Confrontées à une flambée de l’épidémie de Covid-19, les Antilles accélèrent le rythme de la vaccination mais le chlordécone, pesticide ultra-toxique qui a contaminé 90 % des adultes en Martinique et en Guadeloupe ne favorise pas la confiance des populations dans la communication gouvernementale.


 

Au printemps dernier, ont eu lieu en Martinique les plus importantes manifestations depuis la grève générale de 2009. Des dizaines de milliers de martiniquais.e.s sont descendues dans la rue contre la menace de prescription dans le dossier du chlordécone, un insecticide accusé d’avoir empoisonné l’île et la Guadeloupe voisine.

Le chlordécone1, est un pesticide ultra-toxique interdit aux États-Unis en 1976, en France en 1990, mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu’en 1993. Il a provoqué une pollution importante et durable des deux îles. L’insecticide a été autorisé entre 1972 et 1993 dans les bananeraies des Antilles, polluant eaux et productions agricoles, alors que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l’environnement étaient connus depuis les années 60.

 

Plus de 90 % de la population contaminée

 

Plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.

Ce sont les magistrats du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris qui instruisent le dossier depuis quatorze ans. Mi-mars, le procureur de Paris a indiqué que les plaintes contre l’utilisation du chlordécone pourraient aboutir à un non-lieu.

Pour riposter, les avocats de l’une des parties civiles ont annoncé une nouvelle procédure pour tenter de contourner la prescription.

« la voie pénale en matière de santé publique, comme dans le cas du chlordécone, peut parfois décevoir les attentes de nos concitoyens envers l’intervention de la justice. » « L’autorité judiciaire ne peut pas apporter des solutions à toutes les conséquences humaines, sociales, sanitaires ou écologiques des faits dénoncés », confiait ce printemps le procureur à l’AFP.

 

Question ouverte de la responsabilité sanitaire…

 

Les propos du procureur Rémy Heitz poussent à la réflexion dès lors qu’on les rapporte aux conditions de lancement des vaccins anti-covid sur le marché. Habituellement il faut en moyenne entre 10 et 14 ans de recherche pour développer un vaccin. Pour permettre la mise à disposition dun vaccin dans les plus brefs délais, les États ont conclu avec les entreprises pharmaceutiques des contrats d’un nouveau type. Les contrats d’achats anticipés visent à permettre d’apporter un soutien financier aux entreprises pharmaceutiques en leur versant  une avance sur le prix des vaccins qui ne sera pas nécessairement récupérable si l’entreprise échoue à mettre au point un vaccin.

Ces contrats conclus par la Commission européenne et les États membres ne sont pas publics, à la demande des  entreprises pharmaceutiques qui le justifient par la volonté de préserver le secret des affaires. Qui serait alors responsable en cas d’effet indésirable des vaccins contre le covid se déclarant sur le moyen ou le long terme ?  « Sous réserve d’un certain nombre d’informations qui n’ont pas été rendues publiques on comprend que les États membres pourraient indemniser les entreprises pharmaceutiques si elles venaient à être condamnées en cas de dommages pour la santé causés à un tiers par le vaccin », souligne la Commission des affaires européennes du Sénat.

 

La communication gouvernementale passe mal

 

Dans les Antilles françaises, l’affaire du chlordécone comme son traitement judiciaire ont heurté l’opinion et conduit à une grande défiance à l’égard du gouvernement qui tente de réduire les effets de la contamination. Dans ce contexte, la communication gouvernementale en faveur de la politique sanitaire passe mal. « Les martiniquais ont le sentiment d’avoir été empoisonnés, ce qui n’est pas qu’un sentiment, car là-bas presque tout le monde a été contaminé par le chlordécone, explique Bénédicte de retour de Martinique. Mais les martiniquais sont comme tous le monde, ils constatent les ravages du Covid et mesurent les risques. Ce qui explique que de plus en plus de personnes vont se faire vacciner ».

À l’instar du gouvernement, les mass média appuient aujourd’hui lourdement sur l’augmentation des cas de covid-19 en Guadeloupe et en Martinique, ce qui est utile si la teneur du message reste proportionnée aux faits. Ce qui l’est moins est de nourrir la peur en ouvrant un journal d’infos sur les pompes funèbres débordées, ou d’invoquer des représentations dépassées en expliquant que les réticences de la population à se faire vacciner seraient liées « à certaines croyances ». Pourquoi donc, alors que les projecteurs de l’actualité sont braqués sur les Antilles françaises, aucun média ne mentionne la contamination massive de la population liée à l’usage du chlordécone ? Alors, pour rester optimiste aujourd’hui, on peut retenir que beaucoup de guadeloupéen.ne.s et de martiniquais.e.s se vaccinent, et le font en toute liberté de conscience.

Jean-Marie Dinh

 

Peinture réalisée par Clément.

 

Photo DR. Manifestation en Martinique au printemps 2021 pour dénoncer le non-lieu qui pourrait être prononcé dans l’affaire du chlordécone. RCI Martinique

 

Lire aussi : Non-lieu dans l’enquête sur le chlordécone aux Antilles

Notes:

  1. Le chlordécone, est un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité) et classé cancérogène possible dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Considéré comme non biodégradable, la chlordécone a dans l’environnement une demi-vie évaluée, suivant les auteurs, entre 250 et 650 ans dans les sols. En France La formulation du produit était faite à Béziers par la société Laurent de Laguarigue sous la dénomination commerciale « Curlone ».
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.