Malika Baadoud directrice de l’École et Nous approuve la fermeture des deux collèges du Mirail.
Le Mirail, un territoire de 30 000 habitants, ne possède plus de collège de proximité. Le ministère de l’Éducation nationale et le Conseil départemental ont décidé la fermeture des deux établissements des quartiers Bellefontaine et la Reynerie dans le cadre de son projet « mixité sociale ». Les jeunes sont désormais répartis dans différents collèges du centre-ville ou de la périphérie. Nous avons rencontré Malika Baadoud, directrice de l’École et Nous, une association1 de parents d’élèves du Mirail qui accompagne les parents dans la vie scolaire et péri-scolaire de leurs enfants.
Que pensez-vous de la fermeture des deux collèges du Mirail ?
C’est une bonne chose. En tant que travailleurs sociaux dans le quartier, nous tirions la sonnette d’alarme depuis une dizaine d’années au sujet de la paupérisation du quartier et la disparition de la mixité sociale au fur et à mesure. Le Conseil départemental a proposé le projet mixité sociale et nous a sollicités2. On a participé, dès le début, à toutes les concertations. L’Éducation nationale a validé le projet un an après. Les collèges n’ont pas été fermés de manière brutale. Ils ont été vidés de façon progressive. Les 3e ont rejoint les collèges mixité en premier, ensuite les 4e, puis les 5e et enfin les 6e.
C’est quoi pour vous la mixité sociale ?
Au tout début, le quartier du Mirail était extrêmement favorisé avec des appartements magnifiques et des espaces verts. Il y avait une vraie mixité sociale : une classe moyenne, une classe élevée et une classe un peu plus fragile. Le quartier a basculé tout doucement, il s’est énormément paupérisé. Aujourd’hui, il n’y a plus de classe aisée, environ 15 % de la population appartient à la classe moyenne, 46 % de personnes sont au chômage. La mixité ethnique a aussi disparu tout doucement. Les familles sont majoritairement issues de l’immigration. Dans les écoles, des petites Marie ou Jean-Paul sont peu nombreux. La mixité n’existe quasiment plus. Il était important que la situation s’améliore.
Lors d’une réunion de concertation, des parents avaient lancé l’idée de jumelage entre le collège de leurs enfants Raymond Badiou à la Reynerie et d’autres collèges. « La moitié des élèves de la Reynerie iraient dans d’autres collèges et la moitié des élèves de ces collèges viendraient à Raymond Badiou », cette proposition vous semblait-elle envisageable ?
Il y a eu des tentatives de faire venir des enfants de collèges plus favorisés et ça n’a pas marché. Sur la question de la sécurité routière, les enfants des autres collèges venaient au collège de Bellefontaine mais ça n’a pas fonctionné. Ce n’est pas une histoire de collège, c’est une histoire de territoire. La mixité n’existe pas dans le quartier. Il faut commencer par l’habitat. Il aurait fallu que les gens du centre-ville viennent habiter au Mirail. Il faut arrêter de se leurrer, ce n’est pas possible qu’ils viennent ici, car leurs enfants sont scolarisés au centre-ville. Cette proposition n’a ni queue ni tête. Dans le PLU [Plan local d’urbanisme, NDLR], il était question de faire venir des gens un peu plus aisés dans ces quartiers en construisant des logements, ils ont même bradé les prix des logements dans le but de les vendre à des médecins ou à des ingénieurs. Mais qui a acheté ces appartements ? Ceux du quartier. Sacrifier encore des cohortes d’enfants pour un rêve illusoire, je suis pas d’accord.
N’y avait-il pas une alternative à cette fermeture et à la démolition ?
Il n’y en a pas. Pourquoi ces deux collèges ont été choisis ? C’est l’Éducation nationale qui les a choisis. Trois années avant la mise en place du projet mixité, l’Académie annonçait les résultats les plus faibles de la Haute-Garonne avec les moyens qu’il n’y avait nulle part ailleurs. Trois CPE [Conseillers principaux d’éducation, NDLR] pour 400 élèves alors que dans d’autres établissements, c’est un CPE pour 700 élèves. Il y avait des moyens plus que nécessaires alors que les résultats n’étaient pas là. Il y avait donc un problème. Le Conseil départemental et l’Éducation nationale ont tout essayé mais ça n’a pas fonctionné.
