médiévales et nous donner des clés pour comprendre ou reconstruire ce que notre temps a oublié.
Cette année vous mettez en exergue l’altérité. En quoi la musique médiévale fait-elle appel à la notion d’acceptation de l’autre dans sa différence ?
La musique médiévale nous invite, nous gens du XXIe siècle, à nous ouvrir à l’altérité des médiévaux, de leurs musiques, d’un rapport au monde fondamentalement différent que celui que nous entretenons aujourd’hui.
Six concerts sont programmés avec de nombreux ateliers, quelle orientation avez-vous suivie dans vos choix artistiques ?
Nous allons faire entendre l’artiste associé Damien Poisblaud avec son ensemble Les chantres du Thoronet qui sera programmé chaque année.
Cette année trois idées se rejoignent dans la programmation:
- La première est de faire entendre des propositions musicales différentes les unes des autres pour montrer que ces musiques que l’on n’entendra plus jamais offrent une pluralité de propositions dont le festival rend compte.
- L’ouverture aux musiques du monde parce que les musiques médiévales relèvent d’un rapport au monde dans la manière de faire, de produire le son avec des instruments qui ont plus de rapport avec les société traditionnelles qui existent encore aujourd’hui, d’où la venue de Françoise Atlan (musiques nûba andalouse de Fès,) et du musicien indien Nirmalya Dey pour un concert où le chant dhrupad rencontre le chant grégorien avec Damin Poisblaud.
- Et la troisième est de mettre l’accent sur un instrument qui est le hautbois, ou du moins les instruments à hanche double du Moyen-Âge et du monde. Nous avons une programmation qui s’articule avec cet instrument. Pour preuve, le concert Duobois, une création originale de Maxence Camelin et Adrien Villeneuve qui circule à travers des mélodies de célébrations jouées aux hautbois traditionnels Occitan et le concert de l’ensemble à vent Into the winds qui clôturera le festival de manière solennelle et festive.
Il y aurait, dites-vous, plus de rapports entre les musiques médiévales et les musiques du monde qu’entre les musiques médiévales et la musique baroque. Comment l’expliquez-vous ?
De plusieurs manières, qui certainement se rejoignent et qu’il conviendrait d’étudier de façon plus approfondie. Un rapport au monde qui entend le monde comme une chose unitaire dans lequel, pour les médiévaux occidentaux, la musique est la voie d’accès à la connaissance divine. On retrouve ce type de relation dans certains chants indiens. Pour les médiévaux, le monde est organisé selon un principe qui est le nombre. Cela procède du double héritage de la philosophie grecque et des textes bibliques. Et ces nombres, qui sont organisateurs du monde, sont justement les proportions musicales d’octaves, de quintes, de quartes, de tons… C’est ce que démontre Platon dans le Timée1 qui est repris par tous les théoriciens médiévaux de la musique jusqu’au XVe siècle. La musique a une place fondamentale. Au sens sonore comme on l’entend, c’est la représentation ici-bas de l’ordre du monde, ou du désordre dans certains cas circonstancié à certaines fêtes. C’est un rapport au monde qui renvoie très certainement à un mode d’exploration sonore. La tonalité a généré l’égalité du tempérament, ce qui n’est pas le cas dans les échelles utilisées avant le XVIIe siècle, même avant le XVIIIe. À cet endroit, là aussi il y a des rapports avec les musiques des sociétés traditionnelles, dans la fonction de la musique, la manière de produire le son en fonction de l’espace dans lequel on se situe, et l’oralité de la transmission.
La musique médiévale ouvre à beaucoup de questionnements notamment philosophiques, mais c’est aussi une musique très vivante que l’on peut venir écouter pour se divertir…
Oui c’est une musique très vivante, et c’est avant tout de la musique. C’est du spectacle, c’est de l’émotion et ces questions sur lesquelles nous nous interrogeons, qu’il s’agisse des musiciens, des facteurs d’instruments ou des chercheurs avec lesquels on travaille, portent avant tout sur le sensible. La musique s’adresse à tous, et les spectacles sont programmés pour s’adresser au grand public.
Vous disiez précédemment que nous n’entendrons plus la musique du Moyen Âge, ce qui ouvre grandes les portes à notre imaginaire…
Absolument, l’imaginaire est indissociable, quels que soient le niveau d’historicité, du travail des musiciens, de réflexion anthropologique, cela procède aussi et d’abord de l’imaginaire du musicien. Les musiques médiévales on ne les entendra plus, cela fait longtemps qu’on ne peut plus les entendre. Tout le travail à propos d’altérité, le travail de chaque artiste, est d’abord et intimement lié à lui.
C’est une ligne majeure et singulière du CIMM2 à l’origine de ce festival, de faire pont entre la recherche et les pratiques…
En effet, c’est une ligne directrice de faire lien entre la recherche avec les musiciens et les facteurs d’instruments, qui sont aussi musiciens, tout en interrogeant le sens de ces pratiques aujourd’hui.
Recueilli par Jean-marie Dinh
Programme du Festival Les Marteaux de Gellone du 19 au 28 mai 2023
Le CIMM est membre du Club partenaires altermidi
Notes:
- Pythagore et Archytas établissent un lien étroit entre harmonie musicale et harmonie universelle. Platon fait de même dans le Timée. Il a repris des enseignements pythagoriciens que les nombres auxquels se réduisent les lois de la nature sont la seule chose fixe et certaine dans le changement perpétuel de toutes choses. Aussi est-ce aux nombres et aux proportions qu’il a recours pour expliquer le monde et l’âme du monde.
- Le projet du CIMM, Centre international des musiques médiévales, d’œuvrer à la vie des musiques médiévales au XXIe siècle s’articule depuis toujours avec la richesse des altérités culturelles et humaines en présence. Le CIMM réaffirme donc avec cette huitième saison son souhait d’être attentif à ce que tout partage musical soit également l’occasion d’une ouverture à l’autre et à l’altérité qu’il porte.