C’est dans une ambiance festive que les Sahraoui.e.s de Montauban ont célébré, dimanche 19 mai, les 51 ans de leur mouvement de libération, le Front Polisario1, né le 10 mai 1973 pour combattre le colonialisme de l’Espagne, à l’époque de la dictature franquiste. Aujourd’hui et ce depuis 1975, le Maroc est devenu la puissance coloniale et occupante du Sahara occidental.


 

Le centre social montalbanais « La Comète » — tout un symbole pour mettre en lumière la cause sahraouie —, accueille quelque 200 personnes. Les hommes ont revêtu l’habit traditionnel la daâra, une longue tunique bleue ou blanche, la melhfa, aux couleurs chatoyantes, enveloppe le corps des femmes sahraouies de la tête aux pieds, même les filles portent de légers tissus aux motifs printaniers. Suspendus sur un fil, les ballons blancs, rouges, noirs et verts annoncent la couleur du drapeau sahraoui2. Des tables regorgent de boissons à foison, de gâteaux faits maison, dans des barquettes colorées les pop-corns, chips et cacahuètes attendent les bouches gourmandes.

Sur un côté, assise sur des sièges bas posés sur un grand tapis bleu, Mana, habillée de la melhfa à l’étoffe noire des fiançées, préside la cérémonie du thé, un rituel signifiant l’hospitalité généreuse de ce peuple nomade.

 

Le portrait de Naâma Asfari circule

 

À l’horizontale, l’immense drapeau de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) recouvre un pan de mur, d’autres plus petits tombent à la verticale. Devant, se succèdent au micro cinq intervenants, dont Mohamed Ali Zerouali et Sidi Emhamed Ahmed, respectivement représentants du Front Polisario en France et de la Diaspora sahraouie dans l’Hexagone qui ont fait le déplacement depuis Paris. Zeian et Warda de l’association des Sahraoui.e.s du Tarn-et-Garonne se relaient pour présenter les différentes prises de parole et le déroulement de la journée avec jeux, concours de dessins et tournoi de football pour les enfants et les plus jeunes. Mayen Uld Enna Mahayub Bata, président de l’association sahraouie 82, donne la bienvenue à tout le monde, puis c’est au tour de Mohktar Sidi, président de l’association sahraouie de Toulouse de dire quelques mots. Arbitrairement incarcéré par le Maroc depuis 2010, le portrait de Naâma Asfari, paru dans l’Humanité du 16 mai, circule de main en main. Les prisonniers politiques ne sont pas oubliés ni les populations sahraouies des territoires occupés y compris « tous ceux qui souffrent de l’occupation de leur pays », indique le communiqué de presse du Front Polisario.

 

« Nous voulons le Sahara Libre ! »

 

Fátima, 42 ans, femme de ménage, vient du camp de réfugié.e.s d’Aousserd, dans le désert algérien au sud de Tindouf, où elle se rend tous les étés. « Nous luttons depuis plus de cinquante ans sans connaître une solution. Notre peuple, notre cause sont oubliés par les Nations unies et le monde entier. Nous n’avons pas eu de référendum et nous continuons à lutter pour notre terre. Nous ne voulons pas l’autonomie, nous voulons le Sahara libre ! », affirme-t-elle avec détermination.

La même énergie anime la foule, debout, pour entonner l’hymne national « Yabaniy al-Sahara » : « Oh fils du Sahara ! … C’est la guerre pour effacer l’oppresseur et établir le droit des travailleurs… le soulèvement conduira à l’unité toujours dans les cœurs et créera la justice et la démocratie, etc. ».

