Deux alliances au coude-à-coude, celle qui soutient Emmanuel Macron, et la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), un taux d’abstention record et une situation inédite à plus d’un titre : les principaux enseignements du premier tour des élections législatives dans le pays et dans nos deux régions.


 

L’abstention s’enracine, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Occitanie comme dans l’ensemble du pays où elle atteint un score historique (52,48 %) alors qu’elle n’était que de 31,09 % en 1993. Plus d’un électeur ou d’une électrice sur deux a donc boudé les urnes  dimanche 12 juin. Et on ne saurait réduire le phénomène sur lequel altermidi se penche depuis plusieurs mois1 au temps magnifique qui régnait ce week-end et à l’attrait de la plage pour celles et ceux qui vivent près du littoral. Le premier tour des élections législatives vient confirmer une tendance de fond et rien ne prouve que le second soit à même de l’inverser.

À titre d’illustration d’une désaffection qui ne connait pas de saisons, le pourcentage  d’abstentionnistes frôle les 60 % à Marseille à l’occasion de ce premier tour et atteint même 54 % dans la deuxième ville des Bouches-du-Rhône, Aix-en-Provence, aux caractéristiques sociologiques pourtant bien différentes. L’abstention massive est courante dans la « capitale » de la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur ; elle l’est beaucoup moins à Aix.  L’abstention atteint des sommets dans les quartiers populaires de Marseille : plus de 72 % dans la 7e circonscription (quartiers nord), 61 % dans la quatrième circonscription qui regroupe notamment les arrondissements du centre-ville (1er, 2e et 3e). C’est certainement là que le sentiment selon lequel « la politique » est incapable de changer le quotidien est le plus prégnant.

Le phénomène touche aussi les circonscriptions de Montpellier (54 % et 55,74 % d’abstention dans les deux premières par exemple) et de Béziers (54,68 %) où seul l’électorat de la députée d’extrême droite, Emmanuelle Ménard, semble s’être mobilisé. À Toulouse, en revanche, le nombre des votants reste supérieur à celui des abstentionnistes.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur,  les deux départements alpins ruraux, Hautes-Alpes et Alpes-de-Haute-Provence,  font figure comme à l’accoutumée de « bons élèves » en matière de participation. Ils sont parmi les rares où l’on enregistre plus de 50 % de votants.

La conviction — classique depuis l’inversion du calendrier électoral (la présidentielle organisée avant les législatives) — selon laquelle « la messe serait dite » une fois le président élu aurait-elle joué une nouvelle fois ? Ces législatives s’annonçaient pourtant bien plus indécises que les précédentes en 2012 (après la victoire de François Hollande) et en 2017 (premier quinquennat d’Emmanuel Macron) avec le pari lancé par Jean-Luc Mélenchon et la Nouvelle union populaire d’envoyer une autre majorité à l’Assemblée. Mais le présidentialisme de la Ve République, même si on peut considérer qu’elle est à bout de souffle, continue de produire ses effets.

 

LREM en perte de vitesse, LR au plus mal

Outre l’abstention massive, le recul des candidats soutenus par Emmanuel Macron  (omniprésent sur les affiches) est le deuxième enseignement majeur de ce scrutin. Trois députés sortants « macronistes » de l’Hérault (Philippe Huppé, Christophe Euzet et Jean-François Eliaou) sont d’ores et déjà sortis, tout comme Alexandra Louis et  Saïd Ahamada dans deux circonscriptions de Marseille (respectivement la 3e et la 7e)  où auront lieu des duels Nupes-RN au second tour. À Arles, où la députée sortante Monica Michel ne se représentait pas, la coalition macroniste baptisée Ensemble2 sera également absente du second tour.

Les déboires de cette coalition de soutien au Président ne sont rien pourtant par rapport à ceux des Républicains, tiraillés entre le libéralisme économique décomplexé de LREM (renommée Renaissance !) et le nationalisme du RN, sans omettre la création du parti d’Éric Zemmour, Reconquête, qui sert de passerelle entre les LR et l’extrême droite. Dans les Hautes-Alpes, département rural traditionnellement favorable à la droite classique, le second tour verra deux confrontations entre la Nupes et LREM-Ensemble. À l’échelle de ce département peu peuplé qui ne compte que deux circonscriptions, se joue un scénario entrevu de manière plus spectaculaire à la Présidentielle avec le score très faible de Valérie Pécresse.

Élections nationales (il s’agit bien d’élire des personnes qui voteront des lois applicables sur l’ensemble du territoire) mais souvent marquées par une forme de localisme, les législatives auraient pu permettre au parti LR de se refaire une santé. Malgré des clips de campagne quasi uniquement axés sur l’ancrage territorial, ce parti continue cependant de perdre du terrain. Dans les Bouches-du-Rhône, sur les cinq sièges détenus par les LR, quatre se sont déjà évanouis au soir du 12 juin. La dernière chance des Républicains dans ce département repose sur le député sortant de la Côte bleue, Éric Diard, qui bénéficie de l’absence de candidat LREM dans ce scrutin. Il fera face à un candidat RN au second tour. L’issue de l’élection dépendra de l’attitude de l’électorat de la Nupes, arrivée en troisième position.

Autre illustration de la disparition tendancielle de ce parti : la configuration, on ne peut plus simple, du second tour dans le Var : huit circonscriptions, huit confrontations entre LREM et le RN, de La Seyne-sur-Mer à Saint-Tropez où Eric Zemmour a échoué dans son entreprise. LREM apparaît de plus en plus comme un recours pour l’électorat de droite. C’est manifeste dans le Var et dans les Bouches-du-Rhône ou plusieurs élu.e.s marseillais (Renaud Muselier, Martine Vassal, Lionel Royer-Perrault) ont rallié LREM.

