Le paysage sorti des urnes à l’issue des élections législatives est des plus complexes, entre entrée en force de l’extrême droite dans l’hémicycle, percée de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), net recul de la coalition macroniste privée de majorité absolue et abstention très élevée. Coup de projecteur vu des Suds.


 

De Nice à Perpignan, pas un seul département de l’arc méditerranéen qui n’ait pas envoyé son contingent de député.e.s du RN à l’Assemblée. Les deux régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie ont largement contribué au score « historique » de l’extrême droite qui passe de 8 à 89 représentants au Palais Bourbon. Si le but d’Emmanuel Macron était vraiment de faire reculer le RN (ce dont on peut de plus en plus douter), force est de constater, au bout de cinq ans de « règne », que l’échec est cinglant.

Le score du RN qui n’avait même pas la capacité de former un groupe parlementaire en 2017 n’est pas sans lien avec le fait que la coalition gouvernementale1 a essentiellement ciblé la Nupes, accusée de tous les maux  avec un grand sens de la nuance : « guillotine fiscale » selon les mots de Gabriel Attal, « anarchistes d’extrême gauche » selon la désormais ex-ministre Amélie de Montchalin, battue dans sa circonscription par le socialiste Jérôme Guedj, propos du même acabit de la part de Jean-Michel Blanquer… La stratégie visant à renvoyer dos-à-dos « les deux extrêmes », fait, in fine, le jeu du RN qui gagne systématiquement tous ses duels de second tour face aux candidat.e.s LFI-Nupes dans les régions Paca et Occitanie. Le « cas par cas » proclamé dès le soir du premier tour par la porte-parole du gouvernement Olivia Grégoire a certainement produit ses effets.

 

Le RN rafle tous les sièges dans l’Aude et les Pyrénées Orientales

Pendant ce temps, le RN placardait partout, sur ses permanences comme sur ses bulletins de vote, qu’il était « la seule opposition à Macron ». Au mépris de toute réalité mais non sans un certain succès dans nos deux régions où ce courant est enraciné et banalisé depuis les années 1980. Passerelles entre l’UMP (puis les LR) et l’extrême droite, ou transfuges, le RN apparait de plus en plus comme une option « normale » pour bon nombre d’électeurs de départements ancrés à droite comme les Alpes-Maritimes (06) et le Var (83). Dans le 06, le RN obtient trois sièges sur les neuf circonscriptions, dont l’une est remportée par Éric Ciotti, représentant du courant le plus droitier des Républicains. Dans le 83, le RN frôle le carton plein avec sept sièges sur huit. Même constat dans le Vaucluse, département désindustrialisé et en proie à la crise agricole, où le RN obtient quatre députés sur cinq, l’Avignonnais Farid Farissy (LFI-Nupes) ayant du s’incliner face au maire RN du Pontet, Joris Hébrard, dans la première circonscription, la plus urbaine. Ensemble ! sauve les meubles  avec l’élection de Jean-François Lovisolo dans la circonscription Carpentras Nord.

Le “carton plein”, le parti d’extrême droite le réalise dans certains départements d’Occitanie comme les Pyrénées Orientales (4 sièges) où il gère Perpignan depuis les Municipales de 2020 et l’Aude (3 sièges). À noter que ces deux départements possèdent pourtant un Conseil départemental présidé par le PS.

 

 

Résultats encourageants pour la Nupes dans les Bouches-du-Rhône, l’Hérault et la Haute-Garonne

Le paysage est un peu plus diversifié dans le Gard (6 sièges) où les victoires d’un candidat  Modem-Ensemble !, Philippe Berta, dans une des deux circonscriptions nîmoises et d’un LFI-Nupes, Michel Sala, à Alès Ouest, tempèrent les quatre victoires du RN.

Dans l’Hérault, les neuf circonscriptions sont à parts égales allées au RN (Béziers sans surprise, mais aussi Bédarieux et Sète), à Ensemble ! (Patricia Mirallès réélue à Montpellier, Laurence Cristol à Montpellier-Castelnau et Patrick Vignal, réélu à Montpellier-Mauguio). Pour la Nupes, la France insoumise passe d’une députée à trois avec Nathalie Oziol dans la deuxième circonscription de Montpellier, Sylvain Carrière à Montpellier-Frontignan et Sébastien Rome dans la circonscription de Lodève. Le paysage héraultais reflète assez bien celui du pays avec les fameux « trois blocs ». Le quatrième, celui de l’abstention, est le plus fourni avec 55 % de non-votants soit un peu plus que dans l’ensemble du pays (53,77%).

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le RN parvient même à gagner une circonscription à Digne, dans les Alpes-de-Haute-Provence. La FI remporte une victoire ô combien symbolique à Manosque-Forcalquier où son candidat Léo Walter bat Christophe Castaner, ancien ministre de l’Intérieur et président du groupe LREM à l’Assemblée.

