Chaque semaine pour écrire cet article sur la situation à Gaza j’essaie de partir de la situation sur le terrain et des textes d’Abu Amir reçus au jour le jour, de trouver les mots pour dérouler un sujet de manière synthétique, d’ argumenter une position, bref d’écrire et aujourd’hui je reprendrai les mots d’Abu Amir revenant de plus en plus dans ses derniers textes : «  Je ne sais pas comment commencer à écrire …»


 

Devant cette question qui ne cesse de me hanter : comment les arrêter, qui va les arrêter, qui peut les arrêter, les Israéliens dans leur massacre de Gaza. Et je me heurte à l’incapacité du monde à protéger un droit élémentaire qui est celui de la vie !

Devant le constat qui est celui de l’inefficacité totale de la parole, la réalité étant sous nos yeux intraitable horrible, commentée jusqu’à l’absurde parfois sur les plateaux et dans les médias. L’horreur perpétrée par l’État Israélien en toute impunité, soutenu par une conspiration internationale du silence. Alors il resterait la poésie pour en parler sans honte….

Hend Jouda / هند جودة, poète et nouvelliste palestinienne, productrice radio, née et vivant au camp de réfugiés al-Bureij à Gaza, désormais réfugiée en Egypte.

« Le Musée du Génocide s’étend, se diversifie : vous ne vous ennuierez pas en notre compagnie !

Cette guerre continue de vous émerveiller, ses spectacles scintillent dans la lumière comme dans l’obscurité.

Crânes entiers ou fendus, os de jambes dans des boîtes en carton, mâchoires détachées, chiens affamés, vêtements dépouillés de leurs propriétaires inconnus…

Chaque jour, les morts vous regardent à travers nos yeux, nos bouches, nos larmes, et chaque jour, les tueurs se moquent de nous et de vous ! »1

 

Ce dimanche 17 Août voilà ci dessous le texte envoyé par Abu Amir qui réécrit à quel point la situation devient insoutenable :

«  Au cœur d’une tragédie qui dure depuis plus de deux ans, la voix des Gazaouis s’élève aujourd’hui pour dire clairement et sans détour : assez de guerre, assez de destruction, assez de mort. Ce ne sont pas des paroles passagères ni de simples réactions émotionnelles, mais la conclusion d’une expérience collective d’un peuple ayant subi les pires formes de siège, de massacres et de déplacements de l’époque moderne. C’est un message que la rue gazaouie adresse directement à la délégation de négociation : acceptez l’accord, quelles qu’en soient les conditions, l’essentiel est que cette guerre cesse.

Depuis plus de deux ans, Gaza vit dans un état de guerre ouverte, qui n’a rien laissé intact. Plus aucun endroit n’est sûr dans la bande, aucune maison n’a échappé à la destruction ou au deuil. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées à plusieurs reprises, passant des ruines aux tentes, puis des tentes au grand air, dans une quête impossible d’abri. Rafah a été effacée et totalement occupée, le nord de Gaza n’est plus qu’un souvenir, Khan Younès est devenue un champ de ruines, et la ville de Gaza elle-même est réduite à quelques mètres carrés à l’ouest et à quelques poches au centre. La majorité de la population est aujourd’hui entassée dans des espaces étroits, dans des conditions indignes même pour des animaux, à plus forte raison pour des êtres humains.

Les bases de la vie ont disparu. L’eau est rare et polluée, insuffisante pour boire ou cuisiner. La nourriture est inexistante ou hors de prix, acheminée par des voies complexes et en quantités qui ne suffisent pas à calmer la faim. Les hôpitaux sont en grande partie détruits, les médicaments rares, et les médecins travaillent avec un manque criant de matériel. La majorité des habitants n’ont plus de maisons : ils vivent sous des tentes déchirées ou à ciel ouvert, tandis que la mort peut frapper du ciel, de la terre ou de la mer à tout instant. Aujourd’hui, le peuple gazaoui vit littéralement dans une zone de mort, sans sécurité, sans avenir, ni même un mince espoir d’un lendemain meilleur si la guerre continue.

La résistance a toujours affirmé être le bouclier protecteur du peuple, et que ses armes défendaient la terre et l’homme. Mais que se passe-t-il lorsque ce peuple se retrouve au bord de l’anéantissement ? La douloureuse question que se posent beaucoup de Gazaouis aujourd’hui est : à quoi sert la résistance si elle n’est plus capable de protéger son peuple, ni même de garantir sa survie ? En réalité, ce qui reste des combattants affronte, avec des armes légères, l’une des plus puissantes armées du monde. Des milliers de morts sont tombés, les blessés sont sans soins, et les survivants sans abri. La résistance a perdu sa capacité à imposer une réalité militaire qui change l’équation, tandis que le peuple en paie le prix total.

En principe, toute résistance exprime la volonté du peuple. Mais dans la situation actuelle, un fossé évident sépare ce que vivent les gens sur le terrain et les décisions prises dans les salles de négociation. Le message que les Gazaouis veulent faire entendre est clair : nous sommes ceux qui payons le prix, qui mourons, qui avons faim, qui sommes déplacés et qui vivons l’horreur quotidienne. Donc, nous devons être les premiers décideurs de notre destin.

