Jour J. Dimanche 30 mars, les marcheuses — pour le moment, elles ne sont que des femmes — sont sur le départ : une traversée de 3 000 kilomètres, pendant deux mois, afin d’exiger la libération de tous les prisonniers politiques sahraouis depuis Ivry (Val-de-Marne) jusqu’à Kénitra, au Maroc.
À la tête du périple Claude Mangin, 68 ans, militante anticolonialiste et membre active de l’association des Amis de la République Arabe Sahraouie Démocratique (AARASD). Son époux, Naâma Asfari, est détenu arbitrairement au royaume chérifien, avec dix-huit autres camarades, suite au démantèlement brutal du camp de Gdeim Izik par les forces de l’ordre marocaines, le 8 novembre 2010. Un déchaînement de violence qui a fait onze morts côté policiers, selon les autorités marocaines, et trente-six sahraouis, d’après le Front Polisario.
Un mois auparavant, les Sahraoui.e.s avaient installé un campement de 20 000 tentes traditionnelles (Khaimas) à 12 kilomètres de Laâyoune, la capitale du Sahara occidental, un territoire occupé par le Maroc depuis cinq décennies. La population sahraouie revendiquait des droits sociaux et économiques refusant la politique marocaine d’apartheid à son égard sur sa terre. Naâma Asfari a été condamné à 30 ans de prison par un tribunal militaire suite à deux procès illégaux, ses compagnons ont écopé de 20 ans de réclusion à perpétuité. En 2016, le Comité contre la torture de l’ONU condamnait le Maroc pour faits de torture sur Naâma. En représailles, Claude y était interdite de séjour. En 2023, les Nations Unies exigeaient la libération de Naâma tout en dénonçant l’interdiction de visite de Claude. Pour rappel, entre 2020 et 2021, son téléphone était espionné via le logiciel israélien Pegasus.
Trois mille kilomètres pour rendre la lumière aux prisonniers
La professeure d’histoire, Claude Mangin, tombe en amour comme on dit à Québec, de l’étudiant en droit international à Paris et militant sahraoui, Naâma. Les noces sont célébrées à Tan Tan (sud marocain au bord de l’Océan atlantique) en 2003. Mais l’idylle sera de courte durée puisque le couple n’aura connu que sept ans de vie commune. Opiniâtre, la Pasionaria du Sahara libre entame une grève de la faim de trente jours, en 2018, pour le droit de voir son amoureux au parloir. Devant cette négation, elle se lance aujourd’hui sur la route, avec ses accompagnatrices, qui la conduira dans douze villes françaises et onze communes espagnoles pour que le Maroc respecte le droit international. Mi-avril, la Marche fera escale à Toulouse, puis Béziers et enfin Perpignan avant de gagner la péninsule ibérique longeant la côte méditerranéenne jusqu’à Algésiras. En ferry, Tanger est à peine à 37 kilomètres.
Une traversée de 3 000 kilomètres pour la libération de tous les prisonniers politiques sahraouis. Ceux du groupe de Gdeim Izik : ils sont dix-neuf, dont huit sont condamnés à la prison à perpétuité. « L’arrestation et la détention du groupe des défenseurs des droits humains sahraouis sont intervenues en réponse à l’exercice d’expression et à la liberté de réunion dans le camp de Gdeim Izik », souligne le texte des procédures spéciales des Nations Unies 1, le 20 juillet 2017.
Il y a aussi le groupe « Les compagnons d’El Ouali » 2, parmi quinze étudiants sahraouis en détention arbitraire, cinq restent en prison. Huit autres sahraouis ne font partie d’aucun groupe.
