Analyse

 


L’Arabie saoudite a fait profil bas lors de la guerre de Gaza, déclenchée en octobre 2023 à la suite de l’attaque du mouvement islamiste palestinien Hamas contre Israël, afin de ne pas compromettre le processus de normalisation de ses relations avec l’État Hébreu, et Abou Dhabi a eu pour souci majeur de faire obstruction aux efforts diplomatiques du Qatar en vue de parvenir à un cessez-le-feu en raison de sa rivalité avec la principauté gazière soucieuse d’empêcher sa rivale du Golfe de glaner un succès qui aurait pu lui faire ombrage.


 

Telles sont les révélations faites par le journal libanais Al Akhbar en date du 27 Février 2024, en se référant aux câbles diplomatiques arabes auxquels le quotidien a eu accès. Ci-joint les principaux points de ses révélations :
  • Des diplomates arabes en poste à Washington avaient alerté des membres du congrès, dès août 2024, d’une possible opération militaire du Hamas contre Israël, mais les congressistes acquis à Israël n’en ont eu cure.
  • Mieux, l’Arabie saoudite a volontairement retardé d’une dizaine de jours la tenue d’un sommet arabe consacré à la guerre israélo-palestinienne afin de ne pas compromettre le sommet arabo-africain dont elle devait être l’hôte à la mi-octobre 2024.

Tout au long de cette période, le Royaume a ostensiblement manifesté son désintérêt pour la destruction de l’enclave palestinienne, en organisant des manifestations artistiques à grand renforts de publicité et la participation d’artistes arabes.

 

1 – La démarche du corps diplomatique arabe auprès du Congrès américain.

Prémonitoire, le corps diplomatique arabe avait entrepris d’alerter le congrès américain sur la situation critique de Gaza, dès août 2024, soit deux mois avant l’opération « déluge Al Aqsa »1, mais le congrès américain vampirisé par le lobby juif américain n’en a pas tenu compte.

« La persistance des privations financières qui frappent Gaza, notamment la suspension du financement de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East), va exacerber la situation et INCITER LE HAMAS À SE LANCER DANS UNE OPÉRATION MILITAIRE POUR ATTIRER L’ATTENTION DE L’OPINION INTERNATIONALE SUR LA SITUATION CRITIQUE DE L’ENCLAVE PALESTINIENNE », écrit le journal se référant aux câbles auxquels il a eu accès.

« Une telle opération aura des répercussions tant sur Israël que sur les pays limitrophes de l’État Hébreu, notamment l’Égypte et la Jordanie », ajoute le journal.

La délégation arabe était composée de 4 ambassadeurs en poste à Washington. Elle a rencontré, en août 2024, des responsables du Congrès américain pour les inciter à renoncer à priver l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) de 75 millions de dollars destinés à venir en aide à la population de l’enclave palestinienne.

Les diplomates arabes ont en outre mis l’accent sur la gravité de la situation résultant de la décision du PAM (Programme Alimentaire Mondial) de réduire, en juillet 2023, ses prestations alimentaires affectées à la population de l’enclave. Les diplomates arabes ont fait valoir que l’annulation du budget de l’UNRWA va exacerber le problème dans la mesure où les ¾ des habitants de Gaza vivent des prestations des agences de l’ONU.

Inflexibles, les législateurs américains n’ont pas tenu compte de cette demande, maintenant leur position concernant le gel du financement de cet organisme des Nations Unies, subordonnant son financement à des réformes de son fonctionnement administratif. Ils ont de même précisé « prendre en compte l’opposition d’Israël à la poursuite de l’aide américaine à l’UNRWA », soulignant « le manque d’enthousiasme de l’administration américaine dans son ensemble sur ce sujet, dans tous ses aspects ».

 

2 – Barbara Leaf : Mahmoud Abbas est trop âgé et manque de qualités de commandement pour mener à bien les négociations.

De son côté, Barbara Leaf, sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient, a rejeté sur l’Autorité palestinienne la responsabilité de la détérioration de la situation en Cisjordanie. « Les négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne n’enregistreront aucun progrès tant que M. Mahmoud Abbas demeurera à son poste. Il est âgé et n’est pas doté des qualités de commandement qui l’autorisent à accomplir cette mission », a déclaré Mme Leaf rendant compte de sa tournée au Proche-Orient, l’été 2024.

