Trois palestinien.ne.s étaient en tournée dans le pays pour témoigner de la vie des jeunes sous l’occupation israélienne à l’invitation de l’AFPS, association France-Palestine Solidarité. Il-elles étaient à Toulouse le 23 mai, toujours aux côtés d’une militante de l’AFPS, sa vice-présidente et du mouvement des jeunes communistes 31.


 

Mohamed Zware, 23 ans, journaliste, natif du village d’Al-Ma’sara (sud-ouest de Bethléem) raconte ses premiers pas d’homme libre. « En tant que peuple français, vous avez la chance de vivre en liberté. Vous n’avez aucun check-point, vous avez vos gares et vos aéroports, la liberté de circuler. »  « Depuis 25 jours que je suis en France, je suis libre d’aller où je veux. C’est la première fois que je passe à côté d’un policier sans la menace d’être arrêté ou que j’entends la sirène d’une voiture de police sans me mettre à courir. » Interdiction est faite au peuple palestinien de voyager depuis Tel-Aviv, il doit passer par l’aéroport de la Jordanie. « On a survolé la Palestine de 1948, Jaffa, une ville où on ne peut se rendre et vu la mer, la Méditerranée, pour la première fois. »

Tout petit déjà, Mohamed prend conscience que quelque chose ne tourne pas rond et des tas de questions le tourmentent. « Pourquoi est-ce que je suis né dans un village entouré de colonies ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de visiter la terre où mon grand-père a vécu ? Pourquoi le vendredi mon père ne peut pas être avec nous pour partager le repas ? Pourquoi les gens, chaque vendredi, se rassemblent pour aller protester sur les territoires confisqués par les colons ? »

Les réseaux sociaux montrent au monde la répression

Une nuit, l’armée israélienne est rentrée dans sa maison menaçant son père : s’il maintenait la manifestation, il serait arrêté. Ce dernier fait partie du comité d’organisation des marches pacifiques. La peur au ventre, Mohamed décide, à 6 ans, de participer à sa première manifestation. Et à 9 ans apprend la photographie dans un stage. Depuis son tout jeune âge, il est malgré lui propulsé photographe-reporter lors d’une manifestation dont le bouclage du village par l’armée israélienne vise à empêcher les journalistes et les photographes de faire leur travail. « Ils ont pu réprimer en toute tranquillité. Avec ma petite expérience, j’ai réussi à prendre des photos, je les ai gardées encore aujourd’hui. » C’est en 2011, à peine âgé de 12 ans, qu’il crée sa page facebook pour diffuser l’information en dehors d’Al-Ma’sara. « On m’a agressé et tenté de m’arrêter. On a cassé ma caméra. Ils voulaient cacher la vérité de ce qui s’était passé, notamment quand j’ai photographié mon père agressé et arrêté. J’ai alors compris que le monde pouvait voir ce qui se passait. »

« Je suis devenu un terroriste à leurs yeux »

Plus tard, étudiant des médias à l’université de Birzeit (Ramallah, Cisjordanie occupée), Mohamed est témoin encore de la violence de l’occupation quand elle rentre au sein de l’université et qu’il entend des tirs alors qu’il est en cours. « Ils ont arrêté le président des étudiants palestiniens. Je suis devenu un terroriste à leurs yeux le jour où j’ai été élu président de l’unité universitaire des médias. À chaque fois que je passais un check-point, il fallait me punir, j’ai été arrêté pendant six heures. De nombreux camarades sont actuellement en prison. Ils n’ont pas pu terminer leurs études. Certains ont été libérés à condition de ne pas retourner à l’université. »

Le courage de continuer à résister, Mohamed le puise dans la figure de son grand-père qui lui a transmis son amour de sa terre confisquée au-delà du mur et qui lui a passé le flambeau : « Je suis vieux, je vais mourir, je n’ai jamais pu revoir ma terre sauf si toi tu continues à raconter l’Histoire. » D’où la réalisation de deux films, dont le premier raconte l’histoire de ce vieil homme sous l’occupation et le deuxième évoque Abu Dia, un paysan et ses acolytes, et, notamment, toute la solidarité des jeunes au moment de la cueillette des olives pour empêcher les agressions des colons protégés par les soldats de l’armée d’occupation.