 

Crédit Photo Pablo Arce

 

Le jeune Ahmed, élégamment vêtu de sa daâra bleue ciel, sert le thé, à l’épaisse mousse blanche, aux convives. Les youyous des femmes sahraouies éclatent ponctuant le discours du dirigeant du Front Polisario qui évoque « cinquante ans de souffrance par la séparation de notre peuple des deux côtés du mur [Les territoires occupés à l’Ouest, le territoire libéré et les campements de réfugié.e.s à l’Est, NDLR], l’exploitation illégale de nos richesses3 et cinquante ans de résistance ». Mohamed Ali Zerouali rappelle les propos du monarque sanguinaire Hassan II, lequel au début du conflit, disait qu’il allait durer à peine une semaine. « Cinquante-et-un ans après, le peuple sahraoui est toujours debout avec la création de son État, une réalité irréversible ».

Comme est intangible le droit de ce peuple à l’autodétermination, selon l’ONU.

 

Le véto de la France au Conseil de sécurité

 

Seule la France bloque, par son véto au Conseil de sécurité, la mise en application du plan de paix des Nations unies qui doit aboutir à l’organisation d’un référendum sur la question du Sahara occidental4, résume le responsable politique. Et de dénoncer le discours de l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, tenu il y deux mois dans une université du royaume : « Il s’est vanté du soutien militaire de la France depuis sa base militaire au Sénégal. L’aviation française a bombardé en 1976-1977 les combattants du Front Polisario au Sahara occidental ». Sans compter le blocus médiatique imposé par le Maroc sur le territoire depuis son occupation. Il s’étend jusqu’à notre Hexagone avec l’affaire Pegasus5 et le fait que les médias dominants n’évoquent jamais la situation des Sahraoui.e.s dans les camps de réfugié.e.s, le monde, les territoires occupés, ou le sort des prisonniers politiques.

Trois jeunes sont assis côte à côte, Sami, 20 ans, une licence informatique en poche, aimerait travailler dans la cybersécurité. Son rêve, plus collectif : « la reconquête de nos terres. Mon père est né à Dakhla et a grandi là-bas, il m’a transmis sa culture, son histoire. Ma mère aussi est de Dakhla ». Ahmed, 21 ans, licencié en droit, a pris une année sabbatique pour travailler, économiser et ainsi se payer une école de commerce, car le droit fiscal des entreprises l’intéresse. « Avec mes amis et les autres étudiants on ne parle pas de politique, seulement de foot. Au championnat d’Afrique des nations, j’ai soutenu l’équipe mauritanienne qui a fait un beau parcours. »

 

 

Crédit Photo. Pablo Arce

 

 

Quand atteindrons-nous la lune ?

 

Désemparée, Leïla Hamed, 34 ans, témoigne de l’ambiance délétère au travail : « J’emballe des pommes chez Stanor à Moissac, les Marocaines ne me laissent pas tranquilles, je suis la seule sahraouie dans l’entrepôt. » Ici ce ne sont pas les chefs qui harcèlent mais les propres travailleuses pour des raisons sûrement politiques. Il faut bien avoir à l’esprit qu’au Maroc, on n’est pas citoyen.ne.s, on est des sujets de « Sa Majesté » et toute opposition au Makhzen6 est fortement réprimée.

Adil, collégien de 14 ans, a remporté avec son groupe le concours du Quiz. « L’histoire de mon pays m’intéresse, elle me rend fier ». La fierté, c’est un sentiment qui revient souvent dans la bouche de la jeune génération, la plupart est né en Espagne et est trilingue (hassinya, espagnol, français). Mailimnin, Mimi pour les intimes, à peine 13 ans, sait déjà ce qu’elle veut faire dans la vie. « J’aime beaucoup la cuisine italienne, je fais des glaces, des gauffres, la pizza margarita, du sablé au chocolat et à la vanille », il y a quelques démonstrations sur les tables.