Traitement barbare à l’encontre de Mohamed Lamin Haddi
Le cas de Mohamed Lamin Haddi est emblématique de l’inhumanité à laquelle sont confrontés les prisonniers sahraouis. Journaliste à Équipe média et correspondant à la radio de la RASD, Mohamed, alors âgé de 20 ans, a été arrêté par les services secrets marocains le 23 novembre 2010, deux semaines après la destruction du campement de Gdeim Izik. Il a constamment été menotté, les yeux bandés, sans eau ni nourriture. Suite à des aveux obtenus sous la contrainte et la falsification de preuves, le jeune journaliste a été accusé d’« actes violents » contre des fonctionnaires en exercice « avec l’intention de tuer ». Et condamné à 25 ans d’emprisonnement, le 17 février 2013, par le Tribunal Militaire de Rabat et par la Cour d’Appel de Salé (Rabat), arrêt du 19 juillet 2017, dans le procès du Groupe de Gdeim Izik. En 2021, il a entamé soixante-neuf jours de grève de la faim, depuis il a de graves problèmes de santé : infection de l’oreille provoquant de fortes fièvres et de terribles douleurs à cause des coups subis sous la torture, septicémie et tumeur grave, début de cécité. L’administration pénitentiaire a toujours refusé de l’envoyer à l’hôpital. L’homme de 44 ans est enfermé dans une cellule souterraine sans fenêtre et placé en isolement depuis sept ans à la prison de Tiflet 2 (à l’est de Rabat). Inquiète, sa famille ne peut plus communiquer avec lui.
La cruauté du régime monarchique de Mohamed VI, fils, n’a rien à envier à celui en vigueur sous Hassan II, père. Malgré les mobilisations en Espagne pour alerter le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, le gouvernement espagnol ne bouge pas d’un pouce. Pire encore, son chef, Pedro Sanchez, a tourné le dos à la cause sahraouie3.
C’est au peuple sahraoui de décider de son destin
L’État français préfère voir piétiner les droits de l’Homme que perdre ses intérêts économiques. Ces pays se comportent comme des vassaux des États-Unis qui ont reconnu, les premiers, la marocanité du Sahara occidental4. Quid du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme le prévoyait le référendum de 1991 sous l’égide de l’ONU ? C’est au peuple sahraoui à décider de son destin 5.
Cette marche de solidarité avec le peuple sahraoui et les prisonniers politiques est une première dans notre pays et pour le Sahara occidental. Fin mai, marcheuses et marcheurs vogueront sur la Méditerranée et se rendront à Kénitra, le 2 juin, devant la prison où sont détenus arbitrairement de nombreux sahraouis, dont Naâma Asfari. L’association marocaine des droits de l’homme (AMDH) et la Voie démocratique, parti marxiste-léniniste, les accueilleront.
Le monarque, tout puissant, laissera-t-il s’exprimer les manifestant.e.s ? En France, les yeux et les oreilles du « Makhzen »6 œuvrent déjà à semer des embûches sur le chemin des combattant.e.s de la Liberté. Comme le disait dans nos colonnes Claude Mangin : « La libération des Sahraouis libèrera le peuple marocain ».
Piedad Belmonte
Mobilisation pour la libération des prisonniers politiques sahraouis.
En savoir plus : Marche pour la liberté 2025
Notes:
- Les procédures spéciales désignent la liste des mécanismes établis par le Conseil des droits de l’homme pour rendre compte et conseiller sur les droits de l’Homme d’un point de vue thématique et national. Elles couvrent tous les droits de l’Homme : civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, ainsi que les questions relatives à des groupes spécifiques.
- Le groupe est nommé en hommage à Mustapha El Ouali, cofondateur du Front Polisario en 1973.
- Le chef du gouvernement espagnol a trahi le programme électoral du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), en 2019, qui promettait, page 286, de respecter le principe à l’autodétermination du peuple sahraoui.
- Le Maroc a été le quatrième pays arabe à signer les accords d’Abraham, en décembre 2020. Il établissait des relations diplomatiques avec Israël, en contrepartie les États-Unis gouvernés par Donald Trump reconnaissaient la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
- En 1975, la Cour internationale de justice reconnaît le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Dans deux résolutions, l’Assemblée générale onusienne a qualifié d’occupation la présence marocaine au Sahara occidental. L’une, 34/37, adoptée le 21 novembre 1979, l’autre, 35/19, adoptée le 11 novembre 1980. Dans un arrêté du 22 septembre 2022, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a observé que « l’ONU et l’UA reconnaissent la situation de la RASD comme une situation d’occupation et considèrent le territoire de celle-ci comme l’un des territoires dont le processus de décolonisation n’est pas encore totalement achevé ».
- Le pouvoir tentaculaire du monarque marocain.