En visite officielle en Algérie du 25 au 27 août, Emmanuel Macron  tente d’aplanir les tensions entre les deux pays, notamment depuis que le président français a, en septembre 2021, reproché au système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance.


 

Le président français, Emmanuel Macron, a entamé jeudi 25 août une visite officielle de trois jours en Algérie, destinée à tourner la page des brouilles et à « refonder » une relation qui reste marquée par le poids du passé. Accompagné d’une importante délégation comprenant sept ministres, le chef de l’État sera accueilli par son homologue, Abdelmadjid Tebboune. Cette visite coïncide avec le 60e anniversaire de la fin de la guerre et la proclamation de l’indépendance de l’Algérie en 1962.

C’est la deuxième fois que M. Macron se rend en Algérie en tant que président, après une première visite en décembre 2017, au tout début de son premier quinquennat. Les relations entre les deux pays s’annonçaient alors prometteuses avec un jeune président français, né après 1962 et libéré du poids de l’histoire, qui avait qualifié la colonisation française de « crime contre l’humanité ».

 

Nécessité politique et économique

 

Les relations entre les deux pays ont rapidement tourné court, rattrapées par des mémoires qui restent difficilement conciliables après 132 ans de colonisation, une guerre sanglante et le départ d’un million de Français d’Algérie en 1962. M. Macron a multiplié les gestes mémoriels, reconnaissant la responsabilité de l’armée française dans la mort du mathématicien Maurice Audin ou de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel durant la Bataille d’Alger en 1957. Il a dénoncé des « crimes inexcusables » lors du massacre de manifestants algériens pacifiques à Paris le 17 octobre 1961. Mais les excuses attendues par Alger pour la colonisation ne sont jamais venues, contrariant la main tendue mémorielle de M. Macron et ajoutant aux malentendus et frustrations.

En octobre 2021, des propos du président français reprochant au « système polico-militaire algérien » de surfer sur la « rente mémorielle » et les interrogations du chef de l’État sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation ont fini de consommer la rupture. M. Macron a fait depuis amende honorable et les deux présidents ont décidé de remettre sur les rails le partenariat entre les deux pays.

« Eu égard au risque d’instabilité au Maghreb, aux conflits au Sahel et à la guerre en Ukraine, l’amélioration des rapports entre la France et l’Algérie s’impose comme une nécessité politique », estime le politologue algérien Mansour Kedidir dans un propos recueilli par l’AFP.

Depuis le début de la guerre en Ukraine fin février, l’Algérie, un des dix premiers producteurs mondiaux de gaz, est très sollicitée par des Européens pressés de réduire leur dépendance à l’égard du gaz russe. Le gaz algérien n’est « vraiment pas l’objet de la visite », assure toutefois l’Élysée.

Les deux présidents s’entretiendront notamment de la situation au Mali, d’où l’armée française vient de se retirer, et de l’influence russe grandissante en Afrique. L’Algérie joue un rôle central dans la région en raison de ses milliers de kilomètres de frontières avec le Mali, le Niger et la Libye. Elle est en outre proche de la Russie, son premier fournisseur d’armes.

La question des visas attribués par la France sera aussi au cœur des discussions, Emmanuel Macron ayant décidé en 2021 de les diviser par deux face à la réticence d’Alger à réadmettre des ressortissants indésirables en France.

 

Droits humains et liberté de la presse menacés

 

Jeudi, après quelque deux heures et demie d’entretien privé, « les deux dirigeants ont tenu, au cours d’une (communication aux journalistes) encadrée par un protocole strict et sans qu’aucune question ne puisse être posée, à afficher leur entente », relève Le Monde.

Dans une lettre ouverte, la Diaspora algérienne en France met en garde Macron « contre sa tentation à cautionner le régime militaire despotique ». Les organisations signataires pointent « l’état actuel des droits humains en Algérie » (lire ici) et dénoncent « une politique répressive inédite » en réponse au « mouvement populaire pacifique et massif – le Hirak – né il y a trois ans en Algérie ». « Les quelques acquis obtenus au prix de décennies de lutte et d’engagement citoyen sur la liberté d’expression, d’organisation, de manifestation, de presse et de l’activité politique sont en net recul, voire en voie de disparition », concluent-elles.

Dans un communiqué, le SNJ CGT s’inquiète de situation de la presse et des journalistes algériens, notamment du quotidien francophone El Watan et ses 150 salariés. « Les journalistes du quotidien, créé au début des années 1990 et aujourd’hui menacé de disparition, ont fait grève en juillet pour exiger le paiement de leurs salaires. Si les problèmes du journal ont aussi d’autres causes, ils s’expliquent notamment par le fonctionnement de l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep). Chargée de répartir dans la presse la publicité institutionnelle émanant de l’État, elle favorise les titres qui lui sont favorables et sanctionne les autres. »

La réforme du code pénal algérien punit de prison, depuis 2020, ce qu’il qualifie de « fausses nouvelles » et de « discours haineux », portant atteinte « à l’ordre et à la sécurité nationale » et à « la sûreté de l’État et à l’unité nationale », rappelle le syndicat de journaliste qui avait dénoncé lors de son congrès de juin 2021 le retrait de l’accréditation de France 24 en Algérie, dont le correspondant et le JRI (journaliste reporter d’images) avaient,  « été détenus sans raison » et l’expulsion du directeur de l’AFP à Alger en 2019.

Reste que dans le contexte actuel, le président français Emmanuel Macron ne devrait pas ouvrir le chapitre des droits de l’homme ni celui de la liberté de la presse en Algérie pour ne pas mettre de l’eau dans le gaz.

Jean-Marie Dinh

avec AFP

 

Voir aussi : Histoire de la citoyenneté en Algérie/1  –  Histoire de la citoyenneté en Algérie/2 Histoire de la citoyenneté en Algérie/3

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.