Réunis en congrès à Montpellier, les présidents de régions appellent à un nouvel acte de décentralisation. À l’heure où le projet de loi de finance 2022 laisse présager une baisse de dotation et à la lumière de la mobilisation de proximité qui s’est déployée lors de la crise sanitaire, l’ensemble des collectivités souhaitent redéfinir le travail commun mené avec l’État. Les propos infantilisants du Premier ministre Jean Castex venu clôturer le congrès jeudi à Montpellier ont mis de l’eau dans le gaz.


 

Au menu du 17e congrès des Régions de France qui s’est tenu jeudi à Montpellier figurait une belle ambition. La journée durant, de nombreuses interventions et témoignages ont porté sur l’implication des collectivités se voulant à l’écoute de leur concitoyens, pour relever ensemble les grands défis de notre époque et conduire les mutations qui s’imposent dans une relation de confiance avec l’État.

Le maire de Montpellier Michaël Delafosse a ouvert le Congrès de Régions de France. Photo Dr altermidi

En ouverture le maire accueillant, Michaël Delafosse, a donné le ton. « Kafka est en train de gagner sur Victor Hugo. La France des procédures va-t-elle détruire la France des projets ? », s’est interrogé le maire de Montpellier. Face aux défis environnementaux et la nécessité d’innover, « la dimension du temps doit être maîtrisée », a alerté le jeune maire socialiste, « la jeunesse attend de nous que nous soyons à la hauteur des enjeux ».

Convoquer un corpus littéraire s’avère souvent plus efficace que les chiffres lorsqu’il s’agit de construire une réflexion sur la condition des femmes et des hommes. Lors de ce congrès, les interventions d’invités extérieurs à la sphère politique ont élargi l’espace pour penser la thématique de la décentralisation.

Dans une éclairante intervention, l’écrivain voyageur Sylvain Tesson a plaidé pour les vertus d’une France profonde magnifiée dans les pages de Giono ou de Braudel. Des auteurs qui ont su « donner une autre vie au terroir. Rien de plus universel que les spécificités régionales. » L’auteur de Les Chemins de Pierre, dont l’adaptation cinématographique est en cours, a rappelé que l’État ne fonctionne pas comme une puissance philanthrope.

Le philosophe de la « reliance », Edgar Morin, est venu partager ses convictions : « Il est important que le pouvoir des collectivités soit accru dans le monde d’incertitudes où nous sommes. Cela conduit à envisager de multiples scénarios et à nous préparer à des éventualités contraires. L’action des régions doit être multidimensionnelle, nous savons que les vaccins sont insuffisants. Il faut songer à une politique sanitaire qui ne soit pas fondée sur le « tout vaccin ». (…) Ne pas opposer croissance et décroissance, mais agir en les combinant pour favoriser le développement de la qualité de la vie qui est le plus important. (…) Lutter contre la déshumanisation dans les villes... ».

 

La présidente de la région Occitanie, qui débute son mandat en tant que présidente de Régions de France, a pour sa part souligné l’importance de retrouver « le chemin de la confiance pour recréer des liens républicains face à une abstention croissante et pour combattre les idées extrémistes qui envahissent le débat politique ». Pour Carole Delga réélue avec 57,7 % des suffrages — le meilleur score des élections régionales du pays — « faire de la politique c’est avant tout répondre à la volonté de nos concitoyens. » Pour y parvenir, la présidente pose la confiance comme notion fondamentale, au cœur de son action : « La confiance doit s’établir entre les acteurs publics et privés, entre les collectivités et entre les régions et l’État. »

Le président de région Sud Paca Renaud Muselier, 3e à G. – Photo Dr altermidi

Le président de la région Sud Paca va dans le même sens. À l’aune de la gestion de la crise sanitaire, Renaud Muselier, l’ancien président de Régions de France, constate «  une capacité très forte des régions pour la gestion de la santé. Au cœur de la crise, indique-t-il, le ministère de la Santé autocentré n’a pas souhaité travailler avec le ministère de l’Intérieur, pendant que sur le terrain les Régions essayaient de travailler avec les ARS avec des résultats contrastés. À la différence des collectivités, l’État n’a pas de capacité d’adaptation ».

Pas plus que les médias meanstream qui restent, a-t-on pu constater, obnubilés par la volonté d’extirper aux candidats potentiels une énième et croustillante déclaration pour nourrir le sempiternel feuilleton de la campagne présidentielle. L’arrivée remarquée de Xavier Bertand a bien produit un effet de ruche ponctuel au sein de la presse nationale visiblement plus captivée par le congrès LR que par celui des Régions, mais à l’instar de Renaud Muselier, les présidents de région présents ont tenu les digues dans l’unité : « On est pas ici pour présenter des candidats », a-t-il répondu à un journaliste de LCI, « on est ici pour parler des régions ».