 

3- Égypte : L’objectif de la guerre de Gaza est le déplacement de la population palestinienne.

L’Égypte se veut et se vit comme une grande puissance régionale ayant la plus grande proximité géographique avec la principale base de la résistance palestinienne, Gaza.

À ce titre, le président Abdel Fattah al-Sissi a informé une délégation du Congrès américain qu’il « ne saurait tolérer la liquidation de la question palestinienne au détriment de l’Égypte, et que ce projet devait être combattu par tous les moyens ».

« La présence des Palestiniens hors de leur territoire ne résoudra pas le problème. Bien au contraire, un tel projet porte préjudice à la sécurité nationale égyptienne en ce qu’il offrira à des éléments du Hamas la possibilité de s’infiltrer en Égypte », a ajouté le président égyptien.

« Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien, mais son opération contre Israël n’autorise pas l’État Hébreu à affamer, encore moins à procéder au massacre collectif de la population palestinienne. L’important est de remonter aux origines de la crise et non à ses conséquences, à savoir le fait d’avoir privé depuis longtemps le peuple palestinien de son droit à un état indépendant », a poursuivi M. Sissi.

En réponse, la délégation du Congrès américain a informé tant l’Arabie saoudite que l’Égypte que « l’opération du 7 octobre 2024 a été planifiée par l’Iran en vue de saboter le processus de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite, lequel, a estimé la délégation, a produit de bons résultats ». Les législateurs américains ont invité les Saoudiens à aller de l’avant sur la voie de la normalisation avec Israël pour ne pas donner l’occasion à l’Iran de torpiller ce processus.

Réponse du Maréchal Sissi : « La normalisation israélo-saoudienne ne constitue pas une solution aux crises que connaît la région du Moyen-Orient. Les derniers événements en apportent la preuve. L’administration américaine doit réactiver les efforts de paix et satisfaire les aspirations du peuple palestinien. »

 

4 – L’entretien Brett McGurk2/ Sameh Choukri3 : Le vrai problème c’est la position des  Israéliens qui rejettent l’idée d’une solution à deux États.

Brett McGurk, coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour le compte de l’administration démocrate de Joe Biden, a donné l’assurance à M. Sameh Choukri, ministre égyptien des Affaires étrangères [jusqu’en juin 2024, ndlr], que « les États Unis soutenaient la solution à deux États (Israël/Palestine), mais que cette perspective supposait au préalable un accord entre les deux parties et que soit réformée l‘Autorité Palestinienne et les services de sécurité qui y sont rattachées ».

Réponse de Sameh Choukri : La thèse selon laquelle la solution à deux États implique de procéder à une réforme de l’Autorité Palestinienne revient à rejeter sur la partie palestinienne la responsabilité de cet état de choses, alors que le vrai problème réside dans le comportement des Israéliens qui rejettent l’idée d’une solution à deux États. Les propos sur « le jour d’après », en l’absence d’un cessez-le-feu, ne sont pas réalistes, car ce qui se passe constitue, en fait, un transfert de la population de Gaza, prélude à la liquidation de la question palestinienne.

 

6- Le Roi Abdallah II de Jordanie à Emmanuel Macron : La constitution d’une coalition internationale contre le Hamas équivaut à « assimiler la résistance palestinienne à un groupement terroriste ».

Le monarque jordanien a fait part à M. Emmanuel Macron de son « opposition résolue » au projet du président français de constituer « une coalition internationale contre le Hamas », en ce qu’un tel projet soufflé au président français par le philosophe Bernard-Henri Lévy, « tendrait à assimiler la résistance palestinienne à une formation terroriste ».

Abdallah II garde sans doute présent à l’esprit le fait que son aïeul Abdallah 1er, fondateur de la dynastie hachémite4 sur le Royaume de Transjordanie5, a été assassiné en 1951, dans l’enceinte même de la Mosquée Al Aqsa de Jérusalem pour avoir pactisé avec les Israéliens et qu’il ne pouvait donc se permettre le moindre faux pas sur un sujet hautement sensible, alors que les 2/3 de la population jordanienne sont d’origine palestinienne, y compris l’épouse du Roi Abdallah II, la Reine Rania.

Un fait que le président Macron, novice dans les affaires arabes en dépit de 7 ans d’exercice du pouvoir, n’a pu intégrer dans son raisonnement avant de lancer son projet “abracadabrantesque”.