Les colons s’en prennent aux enfants

Avocate, Abeer Al Khatib est diplômée en Droit du Collège universitaire moderne de Ramallah, étudiante en master Droits de l’Homme à l’université américaine de la ville éponyme. Cette mère de trois enfants est cheffe du conseil des jeunes de Jérusalem nord-est et participe activement à de nombreux projets de résistance populaire comme cueillir les olives devant le mur et soutenir les familles bédouines et les femmes qui vivent dans des zones attaquées régulièrement par des colons. Elle souhaite témoigner de la vie des enfants dans les écoles. « Je mène un combat malgré moi en tant que femme vivant sous occupation, mais aussi en tant que maman de deux garçons et une fillette. Le temps que je devrais passer avec ma famille, je le passe à lutter. »

Derrière elle, l’écran projette une photo avec au centre un homme. « Omer est un colon. Les colons ont le droit de porter des armes en Cisjordanie. Ils ont confisqué la majorité des terres appartenant aux Palestiniens pour y construire des colonies en hauteur. Le village, Luban e Sharhiya, possède deux écoles. La journée commence à 7h30 par l’hymne national chanté par les enfants. Ce colon, que ce chant dérange, a appelé ses voisins pour arrêter les terroristes. Cent colons sont descendus pour chasser les gamins à coup de bombes lacrymogènes et ont cadenassé les portes de l’école. »

Vingt-quatre écoles menacées de destruction

La militante précise les deux conditions exigées par les colons pour rouvrir l’école : enlever le drapeau palestinien et cesser l’hymne national. La riposte ne s’est pas faite attendre : les militant.e.s se sont organisé.e.s pour encadrer les écoliers. Elle dresse un tableau criminel du sort que des colons réservent aux jeunes. En 2014, un adolescent de Jérusalem a été kidnappé par trois extrémistes israéliens qui lui ont versé de l’essence, il a été brûlé vif. Les organisations des droits de l’Homme ont réclamé justice1. En 2015, des colons ont mis le feu dans une maison en cassant les vitres.

Un seul gosse sur six que comptait la famille a pu être sauvé mais à jamais défiguré à cause des brûlures. Cela s’est passé dans un village, Douma près de Naplouse et de Beita.

Une photo montre la courageuse Abeer affrontant un soldat qui voulait arrêter un gamin de 7 ans parce qu’il avait fait le V de la victoire. « 24 écoles en Palestine sont menacées d’être détruites. Il n’y a ni eau ni électricité ni toilettes ni coin cuisine dans les écoles malgré le fait que 500 élèves y étudient et pas de route pour y accéder, certaines n’ont pas de toit. L’occupation ne veut fournir aucun service parce que le but est de les remplacer par des colonies. »

Israël et le trafic d’organes

Elle relate l’histoire d’un militant de la résistance populaire dans le camp de Aïda (près de Bethléem et de Beit Jala) qui se rendait à son travail : «  Il a voulu empêcher l’arrestation d’un enfant par un soldat. Des images ont circulé en Europe et le mouvement sioniste a annoncé que l’armée israélienne protégeait le gamin de l’agression de son père. Ce jour-là, l’enfant et le militant ont été arrêtés. Voilà comment les médias ont traité cette information. » Aussi, elle pointe l’importance du rôle des médias sociaux, de chacun.e d’entre nous pour parler des crimes qui se déroulent en Palestine. « Il y a dix jours, le tribunal a obligé 2 800 personnes à quitter leur village et à détruire 18 maisons. Pendant la pandémie, l’armée d’occupation à brûlé 28 000 oliviers. »

Abeer aborde un sujet ignoré du grand public : le trafic des organes par Israël. « Les corps de Palestiniens, dont les organes avaient été prélevés et remplacés par du coton, ont été rendus aux familles. 258 corps ont été enterrés dans des cimetières portant des nombres2 et pas des noms. »

L’occupation vise à tuer l’espoir

Les habitant.e.s d’un autre village ont construit des puits, l’armée a commencé à assiéger le village. Le siège a duré quatorze heures et s’est poursuivi par la destruction des habitations. Les soldats ont cherché les sources d’eau pour les vider afin de chasser les villageois pour s’emparer des lieux. « L’occupation tue l’environnement, l’Homme et surtout son objectif est de tuer l’espoir. »