Dans le Vaucluse, les LR disparaissent aussi du paysage et ce sont les cinq candidats d’extrême droite qui seront présents au second tour. Seule la circonscription d’Avignon (qui compte aussi les communes du Pontet et de Morières) peut offrir une chance de victoire à la Nupes, représentée par Farid Farissy (LFI) qui a obtenu 30,55 % des voix.

Si LREM sauve les meubles dans le 84 (Vaucluse), il n’en est pas de même partout en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Signe des difficultés rencontrées par la mouvance macroniste, l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner (30,16 % des voix), qui n’a pas laissé de bons souvenirs aux Gilets jaunes, est au coude-à-coude avec le candidat de la Nupes, Léo Walter (29,30 %), dans la deuxième circonscription des Alpes-de-Haute Provence (Manosque-Forcalquier). Sans affirmer que Forcalquier deviendra le centre du monde, on peut déjà annoncer que le second tour aura une forte valeur symbolique dans ce département dont on parle si peu d’ordinaire.

 

La Nupes en force à Marseille, Montpellier et Toulouse

La percée de la Nouvelle union populaire écologique et sociale dans les trois grandes villes des deux régions (Nice fait exception, quoiqu’un candidat ait réussi à se « qualifier » pour le second tour) est un autre fait majeur de ces législatives. à Marseille, le successeur de Jean-Luc Mélenchon dans la quatrième circonscription, Manuel Bompard, (56 % des suffrages) rate l’élection au premier tour pour cause d’abstention massive. Trois autres candidats LFI-Nupes sont en position favorable : Sébastien Delogu dans la 7e, Mohamed Bensaada dans la 3e et surtout Hendrik Davi (40,30 %) dans la 5e qui devance largement la députée LREM sortante, Cathy Racon-Bouzon. Après le score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, l’implantation de la France insoumise à Marseille se confirme.

La même tendance est à l’œuvre dans une ville moins malmenée comme Montpellier, où la Nupes peut nourrir des espoirs dans les deux circonscriptions exclusivement montpelliéraines mais aussi dans les circonscriptions Montpellier-Castelnau, Montpellier-Frontignan et Montpellier-Mauguio. Et même dans la circonscription plus rurale de Lodève, où — malgré la présence d’un PS dissident soutenu par la présidente de la Région, Carole Delga et le président du Département, Kléber Mesquida — le candidat LFI-Nupes, Sébastien Rome devance la candidate du RN, Manon Bouquin (respectivement 28,06 % et 22,71 %).

En Haute-Garonne (10 sièges) les voyants semblent aussi au vert pour la Nupes, particulièrement dans les six circonscriptions toulousaines. Dans la première, le candidat de la Nupes, Hadrien Clouet (39,79 %) devance nettement le candidat LREM, Pierre Baudis (28,05 %), fils de l’ancien maire, Dominique Baudis.

Dans l’Ariège voisine, les deux député.e.s LFI sortants, Bénédicte Taurine (Foix) et Michel Larive (Pamiers) sont en mesure de conserver leurs sièges. Avec 29 % des voix, ce dernier a du faire face a un candidat PS dissident, Laurent Panifous (21,79 %).

 

Le RN banalisé dans l’ex-Languedoc-Roussillon

Si l’influence de l’extrême droite reste relativement limitée en Haute-Garonne, il n’en est pas de même dans quatre départements de l’ancienne région Languedoc-Roussillon : le Gard, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées Orientales. Comme en Paca, la présence du RN au second tour est désormais banalisée.

Dans les quatre circonscriptions des Pyrénées-Orientales, le RN vire en tête à l’issue du premier tour. Même scénario dans l’Aude où les trois candidats RN seront présents au second tour, sans que cela ne leur garantisse la victoire. Dans ce département, l’attitude des électrices et électeurs de LREM dont les deux candidates ont été éliminées dans les circonscriptions de Carcassonne et Castelnaudary sera déterminante.

Dans le Gard où le RN compte déjà un député, il sera présent dans cinq des six circonscriptions, face à LREM-Ensemble ou, le plus souvent, face à la Nupes comme ce sera le cas dans l’une des deux circonscriptions nîmoises, ainsi qu’à Alès Est et Alès Ouest.

Symptôme d’une crise aux multiples visages, l’ancrage de ce courant politique devrait lui permettre d’augmenter son nombre d’élu.e.s. Et il y a fort à craindre que le Sud y contribue.

Ceci ne doit pas faire oublier que la situation est atypique à plus d’un titre, la coalition du président n’étant pas assurée d’obtenir la majorité absolue à l’Assemblée. Et comme l’art de la projection en sièges des résultats du premier tour est tout sauf une science exacte, on se gardera bien ici de prophéties “à deux balles”.

J-F. Arnichand

 


Assemblée nationale : 577 député.e.s

Occitanie :  49 sièges

Haute-Garonne :10 sièges

Hérault : 9 sièges

Gard : 6 sièges

Pyrénées-Orientales : 4 sièges

Aude : 3 sièges

Aveyron : 3 sièges

Tarn : 3 sièges

Hautes-Pyrénées : 2 sièges

Tarn-et-Garonne : 2 sièges

Lot : 2 sièges

Lozère : 1 siège

Provence-Alpes-Côte d’Azur : 42 sièges

Bouches-du-Rhône : 16 sièges

Alpes-Maritimes : 9 sièges

Var : 8 sièges

Vaucluse : 5 sièges

Alpes-de-Haute-Provence : 2 sièges

Hautes-Alpes : 2 sièges

Notes:

  1. Voir les numéros 2 et 3 de notre magazine
  2. Ce nom a été emprunté à un petit parti de gauche, Ensemble, qui a porté plainte.
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"