Après le déclenchement du 49.3 décidé par Emmanuel Macron sur la réforme des retraites, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés dans plusieurs villes de France jeudi pour protester contre le déclenchement de cette arme constitutionnelle pour faire adopter le texte sans vote. Le gouvernement doit composer avec une crise politique : les oppositions vont déposer vendredi des motions de censure et de nouvelles manifestations sont annoncées.


 

Finalement, la première ministre a invoqué l’article 49.3, jeudi 16 mars. « L’impensable vient de se produire. Pour faire adopter [sans vote] la réforme des retraites, Élisabeth Borne a dégainé […] cette arme constitutionnelle ». Mais ce déclenchement est aussi un « choix de la force », de la part de l’exécutif, qui « met le pays en ébullition ». « Si Emmanuel Macron avait voulu relancer les manifestations et les grèves, il ne s’y serait pas pris autrement », commente le quotidien belge après avoir fait état des « plans sur la comète » des opposants réunis jeudi soir à Paris. « Ce n’est qu’un début ! Par tous les moyens, on les fera reculer », promettait ainsi un étudiant cité par le quotidien belge Le Soir.

« Ce bouton nucléaire parlementaire, utilisé à de multiples reprises depuis les élections législatives qui n’ont pas donné de majorité absolue à Emmanuel Macron, est perçu comme une violence démocratique, tolérée sur les textes budgétaires, mais beaucoup moins sur un texte aussi sensible et important pour les Français. Il mettra probablement de l’huile sur le feu du mouvement social », commente le quotidien Suisse Le Temps.

Pour The Washington Post, c’était « l’heure de vérité pour Macron ». Pour The New York Times, le summum d’« un bras de fer qui dure depuis deux mois entre le gouvernement français et les syndicats, avec dans la balance le programme politique de Macron ».

Il s’agit aussi d’un échec de l’Élysée, constate la presse étrangère : « Une décision qui porte un coup dur au leadership » d’Emmanuel Macron, juge le média américain Politico. « Une déclaration d’impuissance, souligne El País en Espagne, mais aussi une décision risquée qui pourrait à nouveau embraser la rue et déclencher une motion de censure capable de faire tomber le gouvernement. »

 

La contestation à chaque coin de rue

 

Les syndicats ont annoncé qu’ils continuaient la lutte. « Il y aura de nouvelles mobilisations » contre la réforme, a déclaré le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, à l’AFP, dénonçant un « vice démocratique ».

Après la levée de séance, la réaction dans la rue ne s’est pas fait attendre. Le New York Times rapporte, que « des manifestants ont commencé à se réunir sur la place de la Concorde où, comme nous l’apprend l’histoire, Louis XVI et Marie-Antoinette ont été décapités (ainsi que des milliers d’autres) pendant la Révolution française ».

La capitale française porte par ailleurs les traces de la contestation à chaque coin de rue, écrit le Corriere della Sera. Le correspondant du quotidien milanais décrit ainsi ses impressions de la huitième journée de mobilisation, mercredi 15 mars :
« Jeudi soir, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés à travers la France pour protester contre la réforme et le déclenchement du 49.3, avec par endroits des tensions et des dégradations. À Paris, 217 personnes avaient été interpellées à 23h30, selon la préfecture de police. Des incidents ont aussi éclaté à Rennes, Nantes, Amiens, Lille ou encore Grenoble. »

 

En attendant la motion de censure

 

« Le texte, qui vise à porter l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, a donc été approuvé […] de manière unilatérale, malgré une très large majorité de Français contre lui, après près de deux mois de contestation, un millier de manifestations à travers le pays et huit jours de grève générale », relève de son côté El Mundo. Le journal espagnol évoque l’ouverture d’une « crise politique et sociale aux conséquences inconnues », les syndicats ayant menacé d’intensifier leurs actions si la loi était adoptée et une motion de censure pouvant maintenant faire tomber le gouvernement.

La présidente du groupe Rassemblement national, Marine Le Pen, a annoncé dans la foulée du 49.3 le dépôt d’une motion de censure et demandé la démission d’Élisabeth Borne, qui selon elle « ne peut pas rester dans ces circonstances », rapporte l‘AFP. La présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, a dit son intention de déposer une motion de censure contre un gouvernement qui « enfonce le pays tout entier dans une crise de régime ».

Mais c’est surtout la motion de censure que devrait déposer un petit groupe d’élus centristes indépendants (le groupe Liot) qui focalisait l’attention dans les couloirs de l’Assemblée jeudi, explique Le Soir. « Un groupe suffisamment modéré pour ne pas apparaître comme un épouvantail aux yeux des différents camps. Sa motion de censure pourrait ainsi recueillir les voix de la France insoumise comme celles du Rassemblement national. Et celles de la droite, seules susceptibles d’apporter la majorité nécessaire pour balayer le gouvernement ? Réponse lundi, quand les différentes motions de censure seront débattues. »

« On a toujours dit qu’on était prêts à soutenir » la motion de censure de Liot, « qui a la capacité de réunir très largement », a réagi vendredi 17 mars sur franceinfo Manon Aubry, députée européenne La France insoumise, présidente du groupe de la gauche au Parlement européen.

 

Des manifestants se rassemblent spontanément sur la place de la Concorde à Paris après l’annonce du recours au 49-3, le 16 mars 2023. Photo AFP

 

Et d’autres moyens sont à la disposition de l’opposition « pour retarder la promulgation du texte », explique le site américain Bloomberg : un recours auprès du Conseil constitutionnel et un référendum d’initiative partagée sur la question des retraites sont des possibilités.

En Espagne, le site Contexto avait parlé, avant le vote, d’une crise du régime en France : Accusant d’intransigeance le gouvernement, qui n’a pas réagi aux huit journées de mobilisation dans la rue, Contexto estime que la réforme des retraites a relevé un mécontentement plus général des Français : « Le report de l’âge minimum de départ à la retraite a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et a entraîné une nouvelle flambée de contestation sociale dans l’un des pays les plus indisciplinés d’Europe, qui résiste à l’obstination de son président et à sa volonté de maintenir un modèle néolibéral dépassé. »

« Jusqu’au bout, Emmanuel Macron n’aura pas su conduire cette réforme des retraites. Après tous les changements de pied effectués depuis six ans qu’il est aux affaires sur le contenu et la nécessité de celle-ci, le vrai faux suspense entretenu autour du recours au 49.3 a inutilement envenimé les choses. » Cela n’a fait que dramatiser l’usage de cet article, pourtant constitutionnel et cent fois employé par le passé, souligne Le Figaro : « Il n’en fallait pas plus pour galvaniser les oppositions et les syndicats, déjà très remontés. Face à un front du refus massif dans la rue, les sondages et à l’Assemblée nationale, l’exécutif est plus que jamais affaibli ».

 

Avec l’AFP et le Courrier International