Le Maroc empêche le débarquement à Tanger des militant.e.s prosahraoui.e.s
Après 3 000 kilomètres de sensibilisation sur le sort des prisonniers politiques sahraouis, la marche en direction de Tanger-Rabat-Kenitra pour réclamer leur libération s’est arrêtée sur les flots de la Méditerranée. Samedi 31 mai, la police marocaine, aux ordres du pouvoir royal, a stoppé l’élan de solidarité. La journaliste d’altermidi était à bord du ferry, avec treize autres personnes, embarquée depuis le port de Tarifa (Cadix).
Pourtant, tout avait bien commencé le 30 mars. Parti.e.s d’Ivry, les marcheurs et marcheuses avaient gagné plusieurs villes françaises en expliquant aux populations les objectifs de la Marche : visibiliser et dénoncer la situation des détenus sahraouis incarcérés arbitrairement dans les prisons marocaines et obtenir un droit de visite de Claude Mangin à son époux Naâma Asfari1. Ce militant de la cause sahraouie pour l’autodétermination avait été arrêté en novembre 2010 suite au démantèlement du campement de Gdeim Izik par les forces répressives marocaines. Condamné arbitrairement à 30 ans de réclusion par un tribunal militaire, Naâma est actuellement incarcéré dans une prison à Kénitra au Maroc, étape finale de la Marche.
Dans chaque ville, des associations et organisations politiques, syndicales ont accueilli la caravane solidaire par des événements à la fois culturels et politiques. Sans incident à signaler, sauf à Poitiers, Angoulême, Béziers et Perpignan où les nationalistes marocains ont essayé d’empêcher la libre expression des voix sahraouies. Dans la ville biterroise administrée par Robert Ménard, élu en 2014 grâce au soutien du Front national, un des deux journalistes sahraouis (son collègue Brahim se tenant en retrait) d’Équipe média, Limam, a subi crachats insultes et agressions. La cour de la monarchie chérifienne se sent chez elle En France où l’exécutif a toujours été l’ami du roi, dans le passé, Hassan II, père, et aujourd’hui Mohamed VI, fils.
« Le Sahara, c’est ma terre, pour rien au monde je ne l’échangerais »
Fin mai, Algésiras, en Andalousie, était l’avant-dernière étape du périple humaniste. En plein cagnard de midi, la place Alta a rassemblé des centaines de personnes avec de multiples banderoles et des drapeaux sahraouis exigeant un sahara libre et la liberté pour les prisonniers sahraouis, dont les manifestant.e.s arboraient les trente-deux portraits. Certains condamnés à perpétuité, d’autres à 20-30 ans de prison, des hommes entre la vie et la mort comme Mohamed Lamine Haddi
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Pour Omar Mohamed, 23 ans, étudiant en ingéniérie électrique, « c‘est l’un des projets [la marche de la liberté. NDLR] les plus beaux que j’ai vu dans ma vie. C’est vital pour les droits des prisonniers et contre l’oppression dans les territoires occupés ». Fatimetou Yember, 38 ans, institutrice, clame son amour : « c’est mon peuple, c’est ma terre je ne l’échangerais pour rien au monde. On n’a pas de voix, on ne nous entend pas, on n’a que le soutien des citoyens. On est là en soutien aux prisonniers détenus pour le simple fait d’être sahraouis, il faut que le monde sache qu’ils existent ».
« Quatre prisonniers placés à l’isolement depuis bientôt huit ans »
À tour de rôle, chaque manifestant.e, tenant un portrait, égrene l’identité d’un prisonnier « parce qu’ils ont une vie, une famille et un nom », annonce une voix. « Sahara libre, Polisario vaincra. Vive la lutte du peuple sahraoui ! », ponctue les différentes interventions à la tribune.
Pilier de la bataille à Madrid pour la libération des prisonniers sahraouis3, Cristina Martínez Benítez de Lugo souligne : « Cette marche longue et dure a nécessité tant d’efforts pour mettre en lumière les conditions infrahumaines des prisonniers politiques sahraouis, dont quatre sont à l’isolement depuis presque huit ans. Ceux qui sont malades ne sont pas envoyés à l’hôpital, on les laisse mourir, sans compter alors qu’ils sont injustement détenus. » Abdullah Arabi, représentant du Front Polisario4 en Espagne, relève : « Cinquante ans après, notre combat pour l’indépendance continue d’être aussi vif. La cause de la liberté des prisonniers politiques sahraouis exige notre présence ici aux côtés de Claude Mangin qui symbolise cette revendication. »
Trois élu.e.s espagnol.e.s et français.e.s accompagnent Claude Mangin
Un symbole qui fait peur au Makhzen5 qui avait déployé pléthore de policiers sur toute la surface du bateau. Peu avant 17 heures, au port de Tarifa, quatorze personnes françaises et espagnoles ont embarqué sur le ferry de la compagnie espagnole Balearia, direction Tanger au Maroc.
