La question des municipales à l’assemblée des assemblées des Gilets Jaunes: entre refus du système électoral et stratégie révolutionnaire

par Sixtine van Outryve *


Dans un mouvement aussi divers et hétérogène que celui des Gilets Jaunes, le rapport aux élections municipales est une question qui clive. Alors que la participation aux présidentielles est rejetée à la quasi-unanimité, celle aux municipales demeure une interrogation ouverte. Dès lors que la critique du système représentatif et la volonté d’avoir une démocratie directe constituent le socle commun de l’Assemblées des Assemblées (ADA), constituer une liste pour se présenter aux élections ne relève pas d’une évidence pour les Gilets Jaunes de l’ADA. Ainsi, deux tendances coexistent : d’un côté, il y a celles et ceux qui rejettent en bloc la possibilité de participer aux élections municipales car cela reviendrait à participer, voire cautionner le système représentatif tant critiqué, et de l’autre, celles et ceux qui voient dans les municipales une opportunité d’exercer le pouvoir radicalement différemment et de mettre en place la démocratie directe en France.


 

Au cours des deux ateliers sur la question Comment agir dans le contexte des élections municipales ? organisés pendant l’ADA à Montpellier les 1, 2 et 3 novembre 2019, une cinquantaine de Gilets Jaunes s’amassent en cercle pour mettre en commun le fruit de leurs réflexions en sous-groupe. Comme il le sera précisé au cours de la dernière plénière, ces ateliers souffrent d’un écueil : ils ne réunissent que les personnes convaincues par le municipalisme. En l’absence de voix contradictoires, ils ne peuvent être considérés comme représentatifs de l’intégralité de l’ADA. Au cours du premier atelier, la discussion s’ouvre sur un point de désaccord – doit-on demander à l’ADA de se positionner sur la question des municipales ? Un consensus, partagé plus tard en plénière, émerge rapidement sur le fait que l’ADA n’a pas ce pouvoir de décision, et que c’est aux groupes locaux de décider de l’opportunité de présenter une liste aux municipales, étant donné la diversité des contextes locaux, et donc des stratégies à adopter. La discussion continue sur les points d’accord, à savoir une critique du manque de représentativité, du caractère pyramidal et centralisé du pouvoir, du clientélisme, de la corruption du système actuel, tant au niveau national que municipal, et une volonté de former un contre-pouvoir par des assemblées citoyennes pour y faire face.

Face à ces observations, une des solutions explorées par l’atelier consiste à présenter des listes participatives, ou citoyennes, aux prochaines élections municipales. Ainsi, plusieurs initiatives ont déjà été lancées, comme à Noisy-le-Sec, où les Gilets Jaunes rassemblement une liste de candidat.e.s prêt.e.s à adhérer à une charte d’engagements de démocratie directe, à Villeneuve et à Saint-Clair-du-Rhône avec la tenue de RIC locaux, ou encore l’exemple plus ancien de Saillans, avec son conseil municipal participatif. Ces exemples reflètent la diversité des tactiques disponibles aux Gilets Jaunes prêts à agir dans le contexte des municipales : création d’une liste à partir d’un groupe local Gilets Jaunes, intégration à une liste plus ouverte afin d’y militer pour des mécanismes de démocratie directe ou participative (assemblées populaires thématiques, RIC locaux, mandats révocables, rotation des élu.e.s, contrôle des élus, interpellations et lettres ouvertes aux élus, etc.), utilisation de la campagne électorale afin de porter les revendications des Gilets Jaunes, ou encore formation d’un contre-pouvoir à la municipalité au travers d’assemblées populaires.

 

ADA 4 dans la soucoupe à Montpellier Photo Dr LMEC

Néanmoins, plusieurs problématiques pour les groupes adoptant cette stratégie ont été abordées. Tout d’abord, les limites posées par le cadre légal ont été mentionnées, avec d’un côté le manque de pouvoir des municipalités face aux échelons supérieurs, notamment les intercommunales, et de l’autre les limites posées par le code électoral quant aux mécanismes de contrôle des élu.e.s comme le mandat révocable. Ensuite, le problème du lieu pour tenir les assemblées, connecté à celui du lieu de rassemblement des Gilets Jaunes, a été évoqué, menant les participant.e.s au constat partagé quant à là nécessité de créer des Maisons du Peuple dans toutes les communes. Par ailleurs, les délégué.e.s ont évoqué le danger des listes sans étiquettes, qui permettent à des canditat.e.s issu.e.s de partis traditionnels comme LREM de profiter du mouvement des listes participatives pour gagner des voix, et ont insisté sur l’importance de dénoncer ces listes pour ce qu’elles sont – une continuation de la politique représentative traditionnelle. Pour finir, les participant.e.s ont également discuté de la contradiction entre la stratégie des élections et l’identité des Gilets Jaunes centrée sur le refus de la « politique politicienne ». Cependant, certain.e.s participant.e.s ont rappelé que la stratégie ne doit pas se réduire à gagner les élections, mais que la campagne électorale pouvait également être utilisée pour promouvoir les revendications Gilets Jaunes dans tous les domaines et pour monter des assemblées citoyennes qui pèseront sur le futur conseil municipal.

