L’examen du parcours des membres du gouvernement Castex indique la volonté d’Emmanuel Macron de continuer à mener une politique libérale de droite, de privatisation du public et de finalisation des réformes malgré une opposition massive des acteurs sociaux et des citoyens.
Le résultat des élections municipales est évocateur. Il a placé comme grand vainqueur l’abstentionnisme (59 à 60 %). Ce score exprime clairement la perte de confiance des citoyens français envers les politiques qui ont perdu toute crédibilité à leurs yeux (manque d’exemplarité, trop d’incohérence et de promesses non tenues).
Le Rassemblement national de Marine Le Pen, quant à lui, fait un score qui n’est pas négligeable. Il alerte quant aux dangers de la montée du populisme et du nationalisme en période de crise, le mouvement identitaire ayant pris de l’assurance ces derniers temps dans un laxisme surprenant.
Mais, point positif, ce classement met l’accent sur l’importance qu’accordent à l’environnement les électeurs ; les écologistes, en une ascension historique, ayant remporté ou aidé à remporter, grâce aux listes communes, plusieurs grandes villes de France.
La multiplication des réformes successives et les ordonnances appliquées à vitesse grand V, en provoquant un important mouvement social qui fut violemment réprimé, ont entraîné le gouvernement au plus bas dans les sondages.
Le gouvernement Castex, dont les nouvelles figures sont pratiquement toutes issues du sarkozysme ou en lien avec l’ancien président, démontrent que le pouvoir se positionne dorénavant clairement à droite, tout en affirmant plus encore son autorité.
Emmanuel Macron rompt avec la gauche qui l’avait fait élire en 2017 contre Marine Le Pen, et mise dorénavant sur l’électorat de droite, en convoitant celui des républicains, pour les prochaines présidentielles.
Il annonce également prendre en compte les « verts » en plaçant symboliquement le ministère de la Transition écologique en deuxième position après le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sur la liste protocolaire.
Ce remaniement ministériel, au mélange des genres particulier qui fait débat, s’inscrit dans un contexte de crise économique et sociale sévère suite à la mise à l’arrêt du pays durant près de trois mois.
Le départ d’Édouard Philippe suite à sa réélection en tant que maire du Havre n’est pas une surprise.
En 2019, il déclarait au Figaro : « Je considère qu’un Premier ministre est à Matignon aussi longtemps que trois conditions sont rassemblées : la confiance du Président, le soutien de la majorité parlementaire et la volonté de faire. À mes yeux, elles sont pleinement réunies. ».
Son remplacement par Jean Castex, tout comme le maintien d’Olivier Véran à la Santé, de Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale confirment la volonté d’Emmanuel Macron de continuer à mener une politique libérale de droite, de privatisation du public et de finalisation des réformes que l’ex-Premier ministre avait déjà bien avancées malgré une opposition massive des acteurs sociaux et des citoyens.
L’éviction obtenu par Jean Castex de Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement (SGG), homme de l’ombre redouté dans les sphères du pouvoir, vient confirmer la volonté du chef de l’État d’asseoir son autorité.
Poste clé, le SGG tient le rôle de conseil juridique. C’est lui qui, entre autres fonctions, gère le Conseil des ministres, rédige, voire réécrit les projets de loi pour les soumettre au Conseil d’État, propose les noms pour les plus hauts postes de la République… Son influence étant devenue trop importante, Marc Guillaume était considéré comme un frein à l’application des lois et des réformes. Il a été remplacé par Claire Langais, ancienne secrétaire générale de la Défense et de la Sécurité nationale.
Il prendra ses fonctions en tant que nouveau préfet de Paris et de la région Île-de-France le 17 août, à la place de Michel Cadot qui récupère le poste de délégué interministériel au Jeux olympiques et paralympiques de Jean Castex.
Entrée en scène de Jean Caxtex
Le nouveau Premier ministre est un homme au CV et au cumul de portefeuilles impressionnants *1.