Les divergences entre le Roi Abdallah et le président Macron ont conduit les deux parties à annuler la conférence de presse conjointe que les deux dirigeants devaient tenir à l’issue de la visite du président français en Jordanie, le 23 octobre 2023.

La Jordanie vit en effet comme un cauchemar le projet attribué à Israël de déporter la population de Gaza et le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, a informé les dirigeants occidentaux que le transfert de la population palestinienne vers les pays limitrophes constituait « une ligne rouge » pour le Royaume.

Safadi a en outre mis en garde contre les atteintes aux lieux saints de Jérusalem de la part des extrémistes juifs. « Un tel comportement va donner prétexte aux radicaux islamistes à se livrer à des actes qui échappent à tout contrôle », a-t-il fait observer.

 

7- La visite du Roi de Jordanie à Abou Dhabi : obtenir un système de défense anti-aérien.

Le Roi Abdallah de Jordanie a sollicité l’aide des Émirats Arabes Unis pour doter son royaume d’un système de défense anti-aérien afin de le prémunir contre des attaques de missiles ou drones hostiles, « comme c’est le cas avec les Houthistes6 du Yémen ».

Pour donner davantage de crédibilité à sa requête, le Roi Abdallah II, opportuniste en diable, a participé à la défense d’Israël, le 13 avril 2024, en abattant des drones iraniens au-dessus de l’espace aérien jordanien, lors des représailles iraniennes contre Israël consécutives à la destruction du consulat iranien à Damas, deux semaines auparavant, le 1er avril. L’implication de la Jordanie dans la défense d’Israël a opéré ainsi une permutation du rôle respectif des États de la région dans la confrontation israélo-arabe en propulsant l’Iran au rang de “pays de la confrontation” ou “pays du champ de bataille”, et confirmant la Jordanie et d’autres pétromonarchies du Golfe dans son rôle  de “pays de soutien” à Israël, de surcroît voltigeur de pointe de la stratégie occidentale.

 

8 – La Jordanie propose Mahmoud Dahlan et Marwane Barghouti comme de possibles successeurs de Mahmoud Abbas.

La Jordanie a sondé plusieurs pays arabes sur la possibilité de réformer l’Autorité palestinienne, proposant comme possibles successeurs à Mahmoud Abbas, Mahmoud Dahlan7 et Marwane Barghouti8. « Une telle solution, a fait valoir Amman [capitale de la Jordanie,ndlr], constituerait une solution médiane entre le refus d’Israël de traiter avec le Hamas et l’incapacité de l’État Hébreu à démanteler le mouvement islamiste palestinien. »

Chef de file du Tanzim, groupe paramilitaire du Fatah, Marwane Barghouti a été arrêté en 2002 puis condamné par une cour civile israélienne à cinq peines de prison à perpétuité pour le meurtre de cinq personnes. Il se déclare innocent au cours de son procès. Considéré comme le Nelson Mandela du combat palestinien, il est la figure politique la plus populaire dans l’opinion palestinienne.

Originaire de Khan Younès, dans la bande de Gaza, Mahmoud Dahlan est l’ancien chef de la sécurité préventive de l’enclave palestinienne. Bête noire du Hamas, il est le joker d’Abou Dhabi dans l’équation palestinienne. Mahmoud Dahlan a d’ailleurs supervisé pour le compte d’Abou Dhabi la mise en route d’un pont maritime reliant Larnaca (Chypre) à Gaza pour le ravitaillement de la population de l’enclave palestinienne. Un projet conçu par Joe Biden en concertation avec les Israéliens.

En juin 2007, à l’heure des combats fratricides interpalestiniens, entre le Fatah et le Hamas, Mohammed Dahlan s’est réfugié en Égypte. Une commission, chargée d’enquêter sur la débâcle de ses services de sécurité face au Hamas en juin 2007 dans la bande de Gaza, avait été mise en place par ses soins. À la suite des conclusions de celle-ci, il démissionne le 26 juillet de son poste de conseiller à la sécurité nationale du président palestinien Mahmoud Abbas.

Exilé à Abou Dhabi, depuis son expulsion du Fatah pour des faits de corruption, il est devenu conseiller du prince Mohamad Ben Zayed, à ce titre, l’un des artisans de la normalisation des relations entre le pays du Golfe et Israël.

René Naba

Article paru le 8 novembre 2024 publié dans le cadre de notre partenariat avec Madanya info.

