À l’Ouest de l’Hérault, Ludovic Bellini occupe la fonction de principal1 dans deux collèges, à Olargues et Saint-Pons-de-Thomières. Ces deux villes de la communauté de communes du Minervois au Caroux présentent des caractéristiques différentes. Ce qui implique d’adapter sa mission.
Entretien Ludovic Bellini, principal des collèges d’Olargues et de St-Pons-de-Thomières.
Vous assumez la fonction de principal dans deux collèges. Dans quelle mesure peut-on parler de collège apaisé ? La nature du travail pour y parvenir est-elle la même dans les deux établissements ?
Dans le fond, ma mission est la même, mais les projets qui sont conduits dans chacun des établissements, comme les échanges avec les acteurs de la communauté éducative, diffèrent en fonction des situations. Les deux collèges n’ont rien à voir. Olargues est une petite structure, les gens qui vivent là ont fait le choix d’habiter un très beau village de l’arrière-pays. Il y a 700 habitants, pour se déplacer les parents pratiquent le covoiturage. Je dirais qu’à Olargues la notion de bien-être est davantage liée au territoire et aux gens qui y demeurent qu’au collège. J’ai ressenti cela lorsque je suis arrivé et j’ai eu envie que le projet du collège s’inscrive dans cette synergie collective. À Saint-Pons-de-Thomières, c’est différent : la ville est en grande difficulté économique, il y a peu de travail et beaucoup de pauvreté. J’ai l’impression que c’est au collège d’enclencher la dynamique collective.
Quelles sont les incidences de l’impact social sur la conduite d’un projet d’établissement ?
À St-Pons-de-Thomières, nous travaillons avec les jeunes de la Maison d’enfants qui accueille des enfants en difficulté familiale, psychologique, bénéficiant de mesures de protection de l’enfance. Nous avons un internat et ce n’est pas toujours facile de favoriser le rapport d’enfants cabossés avec d’autres enfants de leur âge. Les tensions externes à l’établissement ne se dissipent pas en passant la porte du collège, il y a un continuum. On travaille les questions d’ouverture autour d’un projet d’établissement solidaire. On souhaite faire revenir les parents, protéger les enfants, renforcer l’adhésion des équipes pédagogiques, avec certains succès, mais pas que…
À quoi tiennent les points de blocage ?
Il y a des éléments conjoncturels, comme le fait que beaucoup d’enseignants viennent de loin. Assister à une réunion à 18h pour des personnes qui ont une heure et demi ou deux heures de route à faire, c’est compliqué. Au sein du conseil d’administration, certaines thématiques sont délicates. On progresse en faisant tomber les barrières entre les travailleurs sociaux, les parents et les professeurs. Sur la vaccination par exemple, j’ai fait le choix de sanctuariser le collège en demandant aux uns et aux autres de respecter les choix de chacun. C’est une question d’adultes. Cela vaut pareillement pour les problèmes de paiement de la cantine, les élèves n’ont pas à porter ce type de responsabilité.
Quelle forme de collaboration entretenez-vous avec le Conseil départemental ?
Nous travaillons tous les jours avec les services départementaux pour adapter les locaux et le matériel à nos besoins. À Saint-Pons-de-Thomières, nous avons entrepris une démarche sur la thématique du genre qui conduit à repenser les espaces de vie. Matérialiser les choses permet d’accepter de nouveaux modèles de société, comme le fait que la cour n’est pas qu’un terrain de foot. À Olargues, nous avons végétalisé la cour avec des bacs bios où poussent des tomates dont les élèves prennent soin. Les services du Département s’adaptent, les personnels sont très à l’écoute. Chacun fait avec les budgets qui sont consentis.
Quelle place accordez-vous à la liberté d’expression ?
Tout dépend de ce qu’on met derrière ces termes. Pour moi, la liberté d’expression s’arrête au moment où elle met quelqu’un d’autre en difficulté. Dans mon bureau, je peux entendre que madame ou monsieur “bidule” n’ont pas répondu à telle ou telle attente, mais je ne veux pas qu’on déstabilise les personnes en public. Mon rôle consiste à faire en sorte de clarifier et de simplifier le travail de tous les personnels et de tous les enfants. Le chef d’établissement est un facilitateur, un initiateur. Accompagner la politique de l’établissement suppose de discuter, de connaître les difficultés. On n’impose pas aux gens un cadre de vie harmonieux. Je commence tous mes conseils d’administration en faisant un point sur la politique de l’établissement.
Qu’est-ce qu’un collège apaisé ?
Un collège apaisant, plutôt. Les choses se passent mieux si on fait tout pour agir sans attendre, en mettant en place et en organisant les choses dans un contexte aussi épanouissant que possible. Je suis sensible aux besoins de l’enfant avant de m’intéresser aux besoins de l’élève. Plus généralement, en termes d’accueil et de relation, il est important d’être bienveillant, de faire en sorte que les gens aient confiance dans le cadre où ils évoluent. L’objectif numéro un est de bien vivre ensemble. Cela est lié à nos propres comportements. L’école publique que j’ai vécu est basée sur l’exemplarité du maître. Si je ne dis pas bonjour, je ne parviendrai pas facilement à ce que les gens se respectent.
Ce que vous dites donne envie de retrouver les bancs de l’école, mais ce n’est pas partout comme ça…
Je crois qu’aujourd’hui l’Éducation nationale a clairement fait sa mue. L’EN a remis l’élève au cœur du système. On est au clair et on s’attaque aux difficultés. On évolue en permanence. Ici à Olargues, le bien-être ensemble est une évidence partagée. On est en zone rurale solidaire, coopérative. En zone urbaine, il y a certainement plus de travail à réaliser pour y parvenir. Je pense que l’autonomie des établissements permet de mieux s’adapter à la réalité du terrain. À Olargues on est heureux et on le sera aussi à Saint-Pons-de-Thomières.
Comment appréhendez-vous la notion de différence qui conduit parfois à marginaliser les individus ?
L’objectif de toute une vie c’est de devenir un citoyen libre de ses choix. Il y a des différences entre les êtres. Des différences physiques, des différences sexuelles, des différences de toutes sortes. La collectivité s’enrichit par les différences de chacun. Il y a des “chipoteries” entre élèves à ce propos, qui ne sont pas toujours violentes. Dans ces situations, il nous revient de trouver les bons mots. On évite de la sorte que la société asservie nous impose ses différences. Le fait de recevoir de l’intérêt ouvre aux autres.
Peut-on apprendre à devenir citoyen au collège ?
On ne peut pas parler du développement de la citoyenneté si on la brime pendant quatre ans au sein du collège. Il faut traiter les élèves comme les élus. Il y a peu de cas où les enfants veulent la tête de quelqu’un. Au collège on est dans le même bateau et on avance ensemble. Si l’on veut des gens engagés, il faut leur donner un vrai espace et la capacité de faire.
Dans la cour du collège d’Olargues. Photo DR CG34
Notes:
- Le principal est le directeur du collège. Il dirige l’établissement en qualité de représentant de l’État et de président du conseil d’administration, sous l’autorité du recteur et du directeur académique des services de l’Éducation nationale. Il conduit la politique pédagogique et éducative de l’établissement, en concertation avec l’ensemble de la communauté éducative, pour offrir aux élèves les meilleures conditions d’apprentissage. Il travaille avec les représentants des collectivités territoriales et veille au développement de partenariats avec le monde économique, social et culturel.