Haut fonctionnaire, il est directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale, de 2005 à 2006. Il est ensuite directeur de cabinet de Xavier Bertrand au ministère de la Santé (2006-2007) et au ministère du Travail (2007-2008). Proche de Nicolas Sarkozy, il remplit sous sa présidence la fonction de secrétaire général adjoint de la présidence de la République entre 2011 et 2012. Puis il occupe également divers postes de magistrat à la Cour des comptes de 2012 à 2017. Président de l’Agence nationale du sport depuis 2019, il est nommé en 2017 par Édouard Philippe délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Conseiller départemental des Pyrénées-Orientales, il est également maire de Prades sous la bannière de l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire) puis LR (Les Républicains) de 2008 à 2020. Juste avant le remaniement, il quitte LR pour entrer à La République En Marche (LREM). Lors de la pandémie, Édouard Philippe lui confie la coordination interministérielle de la stratégie de déconfinement en métropole et en Outre-mer… La liste est non-exhaustive. Homme aguerri à la politique, aux négociations partenariat public-privé, il connaît bien les rouages de l’Élysée et ses connexions sont multiples.
Par ailleurs, sa connaissance du secteur hospitalier et des affaires sociales est à souligner, car il est considéré par ses détracteurs comme l’initiateur des réformes qui ont détruit l’hôpital public.
De 2005 à 2006, alors qu’il est directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, il participe à la restructuration du système hospitalier et introduit la notion d’objectif, de rentabilité et de rationalisation des coûts. Il promeut la gouvernance administrative de l’hôpital et, notamment, la tarification à l’activité T2A qui va déshumaniser l’hôpital et en faire une usine à soins.
À sa suite, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé de 2007 à 2010 (présidence Sarkozy, gouvernement Fillon) mettra en place la loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) promulguée en 2009. La loi Bachelot a précipité l’hôpital dans un goulot d’étranglement, un hôpital étranglé par « un système devenu comptable » selon les termes du Chef de l’État en 2018.
Autant dire que les nominations de Jean Castex, et de Roselyne Bachelot à la Culture ont été accueillies par une grande partie des soignants comme une provocation après la pandémie de Coronavirus qui a mis en lumière la problématique aux conséquences dramatiques de l’hôpital public…
Promesses d’Olivier Véran
Dès sa nomination, Jean Castex a rapidement pris les rennes du gouvernement en multipliant les déplacements sur le terrain et les rencontres avec les acteurs sociaux.
Les négociations du Ségur de la santé se sont soldés le 13 juillet 2020 par un « accord historique », d’après le Premier ministre, avec une augmentation de 183 euros pour le personnel paramédical et non médical (une première revalorisation de 90 euros « avec un effet rétroactif » au 1er septembre et une autre de 93 euros au 1er mars 2021), une enveloppe pour les médecins hospitaliers ainsi que pour les stagiaires internes et futurs médecins en fin de carrière et comme l’a annoncé Jean Castex : « […] 6 milliards supplémentaires en investissements, L’objectif étant de donner davantage de souplesse aux établissements ».
Rien sur le changement de gouvernance ni sur la fermeture de lits et d’hôpitaux, pas de mesures concrètes pour l’accès aux soins pour tous.
L’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) a fait part de son immense déception, « le pseudo accord ne correspondant pas aux attentes des professionnels de terrain ». Trois syndicats sur cinq ont signé (CFDT, UNSA, FO), la CGT et SUD parlent d’imposture et appellent au maintien de la mobilisation.
Finalement, Olivier Véran dévoile une semaine après la fin du Ségur de la santé une série de mesures destinées « à accélérer la transformation du système » de soins, dont la création de « 4 000 lits à la demande… » pour s’adapter à la suractivité saisonnière ou épidémique, si besoin, comme si le besoin n’existait pas déjà. Le ministre promet une refonte du mode de financement des établissements de santé, avec des mesures expérimentales basées sur des dotations selon les besoins des territoires, pour réduire la part du T2A. Les Ehpad, les établissements médico-sociaux et les aides à domicile demeurent, à la fin de cette concertation, les plus démunis.
Réformes « reportées »
Jeudi 16 juillet ont repris les discussions sur un dossier explosif, la « réforme » des retraites.