En savoir plus
Sur les relations entre l’Arabie saoudite et Israël, cf. ces liens :

Notes:

  1. Série d’attaques lancées depuis la frontière entre la bande de Gaza et Israël par le Hamas, appuyé par le Jihad islamique palestinien, le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique pour la libération de la Palestine.
  2. Brett McGurk est un diplomate américain, nommé par le président Joe Biden conseiller de la politique de la Maison-Blanche au Moyen-Orient et coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale.
  3. Diplomate, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères et homme de confiance du président Abdel Fattah Al Sissi, acteur incontournable des tractations en vue d’un cessez-le-feu est un fervent défenseur de la création d’un « État de Palestine.
  4. Descendants directs de Hachem, l’arrière-grand-père du Prophète Muhammad, les Ben Hachem, ou Hachémites sont sont une dynastie arabe qui, du XIe au XXe siècle, assura la fonction de chérif (gardien des Lieux saints musulmans) de La Mecque et de Médine.
  5. L’émirat de Transjordanie était un protectorat britannique (1921-1946) créé en avril 1921 à la suite d’accords passés pendant la Première Guerre mondiale avec les princes arabes de la dynastie hachémite en échange de leur révolte contre les Ottomans. La Transjordanie composait alors 92 300 km2 des 120 466 km2[2] de la Palestine mandataire, soit 76,6 % de la superficie totale de ce territoire, duquel elle a été détachée à la suite du mémorandum transjordanien. Le 25 mai 1946, la Transjordanie déclare son indépendance et annexe le territoire qui se situe au-delà de cette ligne, désormais appelé « Cisjordanie » pour former le royaume de Jordanie, s’étendant des deux côtés du Jourdain. Abdallah 1er, troisième fils de Hussein ben Ali, chérif de La Mecque, sous la surveillance d’un représentant britannique, en est le souverain. L’ancienne Transjordanie devient alors le royaume hachémite de Jordanie.
  6. Tirant leur nom du clan familial des Al-Houthi, les houthistes désignent un mouvement politico-militaire et théologique chiite zaydite qui s’est développé dans les années 1990, dans le gouvernorat de Sa’dah, une subdivision au nord-ouest du Yémen frontalière de l’Arabie saoudite, puis à partir de 2014, dans tout le pays.
  7. Mohammed Dahlan, né en 1961 dans le camp de réfugiés de Khan Younès à Gaza, est un homme politique palestinien dont la vie est tout entière marquée par le conflit israélo-palestinien : chef du mouvement de jeunesse du Fatah (parti politique nationaliste palestinien), impliqué dans les négociations secrètes qui menèrent aux accords d’Oslo en 1993[3] et à la création ministre d’État pour la Sécurité, ministre des Affaires civiles. Il présente une liste à l’occasion des élections législatives palestiniennes de 2021 avec le soutien financier des Émirats.
  8. Marwan Barghouti, né en 1959 à Kobar (Cisjordanie), est un homme politique palestinien. Membre du Conseil législatif palestinien depuis 1996 malgré son emprisonnement en Israël, il milite en faveur d’une résolution politique au conflit israélo-palestinien et pour la défense des accords d’Oslo, sans pour autant rejeter la lutte armée contre l’occupation israélienne. Il joue un rôle important durant la première et la seconde Intifada. Il est alors un chef de file du Tanzim, une des branches armées du Fatah en Cisjordanie, justifiant les attaques sur des cibles militaires tout en condamnant les attentats visant des civils.
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René Naba est un écrivain et journaliste, spécialiste du monde arabe. De 1969 à 1979, il est correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France-Presse (AFP) à Beyrouth, où il a notamment couvert la guerre civile jordano-palestinienne, le « septembre noir » de 1970, la nationalisation des installations pétrolières d’Irak et de Libye (1972), une dizaine de coups d’État et de détournements d’avion, ainsi que la guerre du Liban (1975-1990), la 3e guerre israélo-arabe d'octobre 1973, les premières négociations de paix égypto-israéliennes de Mena House Le Caire (1979). De 1979 à 1989, il est responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP], puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, chargé de l'information, de 1989 à 1995. Membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), de l'Association d'amitié euro-arabe, il est aussi consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) depuis 2014. Depuis le 1er septembre 2014, il est chargé de la coordination éditoriale du site Madaniya info. Un site partenaire d' Altermidi.