Publier le texte d’une spectatrice participe de la volonté d’altermidi de faire intervenir des acteurs culturels venant de différents horizons et ayant donc des appréhensions différents du phénomène théâtral. Sachant également que la question de la perception d’une pièce par les spectateurs concerne et intéresse les praticiens du théâtre.


 

Manon Gineste

Noir. Le silence se fait. La salle se tait. Une femme entre sur la petite scène éclairée d’un projecteur simple, lumière dorée. Elle ouvre un morceau de papier blanc précautionneusement, en nous regardant, puis le lit.

Une lettre, une adresse, la voix de quelqu’un que la peur pétrifie — sa présence est magnétique, son visage expressif, le corps en tension. Le décor est simple Le regard vient errer, se poser et découvrir petit à petit les éléments du décor, à mesure aussi que les deux comédiennes (Audrey Joussain et Julie Pichavant) vont venir exploiter l’espace scénique.

Le décor est créé par de petits objets, une perruque blonde, un miroir, des bouquets, deux micros sur pieds, des bougies qu’elles vont allumer. Des objets-détails dont on sent que chacun a une importance cruciale, qu’ils ont été sélectionnés avec soin.

C’est le texte pourtant qui vient évoquer le décor, le décor absent, animer en nous des images puissantes, une maison en pierre, une chambre sombre, un radiateur, des rideaux blancs qui bougent dans la nuit, et puis des corps, des corps qui ne sont plus là, des corps fantômatiques et angoissants, un verger, une automobile brûlée, des bars le long d’une route de campagne, des images qui restent dans la tête comme si on les avait déjà contemplées.

C’est donc le texte qui vient puissamment évoquer, à travers le corps des deux comédiennes qui le “performent” avec émotion, avec ferveur, avec rage parfois. Le décor se met à exister sous nos yeux.

Les différents monologues vivent et s’entremêlent et l’on comprend le tragique de l’histoire, l’histoire de l’attentat dans cet hôtel, cette femme qui s’est trouvée là, par hasard, et la reconnaissance par hasard, grâce à une tache de naissance, de ce fils qu’elle n’avait plus revu depuis des années.

La genèse de la souffrance et de la colère dans une famille.

On pense à Ligne de Faille de Nancy Houston, livre qui mêle le récit, sous la forme de monologue, de plusieurs individus d’une même famille en des lieux et temps différents et qui explore la question de la transmission involontaire des traumas et leur évolution.

Comment la tension opère-t-elle ? Les voix se mêlent, se répondent, le spectateur participe, tout sauf passif, il démêle, s’interroge, interroge la chronologie et les récits.

La musique composée par Columbus Duo est une actrice très importante de la pièce, car elle participe à la montée de l’intensité et à son accalmie. C’est une musique superbe qui accompagne le texte et l’anime. Par moments, on a la sensation d’être dans un road-movie et on pense à des films tels que Paris Texas de Wim Wenders ou encore à La double vie de Véronique de Krzysztof Kieślowski pour l’ambiance sonore, atmosphérique et planante.

La tension opère donc, car l’histoire est racontée en différentes temporalités, différents lieux, différentes époques, par différents personnages. Et cela fonctionne sur notre besoin de voir, d’entendre, de comprendre, et sur la pulsion scopique du spectateur. Ce qui s’est joué avant ou bien hors-champ crée de l’attente et du désir.

Lydie Parisse entremêle les voix des vivants et des morts, fait parler les revenants, et interroge notre rapport aux liens, à l’humain, à l’amour. La passion de l’obéissance est une pièce d’une intensité rare. Je crois que c’est une pièce qui marque, et ce, pour toujours. C’est un texte que l’on garde en soi, et que l’on a besoin d’avoir près de soi, pour le relire, dans les moments de troubles, comme dans les moments de joie.

Parce que ça rappelle des choses essentielles, des choses nécessaires sur la famille, sur la colère, sur le feu, sur la haine et puis sur l’aveuglement, la docilité dans notre monde contemporain. C’est un texte qui parle d’obéissance et d’endoctrinement tout en électrisant le spectateur, en lui demandant une concentration absolue pour comprendre, comprendre et vivre la pièce dans toute sa beauté.

La pièce rappelle qu’aujourd’hui, plus que jamais, il faut continuer à lutter pour appréhender, décrypter les informations et surtout continuer de s’indigner et de se révolter.

Manon Gineste

 

La Passion de l’obéissance se jouera le samedi 21 mai à 19h30 au Piano-Tiroir – 15, Rue de la Pinède à Balaruc-les-Bains. Dans le cadre du festival Alerte rouge dédié aux jeunes de l’école de théâtre Ah Bon ! autour d’un.e auteur.e de théâtre d’aujourd’hui. Entrée libre. Durée du spectacle une heure. Informations sur le spectacle : https://www.lydieparisse.com/la-passion-de-l-obeissance

Le texte est paru dans la série Tangentes des éditions Domens, 2022.

Rencontre théâtrale avec Lydie Parisse. En avant-première, le jeudi 19 mai à 18h30 aura lieu une rencontre-vernissage-lectures théâtrales à la librairie Prose café, 8 Place de la Vieille Poste à Frontignan. Cette rencontre inaugurera une exposition de toiles de Lydie Parisse Paysages-fictions de Sète et de Bretagne qui sera visible du 19 au 28 mai, entrée libre du jeudi au samedi de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30. Tél. 04 67 25 62 11.

 

 

 

 

 

 

 

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