Formé en juin 2020, Le Collectif de juin s’est constitué pour mettre en lumière les conditions de création dans la région Occitanie. Issues du spectacle vivant pour la plupart, les compagnies rappellent dans leur manifeste que si l’art participe bien à l’émancipation du/de la citoyen·ne, et à l’épanouissement de chacun·e, il ne peut être considéré comme une marchandise. La metteuse en scène, comédienne et enseignante Claire Engel dessine les contours de ce collectif en mouvement.


 

 

Voir comme nous le voyons

Claire Engel

Le Collectif de juin : pour d’aucun·es, il s’agirait d’un lieu de réflexion sur la création et la politique, pour d’autres, un espace d’expérimentation de nouvelles pratiques, pour d’autres encore, un endroit d’actions. Et peut-être les trois à la fois. Son utilité est clairement politique. C’est une réunion en mouvement, dotée de participant·es en mouvement. Dans un mouvement comme le sont nos métiers. Un collectif en désaccord parfois, parce qu’il n’est pas « un ».

Un espace partagé, plutôt, où la liberté d’exprimer les désaccords ne se fait pas dans les couloirs mais en direct ; un espace qui s’apprend à mesure, qui tire des leçons de ses expériences. À ce jour, et bien qu’un manifeste d’appel existe, consistant à regrouper la majeure partie de ses ras-le-bol, les court, moyen et long termes semblent se co-organiser entre petits et grands groupes, pour des actions aux couleurs très différentes.

Ce collectif n’est pas une coordination nationale, ni un syndicat ou un parti politique, mais ressemble plutôt à une assemblée de réflexion artistique, un temps de grève qui n’en serait pas une, une lutte sereinement respectueuse de nos emplois du temps, radicale ou non, sans rapport de forces revendiqué mais tenace dans sa réflexion sur les rapports et relations entre professionnel·les du secteur artistique, des modes de travail, d’emploi et de métiers, de subsistance matérielle ou immatérielle.

Un épuisement est là, non provoqué par la crise sanitaire mais révélé par elle — tant ces trois mois ont enfin permis de faire un point sur nos vies, nos modes d’existence et sur la politique culturelle de notre ex-région. Un épuisement de toutes ces stratégies élaborées avec peine, ces modes opératoires malhabiles et inutiles en surplace pour pouvoir : être produit·es et créer.

Épuisement donc, aggravé par la mise en place progressive d’exclusion, d’un non-dialogue avec des instances délibératrices, regroupé·es en réunions de décideur/se·s, se donnant parfois des airs d’un conseil d’administration de grand groupe, broyant le naturel d’une possible relation et les estimes professionnelles.

Disparu ce code de travail collaboratif : en un peu moins de dix ans, les articles lisibles et compréhensibles par tous/tes les acteurs et actrices du monde du spectacle se sont vidés de leurs adverbes, de leur syntaxe nuancée et sa beauté quasi littéraire pour faire place à un système confus et parfois délétère. Cette disparition accable la grande majorité des structures, compagnies comme lieux, en charge du maillage de territoires, d’activisme et d’activité artistique et culturelle.

Le Collectif de juin regarde son épuisement et choisit de le quitter. Liste ce qu’il ne veut plus. Il engage un rapport qui n’est pas celui de la force, mais contient en lui la force d’un « non » décomplexé.

Une force tranquille qui naît d’une urgence mais veut prendre son temps pour s’articuler : autour de nouvelles idées, de propositions, de rencontres. Il est ouvert aux compagnies, il est ouvert à celles et ceux qui souhaitent entrer en dialogue, sans hiérarchie. Avec celles et ceux qui d’eux et elle-mêmes, à leur tour, comprennent l’ineptie et veulent continuer sur les bases saines et précieuses de la collaboration et du mutuel accompagnement artistiques.

Le Collectif de juin se découvre à mesure qu’il se revêt d’envies, de partenaires et d’idées, sans demander la permission d’exister. Il est là, il se compose, s’instruit, s’organise, se cherche. Et fait. Celle ou celui qui fait n’obtient pas l’unanimité, mais prend le parti de faire, en respectant la parole ou les réticences de certain·es. Le Collectif de juin est un bien pour celles et ceux qui y participent et s’en sentent proches. Un chaînon manquant tout à fait modeste mais qui a le mérite d’exister, et d’exister par lui-même.

Un mouvement, donc, politique et éclairé. Qui ne fera pas de performances de rue pour sauver les artistes. Les artistes créent et créeront. Mais dans quelles conditions et jusqu’où ? Repenser ses envies et ses besoins, se soustraire à la logique quasi impérialiste de la production/diffusion qui transforme les compagnies en girouettes malhabiles, peu gracieuses, veules et ternes. En les poussant les unes contre les autres.

Un peu de mouvement commun de refus non-stérile. En faisant confiance à ses savoirs, à ses intelligences collectives après un constat commun : celui de ne pas croire, avec d’autres, que la soumission à un système moribond serve à quiconque. Car personne n’en ressort tout à fait vivant·e. Nous sommes au bout d’un chemin et aux limites d’un mensonge. Ne pas se « réinventer », ne pas « répondre à un AAP1 », ne pas accepter de contrats gigognes, c’est agir bien ancré·es dans le sol, heureux/ses d’avoir le temps de penser, de consacrer cette belle énergie à faire et ne pas « répondre » ; à décider et ne pas « subir ».

Et peut-être réussir à mettre en accord une philosophie avec sa/ses pratiques.

Claire Engel

 

Pétition : Réintégrer les artistes au cœur des maisons et au centre des projets culturels

Notes:

  1. AAP : appel à projet
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