Il n’y aura finalement pas de triangulaire au deuxième tour en Provence-Alpes-Côte d’Azur où le scénario des élections régionales de 2015 (face-à face entre LR et RN) se reproduit. En Occitanie, en revanche, la présidente de Région Carole Delga (PS) peut envisager sereinement sa réélection dans le cadre d’une triangulaire.


 

En politique, la vérité du dimanche soir n’est pas forcément celle du lundi. Une nouvelle preuve en a été apportée en Provence-Alpes-Côte d’Azur : au soir du premier tour, le chef de file aux Régionales du Rassemblement écologique et citoyen, Jean-Laurent Félizia, annonce le maintien de sa liste, arrivée en troisième position avec 16,89 % des voix. Et ce conformément aux propos tenus dans la presse il y a quelques semaines. Le lundi, on efface tout. Menacé d’exclusion par les instances nationales de son parti (EELV), le candidat retire la liste, décision appuyée par ses partenaires du PS et du PCF, au risque de laisser ses électrices et électeurs orphelins comme Christophe Castaner (alors membre du PS) l’avait fait en 2015. À l’époque, Marion Maréchal-Le Pen pour le FN avait dépassé les 40%, suscitant les plus grandes inquiétudes.

Le 20 juin 2021, Thierry Mariani, pour le Rassemblement national, a certes viré en tête à l’issue du premier tour avec 36,38 % des suffrages (420 602 voix), mais loin des chiffres annoncés par les sondages et nombre de  commentateurs qui prédisaient déjà une victoire de l’extrême droite. À croire que certains l’espèrent… Le président de région sortant, Renaud Muselier (LR, soutenu par LREM) qui a succédé en cours de mandat à Christian Estrosi arrive en deuxième position avec 31,91 % des voix  (368 932) dans un scrutin marqué, en Provence comme ailleurs, par un très fort taux d’abstention.

Renaud Muselier a salué la décision de Jean-Laurent Félizia. Destinée  à barrer la route au RN, elle aura aussi pour conséquence d’exclure toute présence des formations de gauche (LFI avait déjà été écarté du rassemblement) de l’hémicycle régional. La configuration du précédent mandat est donc reconduite. Rien ne prouve pourtant que Thierry Mariani qui dispose de peu de réserves de voix (les 1,66 % de la candidate « zemourienne » Valérie Laupies et une partie des 2,7% de Debout la France) était en mesure de l’emporter. À moins de supposer un subit regain de participation des électeurs du RN qui semble peu probable dans un contexte de crise profonde et durable de la « démocratie représentative ».

Le tassement du RN est un des enseignements de ce scrutin, tout comme la déroute de LREM. Emmanuel Macron a dit la semaine dernière qu’il ne voulait pas « nationaliser ce scrutin »… après avoir envoyé force ministres en mission, dont le très médiatisé Éric Dupont-Moretti dans les Hauts-de-France pour surjouer le duel/duo avec l’extrême droite. C’est certainement l’art macronien du « en même temps ». Il faut croire que cela a fini par lasser les électeurs. « En même temps », au vu des résultats, on comprend que le Président de la République ne souhaite pas nationaliser ce scrutin qui confirme l’absence d’ancrage territorial de son parti. Le constat vaut encore plus pour les Départementales qui sont davantage des élections locales.

S’appuyant sur un réseau d’élu.e.s et de notables, les Républicains et le Parti socialiste résistent en revanche à l’érosion. C’est particulièrement vrai pour le PS qui bénéficie largement de la « prime au sortant ». En Occitanie, Carole Delga arrive nettement en tête1 et sa réélection dans le cadre d’une triangulaire ne fait guère de doute. La présidente de Région s’est même permis le luxe de refuser le soutien de la liste EELV menée par Antoine Maurice. Et aux élections départementales, le PS et ses alliés ont toutes les chances de conserver, notamment, les départements du Gard, de l’Hérault, de l’Aude, de la Lozère et même des Pyrénées orientales malgré l’audience de l’extrême droite sur les cantons de Perpignan. Au plus mal lors de la Présidentielle 2017 et des Européennes 2019, le PS tire encore son épingle du jeu lors des élections locales et régionales. Preuve que l’on ne peut jamais assimiler une élection à une autre et que toute extrapolation est dangereuse.

 

L’abstentionnisme, seule certitude

Et si la seule certitude était l’abstentionnisme galopant que l’on retrouve désormais à tous les scrutins, hormis l’élection présidentielle ? Avec 66 % d’abstention, ces Régionales 2021 atteignent un chiffre record. Pour le géographe Daniel Behar2, « ceux qui sont allés voter l’ont souvent fait par réflexe civique plus que par conviction. Ils ont donc été légitimistes : on le voit bien en Auvergne-Rhône-Alpes et en Occitanie où Laurent Wauquiez et Carole Delga arrivent en tête dans la très grande majorité des communes de leur région, ce qui empêche pour l’heure de détecter d’éventuelles différences locales. Laurent Wauquiez obtient ainsi des scores disproportionnés au regard de son poids politique national »3.

L’explication par la peur du Covid ne tient plus en ces temps de liberté de mouvement retrouvée et de progrès de la vaccination, même si le discours anxiogène sur les variants demeure. À cette « grève civique », il faudra aller chercher des explications ailleurs. Dans la reconfiguration des régions qui nuit à la proximité et à la lisibilité ? C’est vrai pour le Grand Est où le niveau d’abstention a été le plus élevé mais pas pour la Nouvelle Aquitaine ou l’Occitanie, vastes régions moins touchées par ce phénomène selon Daniel Behar.

Pour le géographe, c’est davantage dans le lissage des politiques régionales, leur normalisation qu’il faudrait chercher les raisons de cette désaffection :  « On assiste plutôt à l’épuisement d’un modèle de décentralisation fondé sur la technicisation et le partage des compétences qui se traduit par une homogénéité de l’action territoriale : toutes les régions rénovent les lycées, elles font toutes du développement économique, elles promeuvent toutes l’écoconstruction et les énergies renouvelables… et cela ne permet pas de susciter l’intérêt politique. » On ne se plaindra pas ici du fait que les régions s’occupent toutes des lycées ou promeuvent l’écoconstruction, mais la perception de différences, de véritables enjeux est un moteur de la participation électorale. Et si le RN est le seul parti à être perçu comme différent, il ne faut pas s’étonner que la démocratie représentative soit décidément très, très malade.

 J-F Arnichand

 

 

Notes:

  1. Carole Delga 39,62 % des voix devant Jean-Paul Garraud (RN, 23,49 %) et Aurélien Pradié (LR, 12,34 %). 
  2. Directeur de la coopérative Acadie qui réunit des géographes, sociologues, politistes et urbanistes, ses travaux portent sur les questions de stratégies territoriales, de planification spatiale et de gouvernance confrontées aux enjeux de la métropolisation.
  3. Libération, mardi 22 juin 2021.
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"