L’ensemble des syndicats en demandent le report estimant qu’elle ne représente pas une priorité dans l’état actuel des choses. Ce qui n’est pas l’avis de Jean Castex qui d’après ses récentes déclarations tient à mener cette réforme, pour, dit-il, « sauvegarder notre système de protection sociale » en créant un régime universel qui entraînerait à terme la disparition des régimes spéciaux, tout en voulant prendre « pleinement en considération la situation des bénéficiaires actuels de ces régimes »…
Les acteurs sociaux dans leur globalité, prenant en compte la situation de crise sociale et le taux de chômage qui va augmenter de façon importante dans un avenir proche, demandent également l’abandon de la réforme de l’assurance chômage, le deuxième volet durcissant le calcul des allocations pour les travailleurs précaires.
Assurance chômage le gouvernement s’était engagé sur un retour aux règles d’avant le 1er novembre 2019 mais le texte sera malgré tout aménagé
Suite à la concertation du 17 juillet avec les syndicats, la réforme est « reportée » à janvier 2021. Mais alors que le gouvernement s’était engagé sur un retour aux règles d’avant le 1er novembre 2019 (date d’entrée en vigueur du premier volet), le texte sera malgré tout aménagé *2 : les personnes ayant perdu leur emploi entre le 1er novembre 2019 et le 20 juillet 2020 seront les plus impactées pour l’ouverture de leurs droits, celles qui auront perdu leur emploi à partir du 1er août jusqu’au 31 décembre 2020, un peu moins…
À ces mesures, s’ajoutent la fin de la dégressivité pour les cadres, le report de la baisse des allocations au 1er septembre, le seuil d’accès aux droits est revenu à 4 mois, mais sur 24 pas sur 28, le rechargement à 4 mois au lieu de 1 et la non-rétroactivité… Les chômeurs précaires, dorénavant catégorisés, se retrouvent donc en sursis jusqu’à 2021. Quant à Jean Castex, il affirme avoir tenu son engagement, mais en y glissant quelques subtiles nuances : il n’y a pas de petits profits.
La feuille de route du Premier ministre est donc chargée, tout comme celle de Gérald Darmanin qui va devoir gérer, avec la colère prévisible de la rue, les conséquences d’une telle obstination.
Gérald Darmanin nommé « une discussion d’homme à homme » avec Macron
En nommant Gérald Darmanin à l’Intérieur et Olivier Dussopt ministre des Comptes publics, tous les deux sous enquêtes judiciaires, le premier pour viol, harcèlement et abus de confiance *3 et le second pour corruption et prise illégale d’intérêt, le Chef de l’État s’assied une bonne fois pour toutes sur ses velléités de moralisation de la vie politique.
En invoquant la présomption d’innocence, Emmanuel Macron soutient ses ministres. Il leur accorde toute sa confiance, notamment dit-il, après avoir eu « une discussion d’homme à homme » avec Gérald Darmanin qui se trouve aujourd’hui à la tête des services qui vont enquêter dans sa propre affaire, les nouvelles investigations ayant été ordonnées par la Cour d’appel en juin dernier.
En plaçant ces hommes aux fonctions les plus stratégiques, le Chef de l’État peut espérer en retour un investissement efficace et sans faille, à presque deux ans de la présidentielle, pour mener à bien la mission du gouvernement.
Quant à Marlène Chiappa, ex-secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, elle remporte le poste de ministre déléguée au ministère de l’Intérieur chargée de la Citoyenneté. Sa nomination au côté de Gérald Darmanin ajoute une touche dérangeante voire choquante au tableau.
Réputé proche de la droite sécuritaire et de Nicolas de Sarkozy, Gérald Darmanin remporte, malgré ses « casseroles », le grand ministère dont il rêvait.
Sa principale mission sera de regagner la confiance des policiers échaudés par Christophe Castaner, son prédécesseur auquel ils demandaient des actes forts et plus de moyens.
Le ministre de l’Intérieur va devoir s’atteler à deux autres grands chantiers : la question des violences policières, enfin évoquée, de la clé d’étranglement et le livre blanc de la sécurité intérieure.
Jean Castex s’est rendu dimanche 5 juillet pour son premier déplacement dans un commissariat de La Courneuve en Seine Saint-Denis (93). Cette démarche, en confirmant la priorité du gouvernement, envoie un signal symbolique fort de prise de position en faveur des équipes de maintien de l’ordre en banlieue.
Lors de cette visite, Jean Castex a été accueilli par le préfet Lallement (toujours en poste malgré les récentes rumeurs d’éviction) qui avait annoncé jeudi 2 juillet la dissolution de la Compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine Saint-Denis (CSI93) avec la mise en examen de quatre agents pour des faits de grande gravité. Jean Castex a réitéré, lors de cette visite, son soutien et la reconnaissance sans faille du gouvernement aux policiers et au préfet Lallement, venant ainsi en appui à Gérald Darmanin qui avait précédemment reçu les syndicats. Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur, qui s’est distingué devant l’Assemblée nationale en déclarant « quand j’entends parler de violences policières, je m’étouffe » suscitant de nombreuses critiques, a reçu le soutien inconditionnel du Premier ministre.
Alors que sont actuellement dénoncées les violences policières, notamment à travers le mouvement « I can’t breathe », ses propos considérés comme cyniques et fortement polémiques auraient été prononcés sans arrière-pensée… ou le ministre ne sait pas s’exprimer, ce dont on pourrait douter, ou son intention est de provoquer… quoiqu’il en soit, sa parole compte, elle s’avère être problématique et particulièrement inquiétante.
« L’Ogre du Nord » Éric Dupond-Moretti
Autre surprise qui fait du bruit dans les couloirs du Palais, Éric Dupond-Moretti succède à Nicole Belloubet au ministère de la Justice.
Spécialiste de l’institution judiciaire et des cours d’assises où il s’illustre avec plus de 140 acquittements à son effectif, l’avocat le plus renommé de France est autant aimé que détesté. Anti-FN, défenseur de la corrida, écrivain et comédien, Éric Dupond-Moretti se définit dans sa première plaidoirie gouvernementale comme un « sang-mêlé » et annonce que son ministère sera celui de la liberté, « de l’antiracisme et des droits de l’homme ». Surnommé l’Ogre du Nord, il est réputé pour malmener parties civiles, avocats, policiers, magistrats, journalistes et femmes. Sa nomination a rapidement attiré les foudres des féministes qui le considèrent comme un grand misogyne pour ses propos sans égard pour les victimes lors des procès pour viol ou harcèlement sexuel. Elles condamnent également ses critiques de « l’infraction pour outrage sexiste ».
Côté avocats, certains déplorent son manque de courtoisie et ses emportements qui inspirent la peur, mais mettent en avant son côté défenseur des libertés publiques. Ils citent en exemple l’affaire des fadettes1 du parquet national financier (à l’époque le ministre se disait estomaqué par la célérité de l’enquête) et souhaitent que le Garde des Sceaux puisse réaliser le défi de taille sur lequel il s’est engagé : l’indépendance de la justice. Mais, sans grandes illusions, le changement de statut nécessitant une révision constitutionnelle avec l’accord de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en congrès.
Ennemi connu de la magistrature, le ministre de la Justice a dénoncé la République des juges dont il critique clairement le travail. Sa nomination inquiète l’Union syndicale (USM) qui voit dans la décision du chef de l’État « une déclaration de guerre ». Car M. Éric Dupond-Moretti a défendu des dossiers dans tous les tribunaux de France, dont de nombreuses personnalités impliquées dans des affaires judiciaires éclectiques.
Le ministre qui a dorénavant accès aux informations sensibles concernant des dossiers toujours en cours risque de se mettre en porte à faux dans le cadre du conflit d’intérêt (par exemple dans les affaires Théo Luhaka/violences policières, Alexandre Jouhry/affaire des soupçons de financement libyen de la campagne Sarkozy, Julian Assange, Patrick Balkany dont il était le défenseur ou dans le procès de J. L. Mélenchon/D. Moretti, ce dernier ayant été recruté par l’État pour défendre les policiers…).
