Un non-lieu, qui entérine les réquisitions du Parquet de Paris, a été prononcé ce lundi 2 janvier par deux juges d’instruction dans l’enquête sur l’empoisonnement par le chlordécone aux Antilles.


 

Dans le dossier du chlordécone, la décision, tant redoutée par les parties civiles après la fermeture, le 25 mars dernier, des investigations sans mise en examen pour empoisonnement, est tombée : non-lieu. Les juges estiment que la grande majorité des faits dénoncés sont prescrits.

Les magistrates reconnaissent, selon l’ordonnance de non-lieu dont l’AFP a eu connaissance, un « scandale sanitaire » sous la forme d’« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants ». Elles invoquent néanmoins la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits énoncés », « commis dix, quinze ou trente ans avant le dépôt de plainte ». Et soulignent « l’état des connaissances techniques ou scientifiques » au moment où les faits ont été commis : « le faisceau d’arguments scientifiques » au début des années 1990 « ne permettait pas de dire que le lien de causalité certain exigé par le droit pénal » entre le chlordécone et ses effets sur la santé « était établi ». Les juges concluent à l’impossibilité de « caractériser une infraction pénale ».

En 2006, des associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé plainte pour « empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible », engageant la responsabilité de l’État qui a autorisé l’utilisation du chlordécone, des industriels, des groupements de planteurs et de certains élus qui ont défendu jusqu’au bout son usage sans proposer d’alternative.

Le chlordécone, pesticide ultra-toxique, responsable de nombreuses maladies, est considéré, entre autre, comme un perturbateur endocrinien, cancérogène et responsable de troubles neurologiques sévères. Interdit France en 1990, il a été utilisé à grande échelle de 1972 à 1993, par dérogation ministérielle, dans les champs de bananes aux Antilles. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) avait pourtant classé ce produit comme possiblement cancérigène dès 1979. Cette substance a provoqué une pollution importante et durable des sols, des eaux et de la chaîne alimentaire dans les deux îles. Plus de 90 % de la population, selon Santé publique France, a été ainsi contaminée. Le taux d’incidence du cancer de la prostate aux Antilles est parmi les plus élevés au monde.

Pour apaiser les tensions, ce cancer a été reconnu comme maladie professionnelle pour les exploitants et les ouvriers agricoles, mais selon des juristes, dans des conditions trop restrictives (délai de prise en charge 40 ans, sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans au chlordécone).

Une information judiciaire a été ouverte en 2008 au Tribunal de Paris. En novembre dernier, les réquisitions de non-lieu du Parquet, concernant la prescription des faits au sujet de l’empoisonnement, ont provoqué de nombreuses manifestations aux Antilles. Le conseil régional de la Guadeloupe, la collectivité territoriale et les avocats de l’association « Pour une écologie urbaine » avaient dénoncé « un scandale sanitaire avec des répercussions mortifères sur la population » et un « déni de justice ».

Le 6 décembre, le député Nupes martiniquais, Marcelin Nadeau, avait interpellé à l’Assemblée nationale le ministre délégué chargé des Outre-mer au sujet « du silence et de l’impunité sous couvert de non-lieu » et avait souligné un « fort sentiment de mépris à l’égard des peuples empoisonnés ».

La prescription de l’action publique qui suit les réquisitions du Parquet de Paris soulève l’indignation et la colère aux Antilles. En Martinique comme en Guadeloupe, les avocats annoncent qu’ils feront appel de cette décision, les recours n’étant pas terminés, quitte à saisir la Cour européenne si nécessaire. En l’attente, les populations antillaises continueront de subir les conséquences de l’utilisation de ce pesticide.

Peinture réalisée par Clément.

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Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.