Pourquoi la vache ?
Je suis une urbaine. Mon lien avec la vache s’est donc construit en dehors des verts pâturages. Ma première “vache” est la Marguerite du film La vache et le prisonnier avec Fernandel. Marguerite est fascinante. Mais dans mon sud natal, la femelle nourricière reste à l’étable pendant que le mâle parade. Ce n’est que bien plus tard, en 2009, que la donne change. En effet, pour l’écriture d’un roman sur les mariages forcés d’enfants, je pars en Inde, dans l’Uttar Pradesh, rejoindre la militante Sampat Pal1. Là, les vaches sont sacrées car leur lait nourrit toute créature, et pendant que les mâles restent cachés, les femelles paradent dans les rues. La Méditerranéenne que je suis se délecte du spectacle !
Immédiatement, je suis attirée par le regard de ces vaches à la fois doux et fort, prégnant. Il me renvoie au manque de regard généré par notre utilisation du smartphone. Transports en commun, files d’attente, nous n’échangeons plus. Chacun a les yeux baissés sur lui. Il n’occupe pas seulement nos yeux. Il occupe aussi nos pensées par ce qu’il nous donne à regarder en continu. Il devient notre attention. La vache s’y oppose. Son regard nous fixe et nous invite à nous poser, à nous regarder, pas dans le miroir, en nous. Mais je n’ai pas pour autant oublié Marguerite qui sauve Fernandel, et ce ne sont pas des vaches indiennes que je peins mais des vaches normandes. Parfois, elles sont accompagnées de mots. En français, le mot « vache » revêt tant de sens et a donné lieu à tant d’expressions, donc difficile pour moi de ne pas m’amuser avec ! Être vache ou ne pas être ? La vache est le seul animal à avoir généré un adverbe (vachement) au cœur de notre langage ! Notre façon à nous de vénérer cet animal à la fois symbole de maternité, du lait, de la terre ?
Et si la vache révélait la force méditative qui rumine en chacun de nous, en nous renvoyant au maître zen qui dit à son disciple, « montre-moi ton vrai visage, celui d’avant la naissance de tes parents ».
Hélène Couturier
Exposition : Place à la Vache – Hélène Couturier – Du 31 Mars au 30 Avril – O’ Petit Trinque Fougasse – Montpellier