Parmi les passagers et passagères, il y avait Andrea Fernandez, députée d’Estrémadure de la Gauche Unie et son camarade Jorge Rodriguez, coordinateur régional de la Gauche Unie (Cadix), ex-maire de Trebujena, village de la région de Cádiz. On notait aussi la présence de deux élu.e.s d’Ivry (Val-de-Marne) : Nathalie Leruch, adjointe au maire responsable des Relations internationales et Alain Buche maire adjoint aux Sports. Au guichet du contrôle des passeports, les agents de la police marocaine ont remis les passeports sans les tamponner. Passée la première, Claude Mangin a été priée de se mettre de côté. Debout derrière la vitre, un policier photographiait l’écran des ordinateurs.
Le bateau envahi par la police secrète de « Sa Majesté »
L’on pouvait compter deux policiers, habillés en civil, pour un.e internationaliste. Arrivés à Tanger, les autres passagers ont pu descendre du ferry. Quatorze personnes ont été retenues à bord et malgré les demandes incessantes, aucune réponse n’a été apportée sur les raisons de l’interdiction de débarquer à Tanger. Quelques minutes après, les touristes et « sujets »6 marocains, qui avaient séjourné dans cette ville marocaine, montaient à bord. « C’est la première fois en trente-sept année de service que je vois ça et que je suis contrôlée par la police », témoigne choquée une employée d’équipage.
Avant d’embarquer sur le ferry, deux militantes attablées dans une cafétéria de Tarifa avaient déjà repéré des agents marocains qui les filmaient et, à l’intérieur du navire, chaque passager a été filmé. Alors qu’elle « portraitisait » les policiers en question, Elli Lorz, photographe indépendante, s’est fait arracher son portable qu’elle a ensuite pu récupérer à force de négociations7. Le policier, très agressif, en a profité pour effacer une image dérangeante. La délégation franco-espagnole a pu constater la présence du patron de la police secrète avec ses acolytes au premier étage du salon privé VIP.
Le Maroc agit comme s’il était chez lui en Espagne
On est en droit de questionner : mais que fait la police espagnole ? Que fait l’État espagnol et son gouvernement ? Comment ces exactions sont-elles possibles sur un bateau espagnol ? Ce n’est pas la première fois que des militant.e.s solidaires de la cause sahraouie se font expulser du Maroc. Depuis le début de l’année vingt-deux expulsions ont eu lieu. Parmi elles, des eurodéputé.e.s qui voulaient se rendre à Laâyoune, capitale du Sahara occidental occupé8, pour vérifier si l’annulation des accords commerciaux avec le Maroc par la Cour européenne de justice était bien respectée. Amnesty international, Human Rights Watch, le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme sont interdits de séjour dans les territoires occupés y compris les journalistes. Le régime autocratique se sent intouchable hors de son territoire national, c’est dire la complicité dont il jouit sur la péninsule ibérique et ailleurs, notamment en France et jusqu’à Bruxelles9.
Les marcheuses et marcheurs connaissent le vrai visage du Maroc
Il n’était pas question pour les militantes anticolonialistes espagnoles de descendre du bateau sans piper mot. Marian, Rosa Mari et Mercedes ont entonné un chant de résistance : « Debout debout avec le peuple sahraoui et le Polisario vaincra, à bas à bas le mur de la honte, on va le détruire. » Le déploiement d’un tel arsenal policier montre à quel point la monarchie dictatoriale, à l’image toute puissante, craint la riposte internationale à sa politique arbitraire.
Après sa sixième tentative d’approcher Naâma Asfari, Claude Mangin ne se sent plus seule, ses accompagnateurs et accompagnatrices connaissent désormais le vrai visage du Maroc : un pays qui agit en toute impunité en violant la liberté de circulation et d’opinion, les droits humains et le droit international. Un État, qui comme Israël, occupe et colonise un territoire, le Sahara occidental , avec la complicité de l’Occident.
Piedad Belmonte
« Jamais, je n’oublierai le mépris des autorités marocaines »

Nathalie Leruch, maire adjointe à Ivry (Val-de-Marne) chargée des Relations internationales et de la Lutte contre les discriminations.