Grâce à la ténacité des organisateurs, les débats sont restés centrés sur la gestion décentralisée, au bénéfice des collectivités locales et de la confiance que leurs administrés leur accordent. Durant le congrès les prises de paroles se sont succédé avec courtoisie et équité — avant l’arrivée du Premier ministre — chacun des acteurs ayant conscience qu’il a besoin de l’autre.

Le directeur générale de l’IFOP, Frédéric Dabi, est venu livrer les résultats d’un sondage (IFOP, Fondation Jean-Jaurès) qui confirment que les Français demandent une nouvelle répartition des pouvoirs entre l’État et les collectivités. « On demande aux Français s’ils font confiance à leurs institutions, on ne demande pas si les institutions leur font confiance », a souligné Gilles Finchelstein, de la Fondation Jean Jaurès.

Fait notable, le bilan d’action des collectivités territoriales, relatif aux différentes crises auxquelles elles se confrontent sur le terrain, s’inscrit en matière de gouvernance au-delà des clivages politiques. La lutte contre l’épidémie de la Covid-19 a mobilisé les équipes régionales, départementales et municipales pour suppléer un appareil d’État impréparé à l’ampleur du choc.

 

Pour le Président de l’ADF (assemblée des départements de France), les collectivités sont une chance. François Sauvadet (UDI) a dénoncé la verticalité de l’État et ses prises de décisions sans partage avec les collectivités qui sont face à des situations concrètes : « Le dialogue ce n’est pas être informé la veille de ce qui nous arrive le lendemain. Ce que j’attends du gouvernement c’est qu’il assume ses missions régaliennes et qu’il reconnaisse la diversité. » Toujours à propos de la gestion de la crise sanitaire, le vice-président de Territoires Unis, André Laignel (PS) pointe « l’hypercentralisation qui était là pour masquer l’incapacité de l’État à faire face à la situation. L’État a fait ce qu’il a pu et les collectivités ont fait tout ce qu’il n’a pas pu. »

« L’État est producteur de normes et de rapports de gestion mais il n’a pas de compétence logistique, analyse François Barouin. Lors de la crise sanitaire, la logistique a été la première action menée par les collectivités, notamment pour la distribution de masques. » En matière de décentralisation, le président de l’Association des Maires de France porte un constat d’évidence : « Nous avons fait tout ce que l’État n’a pas fait. Le statut quo n’est plus possible. En matière sociale comme en matière économique, de logement, de sport et loisir… les collectivités ont démontré leur efficacité. L’État doit nous faire confiance. Ce n’est pas une question d’homme, c’est un problème culturel. Il faut modifier le rapport à la décentralisation. L’État n’a plus les moyens, il est surendetté et nous avons les moyens d’agir. Devant l’urgence, les actions de proximité ont été conduites en dehors du cadre réglementaire. Si nous ne l’avions pas fait la situation aurait été bien pire. L’État nous considère comme des filières, mais nous ne sommes pas des agents de l’État, nous sommes des élus avec des responsabilités ».

 

L’intervention bonhomme du président du Sénat, Gérard Larché, est venue apporter de l’eau au moulin des collectivités. « Les régions ont toute leur place pour préparer l’avenir. Elles ont la connaissance du terrain. C’est la conviction du Sénat. Le sommet de l’État a encore bien des difficultés à entendre les propositions du Sénat dans ce sens. » Dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration, qui devrait être examiné à partir du 6 décembre, Gérard Larché s’est engagé à favoriser une coordination du service public de l’emploi. Les élus locaux devraient également être soutenus par le Sénat pour renforcer les compétences des délégations territoriales des ARS et accroître leurs moyens humains et financiers.

Sans surprise, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a profité de sa participation au Congrès de Régions de France pour appeler ces dernières à apporter leur soutien à l’action gouvernementale, en particulier pour déployer le plan des Transitions collectives1 qui peine à décoller. La ministre affirme la volonté de « sortir du paradoxe des demandeurs d’emploi qui ne trouvent pas d’emploi et des entreprises qui manquent de personnel ». Elle a rappelé le dispositif d’accompagnement personnalisé dont peuvent bénéficier les jeunes qui s’orientent vers l’apprentissage : « Il faut qu’on rompe avec l’idée qu’on se forme pour la vie, et se former au plus près du besoin des entreprises », a indiqué Élisabeth Borne en prenant comme exemple de reconversion le cas des agents d’entretien et de nettoyage, dont le secteur est impacté par le télétravail, qui pourraient se reconvertir en tant qu’aide-soignants.

