Le festival Les Suds à Arles1 n’est pas seulement une manifestation où l’on vient écouter « la musique du monde » — l’événement revendique le singulier. C’est aussi un lieu où l’on vient réfléchir sur le monde et, en cet été 2021, écouter une drôle de musique qui sonne faux depuis des décennies : le sort fait à la population palestinienne.


 

Intitulée La Palestine au cœur, la rencontre Médiapart organisée lundi 12 juillet aux Alyscamps entre le journaliste Edwy Plenel, fondateur de Médiapart et Elias Sanbar2, ancien directeur de la Revue d’études palestiniennes et ambassadeur de la Palestine à l’Unesco, était un hommage à Mahmoud Darwich, « grand poète de la Palestine » selon les mots d’Elias Sanbar.

Pour celui qui a consacré 27 ans de travail à la traduction de ses poèmes en français, Mahmoud Darwich est « le plus grand poète arabe du siècle dernier » et non pas seulement un poète palestinien que l’on réduirait à un rôle militant. Car « le pays des poètes, c’est leur langue ». À l’appui de ses dires, Elias Sanbar remarque que « personne ne songe à dire que Guillaume Apollinaire était un poète polonais », même s’il était d’origine polonaise.

L’hommage, vrai et riche dans son absence de solennité, avait d’autant plus de sens que Mahmoud Darwich a fait sa dernière apparition dans une manifestation publique à Arles, dans ce même festival des Suds. « C’était un adieu qui allait au-delà du public », souligne Elias Sanbar.

« Les Suds, un des lieux qui sauvent la relation »

À l’heure même où Emmanuel Macron, par intervention télévisée, tapait une nouvelle fois sur les doigts des citoyens français, le dialogue entre Edwy Plenel et Elias Sanbar était comme une respiration, une bouffée d’air pur. Loin des leçons de morale et des arguments éculés sur « la nécessité de reporter l’âge de départ en retraite ». Pour Edwy Plenel, « Les Suds sont un des lieux qui sauvent la relation en ces temps de clôture, de haine parfois, de virulence, de distances, d’identités closes, de diabolisation des différences et des dissidences ». « Ce lieu n’est pas anodin et ce n’est pas une conversation comme les autres : avec un ami vous n’avez pas de points à marquer », ajoute Elias Sanbar.

Une complicité s’est nouée entre les deux hommes au point qu’en temps de déprime politique, « chaque fois que l’espoir se dérobe », Edwy Plenel va chercher des motifs d’optimisme chez celui qui a été expulsé de Haïfa avec sa famille et a vécu depuis en exil au Liban, puis en France. Celui chez qui le sens de l’humour demeure envers et contre tout, qu’il évoque la figure du poète ou celle de Yasser Arafat. L’humour, Elias Sanbar l’a peut-être conservé parce qu’il opère « la distinction entre la perte qui oblige à nous dépasser et la défaite qui signifie la stérilité, la fin », parce qu’il sait que quels que soient leurs défauts, « les assiégés ont toujours la sympathie ». C’est d’ailleurs pour cela qu’« Arafat se faisait encercler avec ses hommes ».

Le poète et mille autres choses

Écouter Elias Sanbar, ce n’est pas seulement avoir accès à la poésie de Mahmoud Darwich et à son « terreau palestinien ». Ce qui ne serait déjà pas si mal s’agissant d’un auteur qui pouvait déclamer ses poèmes dans des stades, devant 50 000 personnes : « Son rapport au public passait par l’oral, il se comportait comme une diva sur scène ». Sa popularité était telle que l’appropriation se faisait aussi par l’oral : « C’est le seul poète dont les passants peuvent vous réciter deux ou trois vers, où que vous soyez dans le monde arabe. »

C’est aussi appréhender les enjeux politiques de l’archéologie avec cet ambassadeur de la Palestine à l’Unesco. « On a tendance à confondre lieux saints et terre sainte, ici vous avez Lourdes, mais la France n’est pas une terre sainte », précise Elias Sanbar. « la sanctification est une pesanteur très lourde, c’est le seul coin considéré comme une terre sainte par les trois monothéismes. » Pour Elias Sanbar, les Palestiniens sont « les enfants du lieu, pas du dogme, c’est une terre plurielle, le danger est qu’elle devienne d’une seule couleur ». Une seule couleur pour ceux qui considèrent que « les vrais propriétaires sont revenus » dans ce qui était « un gigantesque squat ». L’archéologie devient alors « le cheval de bataille de l’expulsion ».

« Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être complètement libre, rappelle Edwy Plenel, plus cette colonisation dure, plus des monstres surgissent ». Revenant à l’origine du mot latin scrupulus qui désignait un petit caillou se glissant dans les sandales des légionnaires romains, Edwy Plenel qualifie la Palestine de « sacré caillou : elle nous rappelle notre inconscience, notre indifférence ».

Heureusement, en ces temps de « basses eaux pour ceux qui sont du côte de l’égalité, de l’émancipation », selon les mots du fondateur de Médiapartil reste l’indéfectible fidélité de certains à leurs idéaux de jeunesse. Même si l’issue heureuse est loin d’être assurée : « Un engagement n’est pas une étude de marché, je ne peux pas vivre autrement », souligne Elias Sanbar. L’homme trouve peut-être la force de ses convictions dans ce qu’il nomme « le luxe incroyable de n’avoir jamais travaillé avec des gens que je n’aimais pas ».

« Que ne suis-je une bougie dans le noir ? » : le fait que la conversation se soit terminée sur cette citation d’un poème de Mahmoud Darwich n’avait rien d’anecdotique.

J-F Arnichand

(Photo Les Suds)

 

Les Suds à Arles, festival sans frontières

 

Notes:

  1. La manifestation se tient jusqu’ au dimanche 18 juillet. Au programme : concerts, stages, rencontres… programme complet sur suds-arles.com
  2. Parmi les livres d’Elias Sanbar : Dictionnaire amoureux de la Palestine (Plon, 2010) Le Bien des absents (Actes Sud, 2001), Figures du Palestinien. Identité des origines, identité de devenir (Gallimard, 2004), La Palestine expliquée à tout le monde (Seuil, 2013) 
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"