 

 

Dans cette lignée, et afin de marquer une rupture nette et radicale avec le gouvernement représentatif et l’Etat, plusieurs délégué.e.s défendent l’idée de créer des assemblées populaires qui pourraient former un réel « pouvoir parallèle ». Dans le contexte des élections, ces assemblées populaires pourraient construire collectivement et démocratiquement un programme, sur base duquel se présenteraient des personnes sélectionnées par l’assemblée. Si ces personnes sont élues, elles s’engageront à respecter les décisions de l’assemblée, qui contrôlera les élu.e.s par des mandats révocables et qui assurera leur rotation. Si elles ne sont pas élues, l’assemblée citoyenne pourra former un contre-pouvoir au conseil municipal, et être un véhicule d’application des politiques du programme en dehors de toute institution. Dans les deux cas, la proposition, qui a recueilli du soutien en plénière, consiste à s’organiser sans attendre les élections en créant des assemblées populaires partout pour former un pouvoir parallèle, pour élargir la culture démocratique et pour prendre en charge les besoins et les intérêts démocratiques de la population.

 

Cette proposition est celle des partisan.e.s d’une forme bien spécifique de municipalisme, à savoir le municipalisme libertaire. Développé par le penseur américain Murray Bookchin, le municipalisme libertaire invite à donner tout le pouvoir aux communes par la création d’assemblées populaires locales qui décideraient des affaires politiques et économiques de la communauté et exerceraient le pouvoir, et, lorsqu’il faut coordonner des décisions à un niveau géographique plus large, la délégation de ce pouvoir à des délégué.e.s doté.e.s d’un mandat impératif et révocable. C’est cette politique, relayée par les Gilets Jaunes de Commercy dans leur « Appel des cabanes pour des assemblées populaires partout en France » au début du mouvement des Gilets Jaunes, qui a été discuté au cours de l’atelier libre sur le municipalisme libertaire organisé dimanche après-midi, lorsque l’ADA s’ouvrait au public. Des délégations de différents groupes ancrés dans la philosophie du municipalisme libertaire y ont partagé leurs expériences et leurs réflexions, notamment face à la stratégie électorale. Ainsi, il a été rappelé que la priorité est bien de construire des assemblées populaires pour répondre aux besoins de la communauté et apprendre à décider en démocratie directe. Pour les municipalistes libertaires, les élections municipales sont donc envisagées non pas comme un but en soi, mais uniquement comme une des manières de prendre le pouvoir au niveau municipal à adopter dans certaines conditions, et après avoir construit les assemblées en amont. Cette solution a été choisie entre autres par l’Assemblée Citoyenne de Commercy, qui a décidé fin septembre de présenter une liste aux élections municipales dans cette philosophie, et qui appelle dans les semaines à venir à une Rencontre nationale des communes libres et listes citoyennes partageant cette même ligne politique.

 

Alors qu’un consensus se dessine autour du fait que « le mouvement des gilets jaunes a pour revendication et pratique la démocratie directe », les voix sont loin de s’accorder sur la manière de réaliser cette démocratie directe. A l’image du mouvement des Gilets Jaunes, les différentes interprétations et applications de la démocratie directe sont aussi variées qu’il existe de contextes locaux différents. Alors que les élections municipales semblent constituer un piège réformiste du système représentatif pour certain.e.s, d’autres y voient une occasion à saisir, dans certains contextes bien particuliers, pour donner le pouvoir aux assemblées populaires et pour faire de la Commune un lieu d’autogouvernement.

 

Sixtine van Outryve

 


NOTES:

* Sixtine van Outryve est chercheuse en philosophie et théorie du droit à l’UCL à l’institut pour la recherche interdisciplinaire en sciences juridiques

SOURCES:

Photo de Une Dr. Membres du contre-G7 manifestant à Bayonne pendant la rencontre des chefs d’Etat, le 25 août. – Sipa


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