Sortie de résidence artistique à la Bulle Bleue, dans le cadre d’une journée de réflexion sur l’enfance blessée, co-organisée avec le Centre Joë Bousquet et son temps (Carcassonne)1, la Compagnie Provisoire a présenté une étape de son prochain spectacle À ciel ouvert qui sera créé sur la saison 2025/26.


 

La pièce À ciel ouvert est une commande d’écriture de la Compagnie Provisoire, passée à l’auteur David Léon sur la Protection de l’Enfance et la parole des enfants « placés ».

« Avec ce travail, nous voulons briser le silence qui entoure les violences faites aux enfants. Le public est invité à suivre le parcours d’une éducatrice mise à pied pour avoir dénoncé des maltraitances au sein de son établissement. Elle s’occupait alors d’une jeune fille victime de violences. Autour du personnage de l’éducatrice, les voix, les présences et les corps des interprètes se croisent pour raconter les combats auxquels elle se trouve confrontée. Elle cherche, par la parole, à s’extraire du rôle qui lui est assigné », indique le metteur en scène Julien Guill.

La pièce fonctionne comme une enquête et délivre des éléments dans le désordre. Il faut aller au bout du chaos pour reconstituer le combat d’une femme. Un florilège de niveaux de langage, de contenu de discours, de lieux différents, de places interchangeables, de rôles et de figures omniprésentes : l’enfant, l’éducatrice, l’institution, sa direction , au bout du compte le corps social.

Reprenons, une éducatrice, bienvenue dans le monde du médico-social, s’est retrouvée lourdement sanctionnée pour avoir dénoncé dans l’institution les violences faites à une enfant en résonance de celles que cette enfant subissaient chez elle. Une complicité sociétale ?

Pour l’espace visuel et sonore, une ambiance de fond de guitare électrique, des dessins accrochés au mur ou réalisés à l’éponge mouillée sur les parois, qui laissent des traces, un temps certain.

Pour démarrer il nous a été donner à entendre un festival de discours institutionnels, ponctué par des formules toutes faites tenant lieu d’ordonnances éducatives. Le discours de pouvoir et d’autorité accompagné par l’ambiance sonore énonçant le contexte qui s’y prêtait dans une danse gestuelle aller-retour, retenue. Un discours vide sur l’intérêt des enfants et le pacte de solidarité entre les salariés pour accueillir les enfants dans des conditions optimales. Une posture professionnelle, se recentrer sur le cœur de son métier dans une neutralité de posture. Travailler dans la transparence, pour la sérénité : accumuler les verbes, repositionner, développer un maillage, orchestrer le professionnalisme, il faut qu’on vous embarque dans cette dynamique-là pour l’intérêt des enfants !

De quel intérêt est-il question ?

Tout sonnait faux, feint, joué, mascarade : commentaire de l’éducatrice de « ce temps-là », en miroir de « ces enfants-là ». La référence à Fernand Deligny qui a vécu dans les Cévennes avec des enfants autistes dans les années 70 fait mouche2D’autres moments de cette présentation évoqueront cette référence, par exemple la gestuelle de l’enfance blessée qui questionne le corps agi et non en action ; l’agir ou le moindre geste, le corps ne fait pas, il est propulsé par l’agir.

On passe à un autre moment, celui de l’entretien, ponctué par les phrases rituelles du tempo analytique « nous reprendrons la prochaine fois ». L’entretien et la figure du démon, son pouvoir, le double, l’internat, la maison. Écouter le démon extirper le démon, sauver l’enfant ? « C’est colossal le monde dans le corps du démon, sauve moi ! »  L’enfance sacrifiée. «  Ça me brûle la peau la vie le jour, je ne peux pas me transformer. » Le schéma classique, elle se dédouble quand vient la nuit. Ouvrir le corps du Dieu de la mort, maintenant j’ai la clef, il n’y a pas de miroir dans la nuit.

Passer d’une position à l’autre, enfant, direction, entretiens, éducatrice : le service, les unités, le foyer les lieux institutionnels, l’attablement psy’ : nous travaillons dans l’ombre de la jouissance de leurs parents.

