Les palettes crépitent sous les braises, il fait humide de bon matin, la veille il a beaucoup plu sur Toulouse. Les traminot.e.s tiennent leur piquet de grève ce mercredi au dépôt de Langlade, route d’Espagne, dans une ambiance musicale propice à la révolte avec la rappeuse Keny Arkana et sa Rage, Zebda au rythme du Chant des Partisans, Hasta Siempre Comandante, en passant par le célèbre On Lâche rien d’HK.


 

Ils.elles en sont à leur troisième jour de grève pour empêcher la sous-traitance des lignes de bus et des services techniques que la direction de Tisséo1 entend imposer.

La CGT, la FNCR (Fédération nationale des conducteurs routiers) et la CAT (confédération autonome du travail) ont lancé le mouvement, conscients que l’avenir du service public des transports en commun est en danger. Partie prenante de l’appel à la mobilisation du 16 septembre dernier, la CFDT et SUD ont entretemps quitté l’intersyndicale. « Les dernières propositions de la direction leur conviennent », parole de gréviste. « Le 16, ils sont avec nous, quatre jours après ils nous lâchent », lance mécontent Jean-Philippe. Selon la CGT, ces deux syndicats auraient négocié certaines réorganisations avec la direction générale.

 

« Viré » dans un autre service

 

Les conducteurs et conductrices, au volant de leur bus, saluent leurs collègues de travail dans la bonne humeur et tendent la main pour saisir le tract unitaire qui fait le point sur l’action et les revendications, exigeant « l’arrêt de toutes formes de sous-traitance dans tous les services ».

En effet, les restructurations touchent tous les métiers de la régie publique des transports urbains toulousains. Les services techniques ont été la première cible de la direction (lire l’article du 29 septembre dans altermidi). Lionel et Cédric de l’atelier carrosserie en ont fait les frais. « Ils ont mis des jeunes cadres chez nous pour restructurer, à tel point que des collègues qui n’ont pas supporté le harcèlement sont partis. Les départs à la retraite n’ont pas été remplacés et ils nous ont envoyé dans d’autres services », raconte Lionel. «  On m’a viré pour me mettre au service entreprise (maintenance du bâtiment) il y a environ six ans, poursuit celui qui a 30 ans de métier chez Tisséo. À l’époque, sur une quarantaine de gars en carrosserie, il en reste une vingtaine aujourd’hui ». Cédric précise que les restructurations sont régulières, lui l’a subie en 2019. « Il y avait un même statut dans chaque métier sur tout le réseau, ils ont cassé cette unité », explique Serge du service à l’entreprise. Toutes les activités de moindre qualification ont été externalisées : nettoyage, gardiennage, etc.

Jean-Luc travaille depuis 32 ans dans l’atelier de mécanique en équipe de jour. « On faisait les grandes révisions. L’équipe de jour a été supprimée, on a été dispatché dans les autres équipes à roulement avec des horaires décalés. Les anciens, comme moi, ont pu garder les horaires de jour : 7h30-12h/13h-16h, les autres ont des horaires décalés : 6h-13h30/11h30-19h/17h30-1h du matin. J’en ai vu passer des choses [des restructurations-Ndlr]. Quand on était à la Semvat2, c’était beaucoup mieux, c’était familial ».

 

« Sauver les emplois et les acquis sociaux »

 

Tout nouveau dans la profession, un conducteur confie ne jamais avoir connu de grève dans son ancienne entreprise Volkswagen France à Paris où il était magasinier automobile. « Il nous faut préserver nos acquis sociaux », confie celui qui n’a toujours pas décidé de rejoindre l’action. Un autre clame sa solidarité et le fait qu’il était en grève dès le premier jour, lundi 4 octobre, « pour sauver les emplois ».