Mana, 41 ans, élève toute seule ses quatre enfants. Elle fait partie de la lignée des femmes sahraouies féministes qui ne s’en laissent pas compter. Divorcée, ayant vécu à Cádiz, on entend un accent plaisant et des expressions malicieusement andalouses. « Je suis née dans le campement de Dakhla. Je suis à la fois maman et papa, j’élève seule mes quatre enfants. Quelle honte ! Je ne sais pas encore parler le français, je suis venue d’Espagne il y a neuf mois pour travailler ». Mana a beaucoup voyagé : Turquie, Maroc, Guinée-Conakry, Mauritanie, Algérie et a exercé des tas de métiers : serveuse, vendeuse, cuisinière, elle est actuellement agent de nettoyage à la Préfecture, à l’hôpital de Montauban, dans les supermarchés. « On est tous égaux. Les garçons qui ont étudié à Cuba changent les couches de leur bébé, ils aident leur compagne tandis que ceux qui sont nés dans les campements sont plus conservateurs, pas tous, mais en général ils aiment être servis par les femmes ». Comment voit-elle l’avenir de son pays ? « Le Maroc a beaucoup de pouvoir avec l’appui de la France, de l’Espagne et des États-Unis. Nous regardons la lune, mais quand allons-nous l’atteindre ? ».

Piedad Belmonte

Notes:

  1. Front Populaire de libération de Sagui El Hamra et Rio de Oro, connu sous le nom de Front Polisario qui à sa création à Zouerate en Mauritanie, le 10 mai 1973, s’appellait Frelisario. C’est un mouvement politique armé qui combat pour l’indépendance de son territoire le Sahara occidendal, l’ancien protectorat espagnol est la dernière colonie d’Afrique. El-Wali Mustapha Sayed est son fondateur.
  2. Il se compose de trois bandes horizontales en noir, blanc et vert qui sont à leur tour reliées par un triangle rouge situé à gauche du mât. Sur la bande blanche, l’on trouve un demi croissant-rouge et une étoile à cinq branches de la même couleur. Selon les Sahraoui.e.s, les couleurs du drapeau de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) représentent l’espoir du peuple de retourner un jour sur ses terres (vert) ; la paix et la pureté des Sahraoui.e.s (Blanc) ; l’angoisse de la douleur pour les martyrs (noir) ; et le sang versé par les morts (rouge). L’étoile fait référence à son appartenance arabe et le croissant au crédo musulman.
  3. Étendue de 266 000 km2, le Sahara occidental, regorge de richesses agricoles, minières (phosphate), pétrolières et halieutiques. Le Front Polisario lutte, sur le plan juridique, contre l’exploitation de ces ressources par le Maroc qui connaît un développement économique grâce à l’exploitation illégale du sous-sol et du sol de ce territoire qu’il occupe.
  4. Après le cessez-le-feu intervenu en 1991, un plan de paix est établi par la Minurso : Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, lequel devait se tenir dès 1992. Depuis, c’est l’impasse. Cet échec de l’ONU à faire aboutir un processus de paix conduit à une situation dramatique dont dépend le sort de milliers de réfugié.e.s, des habitant.e.s sahraoui.e.s des territoires occupés, des prisonniers politiques, de la diaspora.
  5. Des chefs d’État comme Emmanuel Macron en France ou le chef du gouvernement espagnol — Pedro Sánchez, Philippe Bouyssou, maire PCF d’Ivry, Claude Mangin, épouse de Naâma Asfari, Rosa Moussaoui, journaliste au quotidien l’Humanité, etc — ont été espionnés par le Maroc avec le logiciel israélien Pegasus. La France n’a pas déposé plainte contre la monarchie marocaine et le socialiste Pedro Sánchez a prêté allégeance au monarque pour des intérêts économiques. À noter que l’affaire du Marocgate, au sein du Parlement européen en 2022, a mis en lumière la collusion entre des député.e.s socialistes italien.ne.s démontrant ainsi l’efficacité du lobby marocain dans les institutions européennes et pas qu’en Europe. Le Maroc étend son influence également en Afrique Sub-saharienne depuis quelques années.
  6. Le makhzen est, dans le langage courant et familier au Maroc, à la fois le pouvoir marocain et par extension l’administration. Avant le protectorat, le makhzen était l’appellation du gouvernement du monarque du Maroc.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin