Entretien avec Itzik Giuli qui a participé à la direction artistique du festival In Extremis Hospitalités au théâtre Garonne, à découvrir jusqu’au 11 juin à Toulouse. Le dramaturge et chorégraphe israélien proposait la création Teach me (to be) french. Un dispositif permettant d’aller à la rencontre de l’Autre, une personne issue d’un pays étranger, dans l’espace public.


 

 

D’où part ce projet ?

En réfléchissant à l’idée d’hospitalité, je me suis interrogé sur la problématique des nouveaux arrivants. Une question a émergé : comment je peux créer une relation ? Teach me (to be) french est partie de cette idée. Le titre est apparu de lui-même. On vous interpelle, cette situation permet une rencontre, qui produit une interaction. On parle de sa culture et de soi à l’Autre. Parlez de sa culture c’est aussi la découvrir, la mettre en relation avec l’Autre c’est retrouver notre humanité.

 

Comment avez-vous recruté les intervenants d’origine étrangère ?

J’en ai rencontré un certain nombre, j’ai retenu les personnes qui ne sont pas seulement concernées par la satisfaction de leurs besoins mais qui sont intéressées par la rencontre, la langue. Les personnes curieuses des modèles que l’on peut observer dans l’apprentissage d’une culture.

 

Quel rapport entretenez-vous avec la culture française ?

La culture française existe dans mon monde ; j’ai vécu en Égypte, je viens régulièrement en France, j’habite en Israël. Cette proposition tourne autour de l’identité privée et de l’identité nationale. L’émigration est un phénomène universel et aussi personnel qui m’intéresse.

 

 

Teach me (to be) french. Rencontres inattendues sur les allées Jean Jaurès à Toulouse Photo altermidi

 

 

Ne distinguez-vous pas l’identité nationale de l’identité collective ?

Chaque culture est singulière, de la même façon que chaque être humain est unique. Dans le rapport entre l’identité personnelle et l’identité nationale il y a un décalage entre ce que je pense et ce que l’on me dit de ce que je pense. Il faut faire le tri. Je me pose beaucoup de questions sur l’identité nationale. Parfois je ne me sens pas en accord avec les concepts qu’elle véhicule. L’exploration proposée avec Teach me (to be) french permet de distinguer la culture explicite portée par l’identité nationale de la culture implicite. Comment se défait-on de l’identité nationale pour construire son identité et élaborer avec l’Autre une identité collective.

 

Une identité collective qui aurait la culture humaine en partage ?

La culture ne se limite pas à la culture nationale qui n’est qu’une facette de la pluralité des cultures. Avec Teach me (to be) french j’expérimente une situation qui met face à face deux personnes qui se regardent dans les yeux et qui sont présents l’un à l’autre. Il y a une connexion que l’on va recevoir, ou pas, permettant de développer une sensibilité culturelle, de se trouver en situation de comprendre la diversité des cultures. Chez nous on dit : « quand tu as une porte, quelqu’un viendra y frapper ».

 

 « C’est l’unité humaine qui porte en elle les principes de ses multiples diversités »

Edgard Morin

 

Ce travail implique aussi un positionnement différent en tant qu’artiste. Comment appréhendez-vous les changements qu’il génère dans la relation avec le public ?

Cette proposition m’a donné l’occasion de travailler la relation pour que la connexion entre les intervenants et le public soit positive. Je pense que les artistes ne doivent pas surplomber le public pour travailler avec la collectivité. L’art socialement engagé suppose d’instaurer des relations délicates à conduire. Avec Teach me (to be) french il y avait la problématique de l’immigration qui est un phénomène universel et donc commun aux deux parties qui entrent en dialogue. Il nous revient en tant qu’artistes d’essayer de proposer des pratiques pour que la société se décloisonne. Nous devons contribuer à l’ouverture en nous appuyant sur la culture. Parler de notre ou de nos cultures, c’est parler de l’être humain, de nos spécificités, de notre pouvoir créatif, de notre histoire et de son évolution. Nous sommes des êtres essentiellement et singulièrement culturels.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Traduction Maribel De Anda

 

Teach me (to be) french. Photo altermidi

 

Voir aussi : In Extremis Hospitalités : Quand l’art met la culture de l’Autre en miroir

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.