En dépit des Droits de l’Homme et du bon sens économique, l’extrême droite impriment ses idées sur l’immigration. La proposition de loi des Républicains dévoilée ce week-end le confirme. Comment a-t-on pu en arriver là ?


 

Double peine, délit de séjour irrégulier, droit du sol restreint… les mesures musclées que contient la proposition de loi des Républicains sur l’immigration n’ont rien à envier à la « candidature anti-immigrés » d’un Éric Zemmour. Elles participent d’une idéologie où l’immigration est brandie comme une menace pour l’avenir — de « nos modes de vie » et de « notre souveraineté » comme le défend Marine Le Pen. Soucieux de préparer le débat, le groupe socialiste a créé un groupe de travail afin de bâtir le « récit de la gauche sur la politique migratoire », indiquait en décembre dernier le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud. Principale difficulté, celle de ne pas faire fuir un peu plus l’électorat populaire qui considère en très grande majorité qu’il y a « trop d’étrangers en France ».

Élaborée sous la houlette d’Annie Genevard, secrétaire générale des Républicains, la proposition de loi (PPL) de LR sur l’immigration se fonde sur un rapport présenté en mai 2022 par le sénateur du Rhône, François-Noël Buffet, qui a d’ailleurs inspiré… le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. L’objectif affiché est de « reprendre le contrôle » de ­l’immigration.

Pour « passer d’une immigration subie et massive à une immigration choisie et réduite », le texte prévoit que le Parlement vote chaque année une loi fixant le nombre d’étrangers admis en France pour chaque motif. Les critères pour l’obtention de titres de séjour comme pour le regroupement familial seraient durcis. Le ­caractère « sérieux » des études pour les étudiants étrangers serait contrôlé chaque année et les frais de scolarité des étrangers extracommunautaires augmentés.

L’aide médicale d’État (AME) serait remplacée par une aide médicale « d’urgence » moins généreuse. Les étrangers n’auraient accès à la protection sociale et aux allocations qu’après cinq ans de résidence stable. Ces droits seraient en outre conditionnés à un « droit au séjour permanent ».

La PPL rétablit le délit de séjour irrégulier et la double peine. Elle facilite l’expulsion ou l’interdiction de territoire des personnes condamnées pour des infractions passibles d’au moins un an de prison. Elle permet de relever empreintes digitales et photos sans le consentement des étrangers. Si un mineur non accompagné refuse un test osseux, il y aura « présomption de majorité ». La droite veut par ailleurs indexer l’aide au développement sur la délivrance de laissez-passer consulaires par les pays concernés.

 

Frontière de Ceuta, enclave espagnole au Maroc, 2001. Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI © Ad Van Denderen

 

Les Républicains veulent restreindre les conditions d’octroi de la nationalité au titre du droit du sol. Ils proposent « l’effacement du droit du sol » si les parents étrangers étaient en situation irrégulière au moment de la naissance de l’enfant, ou quand le postulant a un casier judiciaire au moment de la demande de nationalité.

 

Comment a-t-on pu en arriver là ?

 

L’évolution tragique du débat sur l’immigration laisse pantois. Une sorte de stupéfaction s’est emparée de l’opinion publique. Le problème est politique. Les faits qui ont entrainé la situation actuelle sont bien antérieurs. Ils se posent dans les termes de l’opposition entre l’ami et l’ennemi. La France a tenté de réécrire son histoire coloniale, écrit l’Historien Philippe Hauser dans De l’ennemi à l’ami. Cela prend la forme d’une mythologie, c’est-à-dire une “parole dépolitisée”, un “métalangage”. Selon Hauser, l’un des objectifs de cette mythologie est de réaffirmer la puissance politique qui tend à perdre de sa légitimité : les gens n’ont plus confiance en elle. Cela consiste en une démonstration de force, montrant que l’État est en guerre contre les représentations considérées néfastes pour la cohésion et contre ceux qui sont soupçonnés d’être une menace pour l’ordre social et l’identité nationale. Ceci explique peut-être l’influence grandissante de l’extrême droite que l’on retrouve aujourd’hui et qui réactualise le réflexe anti-immigrés récurrent dans l’histoire de la France. Tout au long de son histoire, la France s’est servie de l’immigration à des buts utilitaires.

Rappel : Pour l’ONU, un immigré est une personne née dans un autre pays que celui où elle réside, personne étrangère née à l’étranger. Côté titres de séjour délivrés, en 2019 la France a accordé 277 406 titres de séjours à des ressortissants non européens se situant derrière l’Allemagne et derrière l’Italie. Selon la Cour des comptes (avril 2020), « ces chiffres placent (…) notre pays parmi les plus restrictifs en termes de séjour (3,72 titres accordés pour 1 000 habitants en 2016, contre 12,18 en Allemagne ou 7,65 en Espagne) » et 14,53 pour la Suède.