La récente nomination de Véronique Malbec au poste de directrice de cabinet d’Éric Dupond-Moretti, épouse de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, viendrait, pour les mauvaises langues, en rajouter2 à ce sujet.
Le Garde des Sceaux, pour couper court aux soupçons, a décidé, suite à sa nomination, de rompre officiellement tout lien capitalistique avec son cabinet d’avocat tout en demandant son omission du barreau le temps de sa fonction. Mais pour les magistrats, il est cependant impératif de supprimer la remontée d’informations dans les affaires politico-financières ou personnelles.
Les condamnations dans les affaires Cahuzac, Fillon, Airbus et Balkany sont un progrès en terme de justice économique et fiscale. Car si le principe d’égalité, une justice pour tous les citoyens, est loin d’être acquis, il a malgré tout gagné un petit échelon grâce au travail long et fastidieux du Parquet financier (PNF).
Les propos d’Éric Dupond-Moretti, qui fustigeait cette institution alors qu’il critiquait sa « volonté effrénée de transparence » et comparait les lanceurs d’alerte à « des balances », questionnent également quant à la volonté gouvernementale de progresser en matière de corruption, d‘évasion fiscale et de détournement d’argent public.
Quoiqu’il en soit, Emmanuel Macron, en mal de popularité, s’offre « le » cador ultra-médiatique de la plaidoirie. Habitué des plateaux et du spectacle, charismatique, plus que les juges, il saura défendre le gouvernement et pourquoi pas, faire remonter sa côte dans les sondages en prévision de 2022.
À moins, qu’imprévisible et bilieux, sa colère n’explose et qu’il prenne soudain le torero par les cornes…
Le vote vert pèse désormais sensiblement dans la balance électorale.
Le président de la République a déclaré dès le lendemain des municipales qu’il ferait appliquer 146 des 149 mesures issues de la Convention citoyenne pour le climat.
Mais la transition écologique, l’environnement, tout comme la santé, font-ils partie des priorités d’Emmanuel Macron qui martèle que l’écologie est conciliable avec la force de croissance et la production des richesses ?
Le bilan jusque-là n’est pas très convaincant, la puissance des lobbies dans le système bloquant toutes avancées en matière d’environnement.
La démission fracassante de Nicolas Hulot en 2018, le dérèglement climatique dont le gouvernement ne mesure pas la gravité, le refus de l’aide à l’agriculture biologique, la question des pesticides, les reculades autour du glyphosate, du nucléaire et au sujet du CETA ainsi que la loi Agriculture et alimentation renforcent ce constat qui semble, du moins en partie, partagé par le Conseil d’État.
En effet, la plus haute instance juridique de l’État, saisie par l’association Les amis de la terre qui s’était vu refuser des mesures contre la pollution atmosphérique, a rappelé récemment le gouvernement à l’ordre en le sommant de prendre les décisions qui s’imposent en la matière sous peine d’une astreinte record de 10 millions d’euros par semestre de retard.
Face aux pressions, Barbara Pompili pourra-t-elle appuyer sur l’accélérateur de la transition écologique ?
Le ministère de la Transition écologique est dorénavant dirigé par Barbara Pompili, familière des questions d’environnement. Elle commence sa carrière chez Les Verts (LV) en 2000. Puis prend ses distances en 2015 avec Europe Écologie Les Verts (EELV) estimant les alliances trop à gauche. Elle rejoint le Parti écologiste fondé par Jean-Vincent Placé et François de Rugy, et rentre ensuite au gouvernement de Manuel Valls. Puis en 2016, elle est nommée secrétaire d’État chargée de la Biodiversité auprès de la ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, Ségolène Royal. C’est elle qui fera adopter la loi biodiversité qui n’a, par ailleurs, pas généré d’avancées importantes. En défendant dans ce cadre, en mars 2016, un amendement surprise qui remettait en question le principe du « pollueur-payeur », Barbara Pompili avait choqué par sa tentative de remise en question du « préjudice écologique ». Considérée par la gauche et les écologistes, dont EELV, comme une véritable « régression environnementale majeure », la modification demandée souleva un tel tollé que le gouvernement fut obligé de faire marche arrière.
