Depuis une semaine, même les radios publiques dites « mainstream » diffusent des témoignages de gazaoui.e.s qui disent que ce sont les mêmes qui leur tirent dessus et qui leur distribuent de l’aide alimentaire dans des conditions inhumaines, gaz lacrymogène à l’appui.


 

Les scènes de chaos orchestrées par l’occupation israélienne dans le silence du monde et l’échec d’une distribution alimentaire qui s’avère aussi inefficace que déshumanisante, tout cela était à prévoir. Les 29 et 30 mai Abu Amir nous adresse deux textes qui expliquent cet échec, à la fois du côté de la démarche privée sécurisée par les services américains, voire israéliens, que de l’UNRWA dépassée par la situation exacerbée de famine que le monde a laissé s’installer à Gaza.

« Le centre d’occupation à Netzarim

Au milieu de cette famine, l’occupation a mis en œuvre une démarche étrange et suspecte : l’établissement d’un nouveau centre dans la région de Netzarim au sud-centre de Gaza, sous prétexte de distribuer de l’aide. Mais ce centre n’est pas géré par des organisations internationales neutres, mais par des entreprises de sécurité américaines privées, lourdement armées. Cette présence étrangère, accompagnée par l’armée d’occupation, a intensifié la colère et la confusion. Pourquoi l’aide est-elle distribuée sous la menace des armes ? Qui garantit que ces centres ne servent pas à collecter des informations ou à asseoir une domination au lieu de fournir du secours ? L’idée que des affamés fassent la queue devant des agents de sécurité étrangers est non seulement humiliante, mais elle illustre une nouvelle réalité de l’occupation : il ne s’agit plus seulement d’occuper une terre, mais aussi ta dignité, ta vie.

L’irruption dans les entrepôts de l’UNRWA et du centre de l’occupation

Hier, des milliers d’habitants de Gaza se sont dirigés vers les entrepôts de l’UNRWA dans la zone de Zawaida1. Ce n’était ni un acte organisé, ni un geste aléatoire, mais un cri de douleur. Ils ont envahi l’endroit et ont pris tout ce qu’ils ont trouvé : farine, riz, lentilles — tout ce qui peut être mangé. Le lendemain matin, les gens sont revenus dans le centre de distribution de l’occupation à Netzarim. En quelques heures, le lieu était bondé, les barrières sont tombées, et tous les produits alimentaires ont été emportés. Les soldats ont tiré, non pas sur les gens, mais pour sécuriser la sortie des agents des sociétés de sécurité américaines. Ce qui s’est passé est une explosion populaire causée par la faim. Quand on laisse les gens affamés, ils suivent leur instinct de survie, non les lois.

Saisie des camions d’aide à Zahra

Le soir même, un autre événement s’est produit dans la ville de Zahra2. Des camions d’aide chargés de grandes quantités de farine circulaient sur la route. En un instant, les gens les ont encerclés, arrêtés, et ont pris tout leur contenu. La scène n’était pas chaotique mais spontanée. Des milliers d’affamés sont venus des quartiers voisins, simplement parce qu’ils avaient entendu parler de farine. La scène se répète partout où l’on dit qu’il y a de la nourriture, car les gens ont perdu confiance dans la régularité de l’aide. Ceux qui n’ont pas attaqué les camions aujourd’hui seront peut-être les premiers à le faire demain. Non pas par amour de la violence, par refus de la faim.

Bien que l’aide humanitaire parvienne de temps à autre, sa distribution souffre d’un chaos et d’une inefficacité tels que les habitants se retrouvent à attendre pendant de longues périodes, pris entre douleurs physiques et psychologiques… La famine était devenue un instrument de mise à mort lente. Dans cette situation difficile, des innocents tombent chaque jour, ajoutant à la liste des victimes ceux qui se tordent de faim et n’ont personne pour leur tendre la main.