Le paysage dressé par la ministre apparaît très optimiste. Vues de Paris, la baisse du chômage et la reprise économique, notamment industrielle, seraient les vecteurs d’un nouvel élan et il suffirait de se remonter les manches tous ensemble pour l’accompagner. Une vision euphorique modulée par le vice-président des Maires de France qui a opportunément rappelé que « 60 % des emplois industriels sont localisés dans les villes de 20 000 habitants » et invité le gouvernement « à ne pas négliger les petites villes en matière de formation ».

 

Congrès des Régions de France, Carole Delga. Photo Dr altermidi

 

À l’issue de cette journée d’échanges, il revenait à la Présidente de Régions de France d’accueillir le Premier ministre en formulant les attendus. Appuyant son propos sur la fidélité réelle affichée par les présidents de régions à la République, pour évoquer à la fois la baisse des dotations qu’accusent les régions dans le projet de loi de finance 2022 et la nécessité politique de repenser les rapports et les compétences entre l’État et les collectivités, Carole Delga, comme l’ensemble des présidents de régions présents et la plupart des élus participants, ne s’attendait pas en retour à la rigidité exprimée par le chef du gouvernement.

« Rien, ni ici ni ailleurs, ne me détournera de chercher le rassemblement qui compose la République, a martelé d’entrée le Premier ministre, avec la conviction d’un chevalier de la table ronde en quête du Saint-Graal. Centré de manière univoque sur le combat contre l’épidémie et le soutien de l’économie, son allocution, totalement à côté des attendus, a pris la dimension caricaturale d’un émissaire impérial descendu calmer des velléités seigneuriales.

« La gestion de crise est une responsabilité de l’État », affirme Jean Castex sans admettre que les limites de cette gestion sont apparues au grand jour. Ses propos ont tour à tour déformé la réalité, éludé les problèmes posés, et délégitimé la demande et la fonction des élus locaux. « On ne peut avancer l’idée de décentraliser la santé. Comment changer les règle du jeux en pleine crise ? (…) Je le dis, ce n’est pas le grand soir, ce n’est pas au moment de la tempête que l’on change les règles. (…) La déconcentration, c’est un représentant de l’État avec les élus locaux et ça marche bien. (…) L’État n’abandonnera pas les régions parce que c’est l’intérêt du pays, c’est l’investissement, c’est le capital. J’entends des gens qui disent “le robinet est ouvert, j’en veux un peu plus.” »

Comment expliquer l’imperméabilité toute jacobine du Premier ministre, il y a peu maire d’une commune des Pyrénées-Orientales de 6 000 habitants ? Face à la situation alarmante que connaît notre pays, en démocratie il revient au gouvernement de proposer et d’adopter une orientation politique quel que soit le champ auquel elle appartient, mais en aucun cas cela ne justifie de telles injonctions et le rejet des approches exprimées par des élus représentant l’ensemble du territoire.

Après le départ en trombe de Jean Castex — à l’occasion duquel un cameraman s’est fait brutaliser par le service d’ordre — pour le JT de TF1, les présidents de régions qui avaient placé leur congrès sous les auspices d’un chemin de confiance pour une communauté de destin, constatent avec amertume que leur vision de la France ne répond pas au même scénario que celui du gouvernement.

« Nous avons pris la décision de convoquer une réunion dans les prochains jours », a rapporté Carole Delga lors d’un point presse. « Le ton employé par le Premier ministre, sa perception de la situation selon laquelle la France va bien et les régions devraient exécuter les plans gouvernementaux, indique qu’il n’a pas la volonté de travailler avec nous. Les Régions devraient connaître une baisse de dotation de 50 millions d’euros qui s’ajoutent aux 450 perdus en 2018. Nous restons dans une grande incertitude, l’analyse des comptes opérée par le Premier ministre a tourné à l’humiliation. »

En conclusion d’une journée riche en perspectives, Jean Castex a précisément incarné l’image Rabelaisienne évoquée quelques heures plus tôt par Sylvain Tesson ; au chapitre 6 Gargantua s’assoit sur les cloches et les empêche de sonner.

Jean-Marie Dinh

Notes:

  1. Les Transitions collectives, aussi appelé « Transco », dispositif déployé depuis le 15 janvier 2021 et co-construit avec les partenaires sociaux dans le cadre du plan France Relance, permet aux employeurs d’anticiper les mutations économiques de leur secteur et aux salariés d’être accompagnés pour se reconvertir.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.