Dans ce tableau assez sombre au sud, il reste cependant des départements où l’extrême droite n’ a aucun député comme la Haute-Garonne-où la Nupes l’emporte dans six des dix circonscriptions- l’Aveyron (deux LREM et un FI), la Lozère où la circonscription unique revient à l’UDI, le Lot (un LR et une LREM), les Hautes-Pyrénées qui partagent leurs deux sièges entre Tarbes (LFI-Nupes) et Lourdes où LREM peut encore croire aux miracles, le Gers et l’Ariège. A noter que dans ces deux derniers départements, l’opération candidats PS ayant refusé l’union a réussi à Condom et à Pamiers où le PS dissident Laurent Panifous a battu le député sortant LFI, Michel Larrive, en passant de 21% au premier tour à 56% au second, bénéficiant ainsi des voix du candidat Modem-Ensemble (13%) mais aussi probablement d’une partie des voix du RN.

Dans un scrutin qui ne peut pas se réduire à une lecture univoque (du style « c’est la victoire d’un tel ou d’un tel »), la percée de la Nupes, rassemblement des formations de gauche et écologistes construit dans l’urgence après la présidentielle, constitue aussi un événement. Certes loin de certaines projections qui annonçaient 175 à 210 sièges2 et probablement des espoirs des militant.e.s, les succès ne sont cependant pas négligeables pour cette nouvelle coalition. Sa composante LFI remporte trois sièges à Marseille avec Manuel Bompard qui succède à Jean-Luc Mélenchon dans la circonscription de l’hyper-centre, Hendrik Davi et Sébastien Delogu, élu dans les quartiers nord. Le député PCF Pierre Dharréville est pour sa part reconduit dans la 13ème circonscription (Martigues) face au RN  (52% contre 48%).

 

Un fiasco pour les instituts de sondages

Si la situation politique est complexe à l’issue de ces législatives avec une perte d’hégémonie de la « macronie » qui l’obligera à nouer des alliances (le pire n’est pas à écarter), un élément paraît très clair : l’échec total en matière de projections en sièges. Une nouvelle fois, les instituts de sondages se sont trompés dans les grandes largeurs, annonçant 15 à 30 sièges pour le RN 3 et surévaluant le score de la Nupes. Il n’aura échappé à personne qu’avec 89 député.e.s, le RN est largement au-dessus des projections.

Signe d’une certaine honnêteté intellectuelle… ou de la difficulté de la tâche, les fourchettes très larges (de 275 à 310 sièges par exemple pour Ensemble !)4 devraient pourtant inciter tous les commentateurs à la prudence. Les projections en sièges à l’issue du premier tour apparaissent comme un exercice très approximatif, reposant sur des spéculations concernant les reports de voix… dans un contexte de volatilité des électorats. Moralité : il faudrait peut-être arrêter d’accorder un crédit inconditionnel aux instituts de sondages et ne plus alimenter la machine comme le hamster qui tourne invariablement dans sa cage. On le sait, c’est un vœu pieux…

De multiples lectures de ces législatives peuvent être faites. La coalition macroniste a choisi le registre de l’alarmisme, à l’image de la nouvelle porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire : « ma hantise, c’est que le pays soit bloqué ». Digne de lendemains de seconde guerre mondiale, l’idée d’un gouvernement d’union nationale relève aussi de ce registre, en pire. On peut au contraire considérer que  l’Assemblée nationale ne sera plus réduite au rôle de chambre d’enregistrement et que le présidentialisme qui, au fond, est au cœur de la logique de la Ve République, a du plomb dans l’aile.

C’est désormais le temps de l’analyse et de la vigilance démocratique. Et du constat lucide sur un système électoral où plus d’une personne sur deux n’est pas allée voter pour ceux qui, demain, vont faire les lois. L’abstention massive dans les tranches d’âge les plus jeunes (71 % chez les 18-24 ans et 66 % chez les 25-34 ans5) et dans les classes populaires devrait tout particulièrement nous interroger.

J-F. Arnichand


Provence-Alpes-Côte d’Azur : 42 sièges

RN : 21 sièges

Ensemble ! : 11 sièges

Nupes : 5 sièges

LR : 5 sièges

Occitanie: 49 sièges

RN: 16

Nupes : 15

Ensemble : 14

PS dissidents : 2

UDI : 1

LR : 1


(Photo: Assemblée nationale)

 

Notes:

  1. « Ensemble ! » est formée de LREM rebaptisée « Renaissance », des partis Horizons (Édouard Philippe), MoDem (François Bayrou), Agir…
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  5. Source : franceinfo
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"