Événement du jour : Des foules affamées se précipitent pour obtenir de l’aide

Aujourd’hui, la même tragédie s’est répétée, mais cette fois, elle était plus cruelle encore. Dans une scène qui se répète tragiquement, des milliers d’habitants de Gaza ont marché le long de la route principale, de la zone de Nuseirat3 jusqu’à al-Zawaida, où se trouve l’entrepôt de l’UNRWA où sont stockées les aides. Sur cinq kilomètres, des flots de personnes se sont précipités dans une seule direction, avec un seul objectif : obtenir ce qui pourrait combler leur faim. La scène était chaotique, tragique, remplie de misère, des hommes et des femmes se précipitant dans l’espoir d’atteindre l’entrepôt avant les autres… Avec l’afflux massif des foules, des milliers de personnes sont entrées dans l’entrepôt, qui a été vidé en un instant. L’entrepôt, qui contenait des milliers de sacs de farine et de nombreuses boîtes pleines de produits alimentaires, ne contenait plus rien après l’invasion des foules. Les affamés ont pris tout ce qu’il y avait dans l’entrepôt. Personne n’a pu les arrêter, et les murmures et les cris se sont intensifiés avec l’escalade du chaos. À ce moment-là, les aides se sont éparpillées par terre parmi la foule qui se battait pour saisir tout ce qu’elle pouvait pour apaiser sa faim. Mais ce qui ne faisait pas partie des prévisions, c’est ce qui est arrivé ensuite. Dans une explosion de chaos et de bousculade intense, plusieurs victimes sont tombées. Quatre personnes ont été tuées dans cette terrible scène, et des milliers de personnes affamées sont devenues les victimes d’une guerre de survie. En outre, de nombreuses personnes ont été blessées lors de la bousculade, avec des blessures variées. Ce qui était encore pire, c’est que des tirs ont été échangés dans le lieu, tirés par certains gardes ou autres parties, ce qui a exacerbé la catastrophe et approfondi la souffrance.

L’insécurité : une bataille pour se nourrir, quand l’être humain atteint ce degré d’effondrement, l’instinct de survie l’emporte sur toute autre considération.

Avec la poursuite de la famine à Gaza, les habitants se sont transformés en “pilleurs” des ressources limitées. En raison de l’insécurité et de l’absence de sécurité, la porte a été ouverte à davantage de chaos dans le secteur. Bien que des camions d’aide arrivent à Gaza de temps à autre, leur distribution reste floue, créant un grand fossé entre ce dont les gens ont besoin et ce qui leur est fourni. Trop souvent, les aides restent stockées dans des entrepôts pendant des jours, tandis que les habitants de Gaza souffrent de la faim dans les rues, regardant leurs enfants mourir devant leurs yeux faute de nourriture. Chaque fois qu’un camion d’aide arrive, la route se transforme en un champ de bataille. Les habitants bloquent les rues avec des pierres, déterminés à forcer les camions à s’arrêter et à leur distribuer de la nourriture. Cette scène est presque quotidienne en l’absence d’un système de distribution efficace. Alors qu’il serait supposé que l’aide soit rapidement distribuée aux personnes les plus nécessiteuses, la nourriture reste stockée dans les entrepôts, exacerbant encore la souffrance des habitants déjà en proie à la malnutrition et à la faiblesse physique…

Tout ce chaos n’est pas né du vide. Il est le résultat direct des politiques de l’occupation, qui a fermé les points de passage, empêché l’entrée de l’aide, et détruit les infrastructures. Des milliers de camions de nourriture et de médicaments sont bloqués aux portes de Gaza, notamment au point de passage de Rafah4, sans être autorisés à entrer. Quant à Kerem Shalom5, il est géré de façon sélective et lente, bien en deçà des besoins essentiels des habitants. Cette famine délibérée est une forme de punition collective. La faim n’est pas un hasard, mais une arme. La souffrance n’est pas un oubli, mais une stratégie pleinement assumée, justifiée par des prétextes sécuritaires et politiques qui ne trompent personne. »

Et que se passe-t-il en même temps en France, par exemple à Montpellier le mardi 27 Mai à l’Université Paul-Valéry ? Le vice-président du Conseil d’administration de la faculté, bras droit de la présidente, refuse d’accorder une salle « sur ce sujet-là » pour la présentation du livre Gaza Mort Vie Espoir par deux autrices dans les locaux de Paul-Valéry. Le nom de Gaza ou de la Palestine n’est même pas prononcé pour répondre aux syndicats d’enseignant.e.s qui en faisaient la demande ! Comme le souligne le SNESUP dans son magazine « on voit un net recul de la liberté académique » et comme l’écrit Orient XXI dans son numéro du 30 Mai avec un dossier très documenté : Soutien à la Palestine. les universités sont bâillonnées. Nous rejoindrons la déclaration issue du Tribunal pour Gaza réuni à Saravejo le 29 Mai 2025 :

«  L’ordre moral et juridique international est en jeu (…) le monde se trouve au bord d’un dangereux précipice dont la lisière est en Palestine. »

Brigitte Challande

Notes:

  1. Au nord-est de Deir al Balah.
  2. Au sud de Gaza.
  3. Au nord-est de Deir al Balah.
  4. Au sud de la bande de Gaza.
  5. En Israël, entre la bande de Gaza et l’Égypte.
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.