Dix ans après la mort du militant écologiste Rémi Fraisse, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France.


 

Dans un arrêt rendu jeudi, la Cour européenne des droits de l’homme conclut à une violation du « droit à la vie ». L’État français doit verser 50 000 euros à la famille du jeune manifestant, tué.

Rémi Fraisse avait été tué par l’explosion d’une grenade offensive lancée par un gendarme lors d’affrontements avec des militants écologistes, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014. Cette nuit-là, les gendarmes avaient reçu ordre de « défendre et tenir la zone de vie sur le site de Sivens », le préfet Thierry Gentilhomme exigeant de leur part une « extrême fermeté », selon les déclarations du chef des gendarmes. L’exécutif avait plus tard assuré au contraire que des consignes « d’apaisement » avaient été passées. Selon un décompte officiel cité par Mediapart, la gendarmerie avait tiré plus de 700 grenades en tous genres, dont 42 offensives, au cours de la nuit d’affrontement.

Alors que le gendarme à l’origine du tir de grenade qui a tué Rémi Fraisse a bénéficié d’un non-lieu, la CEDH pointe des « lacunes du cadre juridique et administratif ». La Cour estime que « le niveau de protection requis » pour parer les risques que comporte le « recours à une force potentiellement meurtrière » n’a pas été « garanti », et souligne  des « défaillances de l’encadrement dans la préparation et la conduite des opérations » de gendarmerie.

La CEDH relève que la France était le « seul pays à utiliser de pareilles munitions », des grenades offensives OF-F1 « d’une dangerosité exceptionnelle », pour des opérations de maintien de l’ordre.

Elle rappelle aussi que les gendarmes avaient agi dans l’obscurité, leur matériel d’éclairage étant « très insuffisant » et « de faible autonomie ». Et le haut-parleur utilisé pour les sommations « s’est avéré défectueux ».

La Cour pointe aussi « les défaillances de la chaîne de commandement, en particulier l’absence de l’autorité civile sur les lieux ». Le préfet du Tarn, Thierry Gentilhomme, avait délégué l’autorité civile à un commandant qui avait lui-même quitté les lieux en début de soirée.

« Il aura fallu plus de dix ans et l’appui de la Cour européenne des droits de l’homme pour que la responsabilité de l’État français dans la mort de Rémi Fraisse soit enfin reconnue. Que de temps perdu », a réagi auprès de l’Agence France-Presse (AFP) Patrice Spinosi, avocat de Jean-Pierre Fraisse, le père de la victime. « Le recours inapproprié à la force lors des manifestations contre le barrage de Sivens est désormais acquis. Pour éviter de nouvelles condamnations, la France doit maintenant tirer toutes les conséquences de cette décision et revoir en profondeur sa politique de maintien de l’ordre », a-t-il ajouté.

« Les membres du gouvernement de l’époque qui ont donné les ordres ont la responsabilité de la mort de Rémi », a déclaré dans un communiqué Arié Alimi, autre avocat de M. Fraisse. « La France ne sort pas grandie de cette affaire. Elle le serait si elle mettait tout en œuvre pour que de tels faits ne se reproduisent pas. »

La cour de Strasbourg salue particulièrement « la qualité des investigations réalisées par le défenseur des droits », qui avait notamment « auditionné le préfet et recueilli les réponses de son directeur de cabinet », auditions qui n’avaient pas été réalisées dans le cadre de l’enquête judiciaire menée par les juges d’instruction.

Avec AFP

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Mort de Rémi Fraisse : l’État reconnu responsable mais sans faute