Amar résume la situation : « On était plus de 3 100 il y a une dizaine d’années, en 2021 on est un peu plus de 2 700 ». Ce syndicaliste de la FNCR avance quelques chiffres : « Sur les sept lignes qui devaient être sous-traitées, deux ont été réintégrées, mais 24 % des lignes sont déjà sous-traitées, c’est énorme et c’est pas fini. Le privé, c’est des bas salaires, des mauvaises conditions de travail et un service public dégradé ». Guillaume prend comme exemple Alcis3 « qui a pris quelques lignes. On voit la dégradation de la qualité du service concernant le 82 qui est tombé en panne. À Tisséo, on a un suivi dans la maintenance ». Laurent, qui sort du dépôt, sait de quoi est fait le privé, il en vient : « 12h de travail par jour dans la société Teste4 à Villefranche-de-Lauragais pour un salaire de 1 300 euros avec des horaires coupés. On savait quand on commençait mais pas quand on finissait ».

Un échange s’engage entre un militant CGT et un traminot qui déplore la division syndicale. « L’unité, ce sont les salariés qui doivent la faire », réplique le cégétiste. Luna prend son service dans quelques minutes, elle discute avec sa camarade Sabine. Elle n’en peut plus : « Tout augmente sauf nos salaires qui sont gelés depuis trois ans et nos chefs continuent de toucher des primes ! On est là à cause des restructurations. La direction a dit qu’elle les reportait à 2029, sauf que dans huit ans qu’est-ce qu’on va devenir ? Est-ce que j’aurai du travail ? ». Déçues aussi parce qu’elles aimeraient voir plus de monde dans la lutte, du moins plus de jeunes.

 

« Il faut maintenir la pression »

 

Serge nuance le propos de Luna : « Le contrat de service public a été repoussé jusqu’en 2029, mais les restructurations sont toujours d’actualité dans le but de faire des économies pour financer la 3e ligne ». Le coût de cette dernière ligne de métro est d’environ 2,7 milliard d’euros. « Le budget va exploser avec 300 millions de plus qui sont annoncés. Tout le monde veut faire des économies y compris les collectivités, avance Franck. Le privé, c’est 2,80 euros le kilomètre et Tisséo : 6 euros ». Pourtant, pas question pour la CGT que les salarié.e.s payent les pots cassés de ce « projet faramineux ».

Le dépôt d’Atlanta connaît une plus forte mobilisation des personnels parce qu’il est plus touché par la sous-traitance à venir. « On a beaucoup d’intentions de grève pour jeudi et vendredi. On fait ce qu’on peut. Tant qu’on n’est pas reçu par la direction, il faut maintenir la pression », affirme Jean-Philippe Favier, élu à la CGT, au CSE et au CSSCT5.

L’enjeu est de taille pour les conducteurs et conductrices qui risquent de perdre leur place de titulaires de lignes et devront en retrouver une ou devenir « voltigeurs »6. Benoit, étudiant de sociologie à l’université du Mirail et Michel, retraité, sont venus apporter leur solidarité en tant qu’usagers du service public et opposants à la privatisation.

Vendredi, les traminot.e.s en grève décideront dans leurs dépôts respectifs (Langlade, Atlanta et Colomiers) des suites à donner au mouvement. « On respectera le choix des salariés », soutient Stéphane Chapuis, secrétaire général de la CGT Tisséo.

Piedad Belmonte

 

Piquet de grève au petit matin. Photo DR Sébastien Chantrieux

 

Voir aussi : Toulouse: Les traminot.e.s lancent un préavis de grève

Notes:

  1. Régie des transports en commun de l’agglomération toulousaine.
  2. Semvat, Société d’économie mixte des voyageurs de l’agglomération toulousaine (1973-2004). En 2004, elle perd le marché après un appel d’offres au profit de la société privée Connex, filiale de Véolia Environnement, aujourd’hui Transdev. Tisséo-Semvat devient Tisséo-Connex. Cette même année, une lutte opposent les représentants de la Ville rose de droite à ceux du Conseil général, socialistes. Les premiers veulent maintenir l’opérateur privé, les seconds n’en veulent pas. Fin 2005, Tisséo décide de reprendre l’exploitation du réseau en régie directe sous la forme d’un EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial).
  3. Établie à Balma, cette société est spécialisée dans le secteur d’activité des transports routiers réguliers de voyageurs.
  4. Entreprise de transport en autocar.
  5. La Commission santé, sécurité et conditions de travail (ex-CHSCT) est un organe du Comité social et économique, ex-Comité d’entreprise.
  6. Ils sont affectés au jour le jour sur des trajets différents, la plupart sont en CDD.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin