« Il ne faut pas franchir l’Euphrate. Au-delà de l’Euphrate, c’est le domaine des aventuriers et des bandits. » Testament d’Auguste. L’affirmation est énorme mais correspond néanmoins à la réalité. Et ses conséquences sont gravissimes pour le leadership américain.

Les États Unis ont mordu la poussière en Asie, à deux reprises, en moins d’un demi siècle. Par deux fois : La première fois en 1975 au Vietnam, première victoire d’un peuple du tiers-monde sur la première puissance planétaire militaire à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine ; La deuxième fois en 2021 en Afghanistan face à leur ancienne créature, les Talibans, à l’apogée de l’unilatéralisme américain.

Ces deux défaites américaines en Asie, en moins d’un demi-siècle, ont sérieusement terni le prestige des États Unis et retenti comme le glas du magistère impérial américain, de la même manière que la défaite française de Ðiện Biên Phủ, en 1954, face à ces mêmes Vietnamiens, avait sonné le glas de l’Empire français.

Les défaites occidentales en Asie paraissent ainsi justifier à posteriori la prophétie d’Auguste consignée dans son testament : « Il ne faut pas franchir l’Euphrate. Au-delà de l’Euphrate, c’est le domaine des aventuriers et des bandits ».

Que n’a-t-on révisé nos classiques ? Décideurs, intellectuels médiatiques évolutifs, tous ces transfuges de la gauche mutante, postillonneurs à tout crin, mercenaires de la plume, oracles de l’avènement du Meilleur des mondes, qui ont franchi l’Euphrate par leur bellicisme effréné, reniant leur conviction de jeunesse par vanité sociale, cupidité matérielle ou assujettissement communautariste.

La prophétie d’Auguste semble se réaliser. L’Afghanistan et l’Irak, les deux points noirs du XXIe siècle naissant auront été le cauchemar de l’Occident.

L’Afghanistan, le Vietnam de l’Empire soviétique, est devenu à son tour le nouveau Vietnam américain, solidement quadrillé par des puissances nucléaires, la Chine, l’Inde et le Pakistan, désormais interlocuteurs majeurs de la scène internationale, alors que l’Irak, dommage collatéral d’un jeu de billard pipé par George Bush Jr, victime expiratoire des turpitudes saoudiennes, relayait l’Afghanistan dans sa fonction de point de fixation des abcès du Moyen-Orient, le dérivatif au conflit palestinien… avant de laisser la place à la Syrie.

 

Une stratégie hybride

 

Grand vainqueur d’un bras de fer de vingt ans, les Talibans ont contraint les États-Unis à se retirer d’Afghanistan quelques semaines avant la date hautement symbolique du 11 septembre 2021.

À la mi juillet 2021, les Talibans avaient assuré le contrôle de 85 % du territoire, verrouillant les frontières du pays, contraignant les Américains et leurs alliés occidentaux à accélérer leur retrait.

Une véritable débandade. Cet exploit a été réalisé à la faveur d’une stratégie hybride combinant négociations et guérilla. Pour empêcher la prise de Kaboul après leur départ, les Américains ont confié la sous-traitance de la protection de l’aéroport de la capitale afghane à la Turquie, unique puissance musulmane de l’Otan et mis sur pied une armée de 300 000 soldats suréquipée d’un armement moderne à la disposition du président Achraf Ghani1, encadrée par des mercenaires des compagnies militaires privées.

Ce résultat qui fera date dans les annales de l’histoire est comparable, par son retentissement au niveau de l’opinion mondiale, à la victoire des Vietnamiens contre les mêmes États-Unis, en 1975. Il devrait avoir vocation à servir d’exemple aux États arabes mus par un mouvement de reptation collective en direction d’un État supposé être leur ennemi officiel, Israël.

À ce jour, pour rappel, seul le Hezbollah a réussi à provoquer le dégagement israélien du sud Liban, sans négociations ni traité de paix, fait unique dans la polémologie internationale.

 

La plus longue guerre conventionnelle des États Unis

 

La guerre d’Afghanistan aura été la plus conventionnellement longue des États Unis (2001-2021) et aura coûté la vie à 2 400 soldats et 21 000 blessés américains, grevant le budget américain de deux trillions de dollars (deux mille milliards de dollars).

Georges Bush Jr avait envahi l’Afghanistan en représailles au raid du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine pour châtier les Talibans et leurs alliés d’Al-Qaïda. Quatre présidents américains (George Bush Jr, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden) se sont appliqués depuis lors à pacifier le pays.

Le retrait américain acte, paradoxalement, la défaite américaine devant leur ennemi, jadis leur principal allié contre l’Union soviétique.

Au Vietnam (1960-1975), les États-Unis avaient plié bagage à la chute de Saïgon, un désastre militaire mémorable, débouchant sur la réunification du Vietnam au terme d’une double défaite de deux puissances occidentales majeures, la France, en 1954, avec la capitulation de Ðiện Biên Phủ et les États-Unis en 1975, avec la débandade de l’ambassade américaine et son dégagement précipité de l’ancienne capitale du Sud Vietnam.

L’Afghanistan qui a largement contribué à l’implosion de l’Union soviétique a épuisé la puissance américaine en ce que cette séquence a marqué la fin de six siècles d’hégémonie absolue occidentale sur le reste de la planète, en même temps que l’émergence d’un monde post-occidental et la constitution d’une nouveau bloc géopolitique de l’Eurasie, formé par l’alliance de la Chine, de la Russie et de l’Iran, le groupe contestataire à l’hégémonie occidentale.

Les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) sont sans appel : La Chine devrait se substituer aux États-Unis en accédant au rang de première puissance économique au niveau planétaire à l’horizon de l’an 2035, dans un monde en mutation accélérée, et les pétromonarchies du Golfe vont voir poindre le risque d’une faillite financière si leurs économies demeuraient connectées à l’économie américaine, les contraignant à recourir à l’emprunt pour leurs dépenses courantes.

En un siècle, l’érosion de l’Occident face à l’Asie est manifeste. Sur les sept puissances économiques mondiales du XXIe siècle figurent trois pays asiatiques : La Chine (1ère), le Japon (3e) et l’Inde (6e), dont deux pays (Chine et Inde) sous domination occidentale au début du XXe siècle, et le 3e, le Japon, vitrifié par les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki (Août 1045) et grand vaincu de la IIe Guerre mondiale (1939-1945).

Ces trois surpassent désormais la France et talonnent de près le Royaume-Uni, les deux pays européens qui furent à la tête des deux grands empires coloniaux au début du XXe siècle.

Le décès de Donald Rumsfeld : clin d’œil de l’histoire ou intersigne du destin ? Hasard de la vie, clin d’œil de l’histoire ou inter-signe du destin ? Quoi qu’il en soit, la disparition de Donald Rumsfeld, ancien secrétaire à la défense américain et architecte des guerres d’Irak et d’Afghanistan, le 29 juin 2021, à 89 ans, à trois mois du retrait américain d’Afghanistan, a retenti comme un acte à forte charge symbolique signifiant la fin d’une séquence calamiteuse pour les États-Unis en Asie.

Et pour celui qui se vivait comme le « JFK républicain » (John Fitzgerald Kennedy), le ministre de la défense le plus puissant des États-Unis depuis la fin de la IIe Guerre mondiale, le point final d’une carrière belliqueuse de près de quarante ans.

Co-auteur avec l’amiral Arthur Cebrowski de la doctrine de « la Guerre sans fin » cet ultra-faucon a été, à 43 ans, le plus jeune secrétaire à la défense des États-Unis, sous Gerald Ford, entre 1975 et 1977, puis, le plus âgé, à 74 ans, sous George W. Bush en 2001. De la prison de Guantanamo (Cuba) à celle d’Abou Ghraib (Irak), son nom reste attaché à quelques-unes des pages les plus sombres de la « guerre globale contre le terrorisme », le concept qu’il a revendiqué après les attentats du 11 septembre 2001. Et les guerres en Irak et en Afghanistan ont montré que les vieux conflits terrestres résistaient aux nouveaux paradigmes de la « war on terror » face aux guerres asymétriques initiées par les adversaires de l’hégémonie américaine.

 

Le gros caillou pakistanais dans les sabots américains

 

Gros caillou supplémentaire dans le sabot américain : Le Pakistan, l’ancien « Bodyguard » de la dynastie saoudienne et base arrière d’Al-Qaïda dans la guerre antisoviétique d’Afghanistan, ne permettra pas aux États-Unis d’utiliser ses bases militaires, y compris pour d’éventuelles opérations en Afghanistan après le retrait des forces américaines de ce pays. Une fermeture dictée aussi par le souci d’éviter que les insurgés pakistanais, avatars de leurs confrères afghans, ne se renforcent au Pakistan contre le gouvernement d’Islamabad.

Sous l’autorité d’Imrane Khan Niazi, maître d’œuvre du ravalement cosmétique du Pakistan, un pays à la réputation jadis sulfureuse, Islamabad a confirmé ainsi concrètement sa ferme adhésion à l’axe eurasien et multipolaire d’un monde post-occidental. Mais face à ce retournement de situation, l’Inde, nouvel allié stratégique des États-Unis face à la Chine et au Pakistan, aurait vocation à maintenir à flot le président pro-américain d’Afghanistan, M. Achraf Ghani, face aux assauts des Talibans.

René Naba

 

 Photo Dr. USA/Afghanistan le testament d’Auguste en point de mire.

 21/août 2021 article publié en partenariat avec Manadiya info

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Notes:

  1. Le président Ghani a finalement décidé de fuir le pays le 15 août, avec sa femme et des soutiens politiques, quelques heures avant la chute de Kaboul. Trois mois auparavant, il déclarait pourtant au magazine allemand Der Spiegel : « Aucun pouvoir au monde ne pourra me forcer à prendre un avion et quitter ce pays. C’est un pays que j’aime et je mourrai en le défendant. »
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René Naba est un écrivain et journaliste, spécialiste du monde arabe. De 1969 à 1979, il est correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France-Presse (AFP) à Beyrouth, où il a notamment couvert la guerre civile jordano-palestinienne, le « septembre noir » de 1970, la nationalisation des installations pétrolières d’Irak et de Libye (1972), une dizaine de coups d’État et de détournements d’avion, ainsi que la guerre du Liban (1975-1990), la 3e guerre israélo-arabe d'octobre 1973, les premières négociations de paix égypto-israéliennes de Mena House Le Caire (1979). De 1979 à 1989, il est responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP], puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, chargé de l'information, de 1989 à 1995. Membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), de l'Association d'amitié euro-arabe, il est aussi consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) depuis 2014. Depuis le 1er septembre 2014, il est chargé de la coordination éditoriale du site Madaniya info. Un site partenaire d' Altermidi.