Avez-vous eu des retours d’élèves et de parents sur leurs nouvelles affectations ?
Près de 95 % de retours sont positifs. À tel point que des parents souhaitent aller vivre près des collèges de leurs enfants comme c’est le cas, par exemple, à Plaisance-du-Touch. Par contre à Balma, comme la population est trop importante, le projet mixité sociale a été abandonné. À la prochaine rentrée, les enfants du Mirail ne seront pas acceptés à Balma, car la priorité est donné aux enfants du territoire.
Les jeunes du Mirail nouent-ils des relations en dehors du collège avec les jeunes de leur nouveau collège ?
Des amitiés se sont créées, ils font des activités sportives ensemble, ils vont au cinéma ensemble. Les jeunes viennent ici. Il faut du temps pour ce genre de projet. Le racisme et les apriori, ce sont les adultes. Que tu viennes du Mirail ou d’ailleurs peu importe quand il y a affinité. Ce n’est pas un projet qui est parfait mais il a eu au moins le mérite d’exister et de permettre aux enfants de sortir. On a tout ici, les administrations, les commerces, en sortant du quartier les enfants découvrent autre chose. Un journaliste britannique m’a contactée. Les Britanniques veulent reproduire le projet mixité chez eux. C’est que du positif. En 2022, le Dasen [le Directeur académique des services de l’Éducation nationale, NDLR] a félicité un collégien venu de Raymond Badiou parce qu’il a obtenu la meilleure note au brevet.
Les institutions ont parlé de collège « ghettoïsé, ethnicisé », de « cocotte-minute prête à exploser à chaque instant, un danger pour la République »3, comprenez-vous que ces propos ont pu heurter des parents ?
Oui, on est dans des quartiers ghettoïsé, ça ne me choque pas, ce sont des prisons dorées. Quand il faut faire un stage à Balma ou à Saint-Jean, les jeunes disent que c’est trop loin. Ils ne bougent pas du quartier. Ils ont tout sur place : les centres de loisirs, les crèches, les activités sportives et culturelles. Quant à la dernière expression, j’irais pas jusque là, c’est de l’abus de langage. Les extrêmes récupèrent ce genre d’argument. Les apprentissages s’affaiblissaient, ça devenait problématique, les enfants se retrouvaient en difficulté, l’égalité des chances, c’est pas ça. Il faudrait que les enfants puissent avoir accès aux apprentissages de façon égale.
Interview réalisée par Piedad Belmonte
Dans La Gazette des Communes, le Club Éducation et Vie scolaire du 26 mai 2023, Olivier Schneid, journaliste, écrivait : « Dans une “une étude scientifique indépendante visant à éclairer la décision publique”, trois chercheurs jugent “bénefiques” pour le climat scolaire les politiques favorisant la mixité sociale à l’école. Et ce, tant pour les élèves de milieux favorisés que défavorisés. En revanche, ils n’observent pas d’effet, ni positif ni négatif, sur les “performances scolaires” des collégiens ».
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Notes:
- « Les Fédérations de parents-d’élèves ne venaient pas dans le quartier, précise Malika Baadoud. L’association L’École et Nous a été créée en mars 2003 par un groupe de parents d’élèves du quartier Bellefontaine, suite au constat de l’abandon des structures nécessaires à leur représentation au sein du Mirail », peut-on lire sur son site.
- Le projet a été lancé en 2017 et le ministère de l’Éducation nationale l’a validé en 2018.
- Propos de Georges Méric, ex-président PS du conseil départemental (2015-2022). Son prédécesseur à la tête du département de la Haute-Garonne (1988-2015), Pierre Izard, avait affirmé que tant qu’il serait là, il n’y aurait pas de fermeture des collèges.