Le 21 décembre 2018, des militants pour l’accueil des exilés ouvraient un lieu pour en faire un foyer autogéré, accueillir les mineurs non accompagnés, laissés errants dans les rues d’Avignon, et les demandeurs d’asile en attente. En plein centre-ville, dans des locaux appartenant au diocèse d’Avignon, en six mois, ce sont 80 personnes qui ont pu se poser là, faisant naître un lieu de vie et de rencontres avec les habitants du quartier et au-delà, puisque ce sont aujourd’hui plus d’un millier de personnes qui soutiennent l’association Rosmerta.
Le 10 mai dernier, les menaces de plainte du diocèse, propriétaire des lieux, se sont concrétisées par la visite d’un huissier porteur d’une demande d’expulsion en référé. Cette demande a reçu un écho positif de la part de la préfecture, puisque des responsables désignés sont convoqués au tribunal le 3 juin pour répondre de l’occupation sans droit ni titre, entre autres choses.
Un point sur la situation
Mais bien avant la nouvelle de cette décision, attendue, au vu de la position prise par le diocèse, les bénévoles, les adhérents et les hébergés de Rosmerta, ont fait un point de la situation et l’ont rendue publique devant la presse. Philippe, un des bénévoles, nous apporte des précisions.
« Après avoir reçu la sommation de quitter les lieux et la convocation au tribunal, nous avons organisé l’assemblée générale de l’association avec les habitants, sous la forme d’un forum citoyen, pour décider ensemble de la suite. Trois propositions ont été retenues ; sur les trois, et à l’issue d’un travail en cours, une sera retenue. Et ce sera notre décision commune : entre la préemption par la mairie, la résistance à l’expulsion, ou l’achat du lieu. »
Une autre pression s’exerce sur l’association, c’est celle de compagnies du festival Off qui se produisent chaque été dans le lieu, alors nommé « cour du Barouf ». Malgré l’ouverture d’un dialogue au début de l’occupation, on est très vite passé aux accusations, rendant irréalisable pendant un mois, la possibilité d’une occupation commune des lieux.
Rosmerta compte ses soutiens
Un comité de soutien national est en cours de constitution, qui comprend d'ores et déjà les signatures de Olivier Besancenot, Philippe Poutou, Ian Brossat, Michèle Rivasi, Emmanuel Bompard, Daniele Simonnet, mais aussi des conseillers régionaux, des élus locaux, des artistes (Maguy Marin, Roger Martin, Mariam Madjdidi, Denis Lanoy. c'est sous la houlette du collectif Exilé-es 84, un cadre unitaire vauclusien réunissant associations, collectifs, syndicats et partis prenant des initiatives de soutien aux exilé.e.s, que se sont agrégés ces soutiens qui apellent à être présent au tribunal le 3 juin à 14h.
Le 14 juillet, Maeva, une des bénévoles sera invitée par le festival d'Avignon, pour un débat avec Avec Sophie Beau co-fondatrice de SOS Méditerranée, Serge Slama juriste spécialisé en droit des étrangers, Laurent Gaudé écrivain, un marin-sauveteur de SOS Méditerranée, un débat animé par Lola Schulmann chargée de plaidoyer Réfugiés et Migrants Amnesty International France. Débat dans le cadre des ateliers de la pensée, sous la forme d'un week end pour une république de l'hospitalité, un temps pour parler de fraternité. Une invitation qui légitime en quelque sorte l'action de Rosmerta.
Une réquisition qui a montré son utilité
Aujourd’hui Rosmerta, ce sont plus de 800 adhérents, 300 bénévoles qui sont passés depuis le début pour participer à la permanence, ou faire de l’accompagnement (scolaire, alphabétisation, cours du soir, commission santé avec un médecin, accompagnement administratif…) ; 90 personnes ont été hébergées depuis le 21 décembre. En ce moment, ils sont 42 à habiter les lieux, des familles, des femmes seules avec enfants, des mineurs non accompagnés. Concernant ces derniers, il faut rappeler la spécificité du département du Vaucluse. L’usage systématique de tests osseux — extrêmement contestés — permet la plupart du temps de dire que les jeunes sont majeurs et par voie de conséquence, l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) leur refuse l’hébergement, les laissant ainsi à la rue. Des bénévoles, parmi ceux de Rosmerta notamment, ont déjà pris en charge des mineurs isolés laissés pour compte par l’administration. Localement c’est le conseil départemental qui est le seul responsable légal des jeunes mineurs ce qui pose des problèmes.
Mineurs non accompagnés : l’abandon des institutions
« Nous avons appris récemment, concernant les mineurs non accompagnés, qu’il existe désormais un fichier national. Ceux qui sont inscrits sur ce fichier seraient ainsi refoulés de toutes les ASE. Plusieurs motifs pourraient être utilisés, comme le fait que l’âge allégué par le jeune ne correspond pas à son physique, que son parcours de migration n’est pas cohérent, les tests osseux… Ceux qui passent par l’Espagne, par exemple, se font passer pour majeurs pour éviter les camps pour mineurs en place et traverser le pays. Ils sont souvent arrêtés en France par la police de l’air et des frontières, et se voient signifier une obligation de quitter le territoire avec une interdiction de retour pendant un an. Les documents d’identité que possèdent ces jeunes ne sont jamais pris en compte… Nous, nous partons du principe que leur situation leur ouvre un droit à la fraude. Exploités dans certains pays, condamnés à l’exil… On est pourtant loin de la fraude fiscale. La focalisation sur l’immigration, présentée comme un danger et une menace, masque le problème, trop souvent passé sous silence, de la politique néocoloniale de la France en Afrique. Il ne faut pas oublier que les premières frontières que rencontrent ces exilés sont d’abord en Afrique. Et tout cet argent pour bloquer les gens là-bas pourrait être plus utile ailleurs.
Le département a aussi pour compétence l’hébergement des femmes seules avec enfants de moins de trois ans mais ne les prend pas en charge.
Quand au 115, le numéro d’urgence pour l’hébergement, il renvoie les demandeurs d’asile à Marseille. Comme le précise Philippe, « une maman a téléphoné trois jours de suite et s’est vue opposer sa situation irrégulière, le manque de place… » L’utilité de l’action des bénévoles fait sens au regard des manques en matière d’hébergement stable et inconditionnel. « Aujourd’hui l’archevêque, représentant légal du propriétaire, dit que le préfet a les moyens d’héberger toutes les personnes qui sont ici, mais au regard des chiffres officiels sur les gens dans la rue et le nombre de places prévues, il est permis d’en douter. La maman dont je parle a finalement été logée au foyer des jeunes travailleurs de Bonaventure, mais a été mise dehors au bout de quelques jours avec injonction de se rendre à Marseille alors qu’elle n’a pas d’argent. »
La justice indulgente ?
Rosmerta n’est pas le seul lieu qui aie été réquisitionné, ni à être soumis à une procédure d’expulsion. Mais les choses sont peut-être en train de changer « la justice commence à peser la question de l’intérêt supérieur de l’enfant. Vaut-il mieux les laisser dormir dehors ou dans un lieu réquisitionné ? On a l’exemple récent de Villeurbanne et de Veynes, où après le jugement, il est laissé plusieurs mois aux occupants pour quitter les lieux. Pour Veynes, le jugement de septembre 2018 fixe la limite de l’évacuation à septembre 2019… Pour Villeurbanne, cela a été jugé en avril, avec évacuation d’ici septembre. De plus, là-bas, la municipalité a en quelque sorte officialisé les squats en créant une commission « mieux accueillir ». Autre jugement à Marseille, le 6 mai dernier, l’audience a tout bonnement été reportée au 27 juin ».
Christophe Coffinier
Voir aussi : Se poser enfin après le voyage de l’horreur