Les habitants de Gaza savent qu’un accord, aujourd’hui, sera « défaitiste » selon les critères politiques, mais ils se soucient bien moins de ces critères que de l’arrêt du bain de sang. Le choix devant les négociateurs est simple et binaire : un accord, quelles qu’en soient les conditions, qui permette aux survivants de rester en vie, ou la poursuite de la guerre jusqu’à la destruction totale de Gaza et un génocide. Beaucoup disent clairement que la défaite politique peut être réparée avec le temps, mais que les vies perdues ne reviendront jamais.

La rue gazaouie décrit une terreur quotidienne dépassant la capacité humaine de résistance. Les bombardements ne cessent pas, les obus secouent les maisons et les tentes, les enfants hurlent chaque nuit, et les mères sont incapables de nourrir ou de protéger leurs petits. Des centaines de morts tombent chaque jour. Et quiconque vit à l’ouest de Gaza sait que ce qui le sépare des chars, ce n’est qu’une « décision » politique, qui peut être prise à tout moment.

Cette guerre a prouvé qu’aucun véritable soutien extérieur existe pour Gaza. Ceux qui comptaient sur un appui régional ou international ont découvert qu’il s’agissait d’une illusion. Même les millions de partisans sur les réseaux sociaux, que les Gazaouis remercient sincèrement, n’ont pas réussi à changer la réalité : les massacres continuent, encore plus terribles qu’avant. Même les frères de la cause, en Cisjordanie ou dans les pays arabes, n’ont pas apporté l’aide espérée. Cette vérité amère renforce le sentiment d’isolement et d’orphelinat politique des Gazaouis.

Beaucoup affirment croire en Dieu et en Son destin, mais refusent de confondre foi et témérité. La victoire sur terre n’est pas garantie aux croyants, la défaite n’est pas une honte si l’objectif est de sauver des vies. La sagesse est toujours un salut, aujourd’hui, elle exige d’arrêter immédiatement la guerre.

La délégation de négociation est face à un choix historique, non seulement politique mais aussi humain. Elle doit écouter la voix du peuple avant toute autre, et se rappeler que ceux qu’elle représente vivent sous les bombardements, perdent leurs enfants chaque jour, et se trouvent au seuil de l’extermination. Le message est limpide : donnez tout ce qui est possible pour arrêter cette guerre, quel qu’en soit le prix. Tout retard ou hésitation ne mènera qu’à exécuter la volonté de l’occupant, mais de manière encore plus atroce et sanglante.

Cet article reflète clairement le message de la rue gazaouie : la vie d’abord, la survie avant toute considération politique ou militaire. La résistance sans peuple n’est rien, alors qu’un peuple sans résistance peut peut-être se relever un jour, s’il reste en vie. Au bout du compte, nous voulons la vie, pas la mort gratuite. Nous avons payé le prix doublement, enduré ce qu’aucune montagne ne pourrait supporter, et patienté jusqu’à ce que toute signification du mot patience s’épuise en nous. Il ne nous reste que ces mots : arrêtez la guerre, à n’importe quel prix.

S’accrocher à la résistance ne doit pas signifier sacrifier le peuple jusqu’au dernier souffle, car une résistance sans peuple devient un souvenir effacé. Toute décision ignorant la voix de ceux qui meurent chaque jour est une décision déracinée, condamnée à l’échec moral avant même politique. La délégation de négociation est aujourd’hui face à un examen historique : soit elle se range sans ambiguïté du côté des Gazaouis, soit elle les laisse seuls face à un nouveau massacre. La défaite temporaire est infiniment préférable à l’extermination totale, et un retrait en arrière pourrait être la seule voie pour avancer de nouveau un jour.

Cette guerre a prouvé que les slogans seuls ne protègent pas un enfant des bombardements, ne donnent pas à une mère de l’eau potable pour son bébé, ni à un homme un abri contre le froid de la nuit. Ce qui protège le peuple maintenant, c’est l’arrêt immédiat des tueries et le retour à la vie pour ceux qui restent. Gaza ne peut plus supporter davantage. Il n’y a plus de place dans son corps pour une balle de plus, ni dans son cœur pour un nouvel adieu. Arrêtez cette folie, avant que nous ne nous réveillions dans une ville où il n’y a plus personne pour raconter son histoire. »

Ce texte est à méditer pour nous qui sommes à l’abri et ce sont mille bateaux pour briser le blocus , mille campements contre le génocide sur les places de nos villes européennes qui doivent fleurir pour Gaza !

Brigitte Challande

 

Avant de quitter cette page, un message important.

altermidi, c’est un média indépendant et décentralisé en régions Sud et Occitanie.

Ces dernières années, nous avons concentré nos efforts sur le développement du magazine papier (13 numéros parus à ce jour). Mais nous savons que l’actualité bouge vite et que vous êtes nombreux à vouloir suivre nos enquêtes plus régulièrement.

Et pour cela, nous avons besoin de vous.

Nous n’avons pas de milliardaire derrière nous (et nous n’en voulons pas), pas de publicité intrusive, pas de mécène influent. Juste vous ! Alors si vous en avez les moyens, faites un don . Vous pouvez nous soutenir par un don ponctuel ou mensuel. Chaque contribution, même modeste, renforce un journalisme indépendant et enraciné.

Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel. Merci.

 

Notes:

  1. Texte publié le 12 août sur son compte Facebook : https://www.facebook.com/hend.hjsj traduction Henri jules Julien
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.