Soutien de longue date d’Emmanuel Macron, fidèle de François de Rugy, Barbara Pompili rejoint LREM en mai 2017. Lors des frondes de mai 2020, elle choisit sans surprise de rester dans la majorité à l’Assemblée.
Pour toutes ces raisons, sa nomination ne laisse donc pas beaucoup d’espoir aux « verts » de tous horizons.
Julien Bayou (conseiller régional d’Île-de-France et secrétaire national EELV) s’interroge sur le paradoxe du discours d’Emmanuel Macron qui n’est malheureusement pas suivi d’actes et « des coalitions anti-climat qui s’organisent entre LR et LREM ».
Matthieu Orphelin, du Groupe Écologie Démocratie et Solidarité (EDS) proche de Nicolas Hulot, regrette que le gouvernement Castex « présente l’écologie comme un clivage et pas comme un impératif ». Le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard, pour sa part s’exprime ainsi : « L’expérience et l’engagement de Barbara Pompili pour l’environnement ne font aucun doute, mais nous sommes malheureusement sceptiques sur l’influence réelle qu’elle pourra avoir face à un président omniprésent et une majorité qui détricote systématiquement toute avancée significative en faveur du climat ».
Face à la pression de son groupe, elle fut récemment obligée d’enlever des propositions d’amendements qu’elle défendait devant l’Assemblée nationale : la ministre demandait que les aides d’État accordées aux entreprises dans le cadre de la crise du coronavirus soient assorties de mesures fortes pour l’environnement.
Même si Barbara Pompili a parfois contredit les positions du chef de l’État (par exemple lorsqu’elle avait sévèrement critiqué la filière nucléaire, l’accord commercial de libre échange (CETA) et défendu une meilleure information sur les étiquettes des produits alimentaires), force est de constater que sa marge de manœuvre s’avère malheureusement plus que restreinte. Elle dit avoir été désignée pour appuyer sur « l’accélérateur de la Transition écologique » et « faire en sorte que les citoyens voient les choses bouger ».
Pour concrétiser de réelles avancées en matière d’écologie, faudrait-il encore, selon ses propres mots, pouvoir « transformer la volonté politique ».
Retour aux fondamentaux de la Macronie avec Julien Denormandie
Un ministère qui devrait aller de pair avec l’Écologie : celui de l’Agriculture et de l’Alimentation.
Proche du président Macron depuis 2014, Julien Denormandie est promu pour le diriger à la suite de Didier Guillaume.
Malgré sa connaissance du domaine agricole, ce fils de médecins, dont le père orthopédiste de renom dirige le comité « Bien vieillir » du groupe de maisons de retraite Korian, a fait ses classe à AgroParis Tech (Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement).
Ingénieur des eaux et forêts, sans expérience d’élu local, le profil de Julien Denormandie, malgré sa connaissance du domaine, s’apparente à celui d’un entrepreneur.
Directeur adjoint de cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy en 2014, il participe ensuite à la construction du parti En marche et en devient secrétaire général adjoint. Il est nommé secrétaire d’État dès le début du quinquennat Macron et en octobre 2018, il devient ministre de la Ville et du Logement.
Le bilan de son mandat semble paradoxal.
Sa réactivité pour mobiliser et trouver des solutions provisoires pour les sans-abris avait été saluée par la plupart des politiques lors de la pandémie. Mais en avril 2020, aux associations qui demandaient un moratoire sur les loyer, les Français risquant d’être massivement mis à la rue suite aux pertes d’emplois et de revenus, il avait répondu que « cela mettrait en difficulté certains propriétaires ». En 2019 dans le cadre du plan biodiversité, il signe des mesures contre l’artificialisation des sols, sans pour autant freiner des projets contestés sur des espaces naturels et des terres agricoles. La Fondation Abbé Pierre avait également pointé du doigt son double discours, sa volonté de construire plus de logements sociaux venant en contradiction avec les coupes drastiques opérées dans les budgets HLM ; tout comme son refus d »instaurer une taxe sur les ventes de logements de luxe pour l’aide au financement…
Les mesures envisagées apparaissent aujourd’hui comme très insuffisantes aux associations qui déplorent que la nouvelle ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, évoque, malgré les promesses de son prédécesseur, des mises à l’abri au lieu des relogements annoncés. Elles demandent aujourd’hui des consignes fortes aux préfets contre les expulsions, le manque de place dans les centres d’hébergement en soulignant leur précarité, ainsi que la suspension des remises à la rue et des coupures d’énergie.