On passe à la sanction, une mesure disciplinaire à titre conservatoire : une mise à pied en vue d’un licenciement. En face le CHSCT3 : organiser le refus de la répression, ne pas accepter les fusibles. « Nous avons dit… » texte des salarié.e.s contre l’autorité et l’arbitraire. Toutes ces phrases que j’aurais entendues, inapte à la folie du médico-social, bienvenue dans ce monde-là, nous interpelle l’éducatrice. Mise à pied annulée au bout de trois ans, condamnation de la Protection de l’enfance. Déficit de confiance, incapacité à entendre.

S’agirait-il d’exterminer les mots ? De les ramasser à l’écoute des enfants, des équipes, des directions, des spectateurs et dans ce cas quid du théâtre ? Il n’y a pas de rôles, que des figures, des contrastes et le pouvoir d’un mot comme « arguer », mot venin qui tire prétexte de quelque chose pour argumenter, mettre en avant.

Le ciel s’est ouvert, ou c’est le jour ou c’est la nuit, pour toi je referme le ciel.

Brigitte Challande

 

 

 

Entretien avec Julien Guill

Qu’est-ce qui de ton parcours, de ta place d’homme de théâtre, de metteur en scène t’a amené à la rencontre de l’enfance blessé et de l’institution chargée de s’en occuper ?

Il y a 10 ans le département a eu le projet de faire rentrer le milieu du spectacle dans les M.E.C.S (Maison d’enfants à caractère social) pour pouvoir permettre aux résidents de faire des stages lumière, accueil du public, technique ou autre et ça a été l’occasion pour moi de faire des ateliers théâtre avec ces enfants dont la vitalité créative m’a plu et séduit. C’est le point de départ, puis j’ai rencontré David Léon — auteur du texte — qui de par son parcours connaît bien l’institution et nous avons eu trois ans de conversation et de proximité avec cette histoire d’enfance blessée. Cela a donné pour lui le texte paru en septembre 2024 À ciel ouvert, matériau de notre travail artistique.

Je connais le centre Joë Bousquet qui est à Carcassonne et surtout l’histoire de ce jeune homme blessé à la guerre de 14, grâce au film de Cyril Laucournet4 ; quelle est sa place ici ?

Sa place c’est sans doute la blessure, dans ce centre il existe un collectif «  l’enfance blessée » qui a été sollicité pour participer à cette journée d’échanges et de réflexions à la Bulle Bleue.

Dans ce travail les acteurs.trices parlent de toutes les places, échangent leur place, peux-tu m’expliquer dans le travail de mise en scène ce parti pris ?

Mon parti pris c’est de dés-identifier sur tous mes spectacles les acteurs.trices de leur rôle. L’important c’est de s’attacher à ce qui est dit et pas à qui le dit. Sur le plateau ce sont des passeurs de texte.

Du coup avec un texte aussi présent, lourd de son témoignage social, qu’est-ce que le théâtre apporte en plus ?

Le théâtre apporte l’humanité, le vivant, dans un moment artistique court avec des échanges ensuite. Il s’agit de vivre l’instant au présent, de le traverser en direct, de partager une expérience aussi poétique que sociale et de retrouver la même ambiance dans le public, la puissance de l’action.

Recueilli par B.C

 À ciel ouvert

Auteur David Léon
Mise en scène Julien Guill
Chorégraphie Jean-Sébastien Rampazzi
Création sonore en live Olivier Privat
Distribution Dominique Léandri, Sébastien Portier & Fanny Rudelle

Production La Compagnie Provisoire. Subvention DRAC Occitanie, Aide à la création, Région Occitanie Aide à la création. Soutien Théâtre des 13 vents, La Baignoire, Quartier Gare, Pot au Noir (Scène ressource en Isère -38), Ville de Mèze, Ville de Montpellier, La Bulle Bleue.

Photo 1 Marc Ginot 

Notes:

  1. Le Centre Joë Bousquet ouvre des parcours artistiques autour du livre espace de rencontres.
  2. Voir la superbe vidéo Ce gamin-là https://www.youtube.com/watch?v=i20VWKO9Sdk
  3. Le CHSCT, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
  4. « Il n’y a de silence que de ce qui se tait« , 2020. En 1918, Joë Bousquet est frappé par une balle qui lui sectionne une vertèbre, et le promet à une vie paraplégique, alité. Il se saisit de cette blessure pour en faire le matériau de la connaissance de soi, une descente dans les profondeurs de l’humain, permise par l’écriture. Aujourd’hui, à Carcassonne, la chambre dans laquelle il est resté reclus 32 ans, est conservée en l’état depuis 1950.
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.