L’élue ivryenne a témoigné de son voyage sur le ferry en direction de Tanger lors de la conférence de presse du dimanche 1er juin à l’Athénée d’Algésiras, organisée par l’Association de solidarité des amis du peuple sahraoui de Gibraltar. « C’est la première fois de ma vie que je n’ai pas le droit d’entrer dans un territoire qui n’a pas besoin de visa. J’ai séjourné au Maroc plusieurs fois et je n’en suis toujours pas encore revenue. C’est incroyable de ne pas connaître le motif de notre empêchement à entrer au Maroc, il n’y a eu aucune explication officielle. On a compris qu’on ne pourrait pas se rendre au Maroc quand on a vu monter les passagers. Les policiers étaient aussi nombreux que nous. Alain Buche et moi, on a vaguement entendu que l’État marocain était souverain, teinté de jacobinisme à la française, qu’ils n’avaient pas d’explication à nous donner, et la dernière phrase d’un policier : c’est Allah qui fait la loi. Alors que je pensais que Claude et Camille étaient paranos en me désignant les policiers sur le ferry, le plus important, c’est de le vivre et je comprends mieux maintenant les angoisses de Claude au sujet de son mari et de son droit de visite. Je n’oublierai jamais la suprématie totale des autorités marocaines, le mépris des policiers et des autorités marocaines à notre égard. Ivry, notre ville, a fait de Naâma Asfari son citoyen d’honneur, on espère lui remettre ce prix en main propre, on y croit. »
Notes:
- Naâma Asfari est un juriste, inlassable militant pour l’indépendance de son pays, le Sahara occidental. En octobre 2010, il devient l’un des porte-parole du campement de protestation pacifique de Gdeim Izik, installé à quelques kilomètres de Laâyoune, la capitale occupée. Les Sahraoui.e.s revendiquaient des droits socio-économiques et le droit de vivre librement sur leur terre. La veille du démantèlement, le 7 novembre, alors qu’il ne se trouvait plus dans le campement, il est enlevé à Laâyoune. En 2016, le Comité contre la torture de l’ONU condamnait le Maroc pour faits de torture sur Naâma. En représailles, Claude Mangin y était interdite de séjour. En 2023, les Nations Unies exigeaient la libération de Naâma Asfari tout en dénonçant l’interdiction de visite de son épouse.
- Journaliste, Mohamed Lamine Haddi est à l’isolement depuis huit ans dans une cellule souterraine de 5 m2 sans fenêtre. Il souffre de violentes douleurs à l’oreille à cause des séances de torture, d’une scepticémie et d’une tumeur grave, conséquences du manque de soins, il perd la vue. Trois autres prisonniers sont dans un état critique. Tous appartiennent au groupe de Gdeim Izik [dont le campement qui abritaient environ 20 000 personnes a été démantelé par les forces de l’ordre marocaines. NDLR]. Leur incarcération est une violation de la 4e convention de Genève imposant leur emprisonnement dans les territoires occupés par le Maroc où résident leurs familles. La prison la plus proche est à 500 km de la capitale occupée, Laâyoune, et la plus éloignée à plus de 1 200 km.
- Chaque lundi depuis plus de quatre ans à 11h30, un rassemblement pour la libération des prisonniers politiques sahraouis a lieu à Madrid devant le ministère des Affaires étrangères espagnol.
- Créé le 10 mai 1973 à Zouerate en Mauritanie, le Front Polisario est un mouvement politique et armé dont le but est l’indépendance du Sahara occidental, à l’époque colonie espagnole. Après le départ des Espagnols, le Maroc occupe le territoire en novembre 1975 déclenchant une guerre de guérilla qui va durer seize ans.
- Appareil étatique marocain.
- Les Marocains sont considérés comme des sujets du Roi et non pas des citoyens à travers la célébration annuelle de l’alliance et de l’allégeance. Dans son roman Loin du vacarme, l’écrivain Mohamed Berrada évoque « le malheur au Maroc, c’est le Makhzen, qui se drape d’habits multiples pour conserver et pérenniser ses privilèges, le pouvoir absolu et les traditions passéistes ». Par contre, Ahmed Ghalet, président de l’association Marocains pluriels, ex-délégué national du PS en 1991, adore son roi. Ceux et celles qui lui prêtent allégeance considèrent qu’ « il les protège », qu’« il est un guide dont la mission est de dire le bien et le mal », écrit-il sur le site Aujourd’hui le Maroc.
- Dans un précédent voyage, la police lui avait déjà confisqué un ordinateur qu’elle n’avait jamais restitué parce qu’il n’y a aucun document officiel remis de la saisie, donc aucune possibilité de réclamation. De même qu’aucun papier ne notifie l’interdiction d’entrer au Maroc. C’est le règne de l’arbitraire.
- Territoire de 266 000 km2, le Sahara occidental se situe à 50 km des Îles Canaries. Bordé par le Maroc au Nord ( frontière sur 443 km ), l’Algérie au nord-est ( frontière sur 42 km ), la Mauritanie à l’est et au Sud ( frontière sur 1 561 km ) tandis que sa côte ouest donne sur l’Atlantique. C’est un territoire « non autonome », selon l’ONU, à décoloniser.
- Une vaste enquête anticorruption (connue en décembre 2022), le Marocgate liée au Qatargate, menée en Belgique a mis en cause deux eurodéputés italien Pier Antonio Panzeri, Andrea Cozzolino et l’assistant parlementaire de ce dernier, Francisco Giorgi ( compagnon de l’eurodéputée grecque Eva Kaili, interpellée pour des faveurs reçues du Qatar). Il s’agissait de cadeaux en nature ou en espèces en échange d’une position favorable à la marocanité du Sahara occidental. José Bové avait dénoncé le premier ministre marocain Aziz Akhannouch, alors ministre de l’Agriculture de son pays, pour sa tentative de corruption dans l’accord de libre-échange sur les fruits et légumes avec le Maroc (début 2010) auquel s’opposait le député écologiste européen.