Cette maman nous fait part de ses échanges téléphoniques avec son fils de 10 ans. Il était triste quand je suis partie :

« Pourquoi c’est important pour toi d’aller en France ?
– Je dois partir pour raconter ce qu’il se passe ici.
– As-tu vu des Français ?
– Oui, ils connaissent et aiment la Palestine
– Vont-ils venir nous aider ? Vont-ils venir avec toi pour chasser l’armée et que je puisse voir la mer ? »


« j’ai pas su quoi lui répondre. »

L’armée pointe ses armes sur les gamins

Ansam Khader, 24 ans, est née à Beita (au sud de Naplouse), ce village jouissait de sa tranquillité avant d’être encerclé par les colonies. Membre du comité des femmes de Beita qui joue un rôle central dans la résistance durement réprimée, elle se bat avec les autres villageois.e.s contre la construction d’une colonie sur les terres palestiniennes.

« On a pris l’habitude que l’armée envahisse nos maisons et pointe ses armes sur les enfants. Ils entrent et cassent tout à l’intérieur et arrêtent les jeunes sous le prétexte des armes. Dix-sept maisons ont été détruites pendant l’Intifada, ils ont tué des jeunes et forcé les gens à partir. En 2021, des colons sont venus sur la colline qui nous appartient, onze ont été tués et six grièvement blessés, ils ont été soignés à l’étranger. On a réussi à la libérer et on y a construit une mosquée pour empêcher l’installation des colons. » Ils ont établi leur colonie sur une autre colline en construisant des routes, des maisons et des écoles sur les terres palestiniennes. « Onze martyrs sont tombés, dont des enfants, il y a eu 3 500 blessés, un gamin a perdu la vue, un autre a été gravement blessé au ventre et le martyr Chadi a été assassiné alors qu’il ouvrait les vannes d’eau que les israéliens avaient coupées. L’armée a gardé le corps pendant un mois pour prélever ses organes. Nous avons lutté pour qu’il ne soit pas enterré dans le cimetière portant des nombres. »

Les femmes jouent un rôle crucial dans la résistance

Ansam décrit cette résistance pacifique par des actions comme brûler des pneus pour que la fumée dérange les colons, pointer sur eux la lumière laser pour les agacer, mettre à fond les hauts-parleurs qui distillent l’hymne, les versets du Coran ou des chants patriotiques. « L’armée d’occupation utilise des armes interdites à l’échelle internationale. Les femmes ont un rôle important dans la restauration des jeunes qui mènent la résistance en assurant la logistique pour qu’ils restent sur la colline. Elles participent aux soins des blessés et prennent le relais en fabriquant des savons naturels comme source de revenus quand l’occupant a retiré le permis de travail des hommes. »

À travers ces récits, Mohamed, Abeer et Ansam lancent un appel aux jeunes français.e.s à aller cueillir les olives en Palestine, à aller voir la réalité quotidienne de la vie de la jeunesse palestinienne sous occupation pour rendre compte. Et crier à la face du monde et des États qu’il est temps d’en finir avec l’occupation et l’apartheid israélien.

« Chaque Palestinien.ne aime la vie, a des ambitions, des rêves, et le rêve qu’ensemble nous partageons est de nous réveiller un jour dans une Palestine libre sans occupation », est le message commun des Palestinien.ne.s.

Propos recueillis par Piedad Belmonte

 

Notes:

  1. Mohamed Abou Khdeir, 16 ans, avait été kidnappé près de chez lui dans le quartier de Shu’fat de Jérusalem-Est annexé par Israël avant d’être conduit dans un bois de la partie ouest de la ville où son corps avait été retrouvé brûlé à 90 %. C’était le 02/07/2014 et son assassin Yosef Haim Ben-David, un colon de 31 ans, avait été condamné à la prison à vie par la justice israélienne. Le 04/02/2014, ses deux complices, tous deux mineurs au moment des faits, avaient été condamnés l’un à perpétuité et l’autre à vingt et un ans de prison.
  2. On les appelle les cimetières des nombres.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin