La « Réunification des deux Corées » est à redécouvrir, dans sa nouvelle vision, vendredi et samedi à l’Opéra Comédie de Montpellier
C’est une « réécriture », mais le théâtre n’est pas fait que de mots. « La Réunification des deux Corées » est une des oeuvres les plus connues de Joël Pommerat, qui, l’an dernier, en a créé une nouvelle version à La Porte Saint-Martin. Depuis ses premières en 2013 la pièce a traversé le monde, reprend son voyage depuis l’an dernier vers Nantes, Cherbourg, Foix, Cavaillon, Antibes, et c’est l’avant-dernier spectacle de la saison du Domaine d’Ô à Montpellier. Elle continue de nous interroger sur les fondements de notre société à travers toutes les images de l’amour/humour et de ses tourments, à travers le couple, la famille, les amis. Comment le quotidien peut-il être aussi étrange ?
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Au fil de vingt épisodes
On a souvent évoqué les « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes, ou le film de Bergman « Scènes de la vie conjugale », et la pièce de Schnitzler « La Ronde », dont Joël Pommerat s’est inspiré. Vingt moments constituent cette pièce, reliés uniquement par une visée thématique, et s’il y a les épisodes qui constituent toute la vie d’un couple, du début à la fin, il est aussi question d’amitié et de trahison, du Moi, de la mémoire, de la guerre, de la fuyante « Valeur » entre union et rupture. Il n’y a pas d’unité narrative, et le titre de la pièce est une métaphore de la vie amoureuse, la réunification envisagée concernant le couple… La musique d’Antonin Leymarie est très présente. Neuf acteurs se partagent une cinquantaine de rôles, autour de mariage et ménage, amour et deuil, ajoutant un prêtre, une prostituée, un psy… Depuis le début ce sont les mêmes qu’on retrouve sur scène : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.
Nouvelle perspective
L’an dernier la mise en scène a changé. La création s’était faite aux Ateliers Berthier de l’Odéon et la reprise a eu lieu à la Porte Saint-Martin. Changement d’espace et de perspective. En 2013, le point de départ avait été de travailler dans un espace bi-frontal. Deux gradins de spectateurs se faisaient face, étirés en largeur, avec au milieu comme une allée située entre deux univers. Du noir intense, des fondus nocturnes ou intimes… Eric Soyer renouvelle la métamorphose du plateau. Pour Joël Pommerat l’espace scénographique est l’élément dramaturgique premier, une source d’inspiration qui va conditionner l’écriture. En juin dernier il expliquait d’ailleurs à nouveau sa démarche sur France TV : « J’essaie que mon théâtre soit très sensible, et en tout cas ait un impact sensible sur le spectateur. J’essaie de le faire vibrer, mais au sens propre du terme, c’est-à-dire de lui produire des émotions vraiment dans le corps avant même de l’atteindre par la compréhension ».
Cinq moments et cinq questions à Yannick Choirat
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Les acteurs sont fidèles au rendez-vous, une vraie troupe ! Yannick Choirat, qui en fait partie, a joué aussi dans « Ça ira (1) Fin de Louis » de Pommerat, et plus récemment dans « La campagne » mis en scène par Sylvain Maurice (sans oublier son formidable rôle-titre dans la série « Victor Hugo, ennemi d’état » sur France 2 en 2018), et il les représente pour quelques commentaires.
C’est un spectacle différent, cette re-création avec une nouvelle scénographie ?
On passe de 400 spectateurs à 1000, avec quelques moments en salle, des traversées. Un théâtre à l’italienne demande certains changements. Il faut retravailler les lumières, le placement, cela dépend des salles, de leur largeur ou profondeur. Avec le temps le fond des scènes résonne différemment, et le public a mûri. Nous aussi. C’est notre histoire, il y a notre ADN dans le spectacle, et on l’entend différemment. C’est très riche, même pour ceux qui découvrent, et qui s’y retrouvent.
Pour les acteurs et pour les spectateurs, qu’est-ce qui change ?
Je joue cinq scènes très différentes, et cela demande un peu de dextérité pour se jeter dans une scène, une situation émotionnellement forte, passer à une autre, y retourner tous les soirs. C’est bouleversant, comme une acrobatie, du trapèze, du cirque. Les spectateurs s’y retrouvent, dans ce climax amoureux mais aussi existentiel, car il y a plein de thèmes autres que l’amour. Ils peuvent être surpris ou même déçus. Mais c’est comme le vin : le spectacle mature, se transforme, et on le redécouvre.
La vision frontale serait-elle moins immersive ?
Il y a un travail de création et la boîte noire met dans l’acuité de ce qui se raconte, tous les regards sont concentrés, le frontal donne du recul, modifie le travail de la lumière, notamment les lumières au sol. Eric Soyer est génial, j’adore. Cela peut être maintenant plus « dark », le spectateur rit… ou pas… ou ce n’est pas le même rire !
Le travail d’équipe est-il différent pour une re-création ?
On connaît le texte par cœur, on peut s’interconnecter aisément. Nous avons partagé le plateau dans deux pièces de Joël Pommerat et nous connaissons le jeu qui est le nôtre. Les choses changent et servent à le travailler, de façon assez joyeuse, assez libre. Avec attention, délicatesse, empathie. Donc on peut continuer à se surprendre. Comme en amour !
Quels sont les rôles qui demandent de votre part un engagement particulier ?
Il y a deux scènes qui demandent à aller encore plus en profondeur. J’incarne un instituteur qui a eu un comportement ambigu envers un enfant en classe verte, et il y a une montée en puissance. Je fais ensuite partie des parents qui ont engagé une baby-sitter alors qu’ils ont perdu leurs enfants, et au-delà de la situation concrète il y a la question du couple, du désir d’enfant, de l’enfant qui est un aboutissement. Il peut y avoir une double, triple, quadruple lecture, et j’aime être dans la compréhension et la réflexion, ce qui est la condition humaine.
Et quelques mots pour une… Sans Valentin
« L’amour en fait
ça ne suffit pas.
Oui c’est ça,
je sais c’est terrible,
l’amour ça ne suffit pas »
(Extrait de « La Réunification des deux Corées »)
Michèle Fizaine
Photo 1. Toutes les phases, espoirs et tourments, en vingt saynètes sans lien narratif crédit. A. Pommerat
Saison du Domaine d’Ô (tournée du 6 septembre 2024 au 14 mai 2025) : « La Réunification des deux Corées » de Joël Pommerat, vendredi 14 à 20 h et samedi 15 à 17h, Opéra Comédie de Montpellier, 24 et 30 €, réservations
« La réunification des deux Corées », éd. Actes Sud, 2013 (13€), et CD Univers sonore de la création théâtrale, musique d’Antonin Leymarie, 15 titres, Cie Louis Brouillard, 2024 22€.