Lundi 10 juin, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a renvoyé à octobre prochain l’appel contre l’ordonnance de non-lieu, rendu en janvier 2023, dans l’enquête sur l’empoisonnement massif au chlordécone en Guadeloupe et Martinique.
Pour rappel, le chlordécone, utilisé dès 1972 dans les bananeraies guadeloupéennes et martiniquaises, mais aussi pour traiter d’autres légumes racines et agrumes, a été interdit en France en 1990. Mais des dérogations formelles ont prolongé son utilisation aux Antilles jusqu’en 1993. D’après les parties civiles, les planteurs ont continué de traiter leur bananeraies au moins jusqu’en 1995.
La toxicité de ce pesticide organochloré sur la santé humaine et sur l’environnement est connu internationalement depuis 1969.
La fabrication du Képone est interdite aux États-Unis en 1975 et l’insecticide classé comme cancérigène probable par l’Organisation mondiale de la santé en 1979.
Pourtant, en avril 1981, la molécule active est officiellement homologuée par le ministère de l’Agriculture alors que son innocuité est loin d’être prouvée.
Le scandale du chlordécone éclate dans les années 90. Les premières expertises demandées par les associations de victimes concluent en 1995 à un empoisonnement massif des nappes phréatiques par le sol et de la population.
Les recherches analytiques et biomédicales démontrent une contamination étendue des sols cultivés, des productions végétales, animales, des eaux de captage alimentant le réseau d’adduction municipal en zone de culture bananière qui s’étend aux cours d’eaux, aux aquifères et aux eaux marines côtières. Les eaux potables « contenaient alors dans certaines communes plus de cent fois la concentration limite en chlordécone admissible dans l’eau de boisson ».
Les recherches établissent le lien entre le produit, puissant perturbateur endocrinien qui classe la Guadeloupe et la Martinique au premier rang mondial pour le taux d’incidence du cancer de la prostate œstrogénodépendant, les personnes touchées subissant de longs et lourds traitements de chimiothérapie et d’hormonothérapie. La relation entre le chlordécone et les troubles de la gestation chez la femme ainsi que le taux élevé de fausses couches est également mis en lumière.
La question des conséquences de la pollution de la terre sur les enfants et les générations à venir est aussi posée. En effet, le temps moyen d’élimination du chlordécone des terres pollués étant estimé à plusieurs siècles, les cultures sur ces sols seront contaminées durant plus de 500 ans après l’arrêt des traitements.
En 2006, le dépôt de plainte déposé à Basse-Terre pour empoisonnement est rejeté par le Parquet. Sans qu’aucune investigation n’ait eu lieu l’affaire est finalement délocalisée à Paris.
La procédure est réouverte en 2008, mais le dossier n’est pas pris au sérieux par l’instruction qui ne procède à aucun déplacement sur les lieux, à aucune mise en examen ni audition de témoins, explique les parties civiles.
Dix-huit ans après, les associations guadeloupéennes et martiniquaises réclament toujours la reconnaissance de cet empoisonnement massif et l’indemnisation des victimes.
« Le pouvoir politique de planteurs Békés1 de Guadeloupe et de Martinique a probablement pesé sur les défaillances de l’État Français. Un drame sanitaire colossal aurait pu être évité », déplore une avocate.
En avril 2021 et février 2022, les plaintes de l’Association médicale de sauvegarde de l’environnement et de la santé (AMSES) et de l’Association guadeloupéenne d’action contre le chlordécone (AGAC) dirigées contre d’anciens ministres sont déclarées irrecevables par la Cour de justice de la République pour « défaut d’intérêt à agir ».
Le 24 avril dernier, la procureure générale de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau, annonce avoir demandé la confirmation de l’abandon des poursuites.
Bien qu’il ne méconnaisse pas « le drame sanitaire et humain » de cette pollution, le parquet général estime que « les faits dont étaient saisis les magistrats instructeurs n’ont pu être caractérisés sur le plan pénal ou qu’ils se trouvent, pour certains d’entre eux, couverts par la prescription de l’action publique », rapporte l’AFP.
« Nous voulons démontrer juridiquement qu’il y a des responsables, qu’ils ont commis des infractions pénales et qu’ils doivent en payer le prix. Nous devons prouver que les éléments caractérisant ces infractions pénales sont dans le dossier et que, ce qu’il manque, c’est que les juges d’instructions auraient dû continuer à investiguer et non pas fermer l’affaire et dire qu’ils n’ont rien trouvé », explique Harry Durimel, avocat des victimes et maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) dans une interview à France-Antilles.
En janvier 2023, réagissant à la décision du non-lieu, Me Harry Durimel avait réitéré sa volonté d’obtenir justice, affirmant être prêt à porter le dossier devant la Cour de cassation et les juridictions européennes.
La nouvelle audience d’appel a été fixée au 22 octobre prochain. Les magistrats devront d’abord examiner deux questions prioritaires de constitutionnalités. Une autre date sera ensuite fixée pour l’examen de fond du dossier.
Sasha Verlei
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