Mais Julien Denormandie, nouveau ministre de l’Agriculture, préconise de « retourner aux fondamentaux », laissés, d’après lui, de côté le temps du confinement. En bon élève, il devrait donc, dans « le monde d’après », réorienter rigoureusement la barre de son nouveau ministère sur le cap Macronie.
L’ex-directrice de la communication du groupe et lobby Danone Emmanuelle Wargon en charge du logement
Emmanuelle Wargon prend donc la relève au ministère du Logement placé sous le giron de la Transition écologique. Haute fonctionnaire, représentante d’intérêts, la nouvelle ministre, qui a aussi exercé plusieurs postes au ministère de la Santé, est l’ex-directrice de la communication et des affaires publiques du groupe et lobby Danone pour lequel elle avait défendu les OGM et l’huile de palme.
En 2018, elle avait été nommée secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique. Au jeu des portefeuilles tournants, les rôles sont distribués de façon… surprenante.
Retour en politique de Roselyne Bachelot nommée à la culture
Une surprise pouvant en cacher une autre, Roselyne Bachelot est nommée au ministère de la Culture. Docteur en pharmacie de formation, elle rentre en politique en 1982. Membre du RPR, elle reprend le siège de son père à l’Assemblée nationale et défend le PACS contre son propre camp. Porte-parole de Jacques Chirac, elle devient, en 2002, ministre de l’Écologie et du Développement durable. En juin 2004, Roselyne Bachelot est élue députée européenne. Suite à l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, elle est nommée ministre de la Santé et des Sports pour être désignée à la suite au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale. Elle quitte la politique en 2012, jurant ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus, pour débuter une carrière dans les médias. À 73 ans, le 6 juillet 2020, elle accepte pourtant le poste proposé par Emmanuel Macron au ministère de la Culture en remplacement de Franck Riester.
Le nom de Roselyne Bachelot a ressurgi pendant le confinement lors du scandale des masques qui avaient cruellement manqué en milieu hospitalier et à la population pendant la pandémie. Confrontée à l’épidémie de grippe H1N1, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait commandé une quantité massive de vaccins, d’antiviraux et de masques dont la majorité ne fut pas utilisée, le stock de masques ayant été détruit par la suite. Le fait d’avoir surestimé la situation lui avait valu à l’époque un passage devant deux commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale, un rapport de la Cour des comptes et quelques années de moqueries.
Avec cette nomination, Roselyne Bachelot serait donc réhabilitée par le Président qui la propulse face à un énorme défi : assurer d’urgence la relance de l’activité de la culture, domaine fortement sinistré car mis à l’arrêt total par la crise sanitaire et le confinement.
Tous les domaines de la culture ont été impactés avec des conséquences à plus ou moins longue échéance et plus ou moins étendues. La musique et le spectacle vivant, qui représente 72 % de perte, sont toujours à l’arrêt, de nombreuses compagnies de danse et de théâtre étant également menacées. Environ 3 000 festivals culturels sont dans la tourmente, la crise allant malheureusement jouer les rallonges. Le rapport ministériel, qui refuse de parler de reconfinement, mise sur « un maintien des mesures sanitaires strictes assorti à une limitation des événements impliquant le rassemblement d’un grand nombre de personnes » jusqu’à la fin de l’année.
Les acteurs sociaux des différentes branches attendent donc de pied ferme des propositions concrètes, un plan de relance pas seulement sanitaire, mais qui pérenniserait également les structures, les emplois salariés et les artistes-auteurs fortement sinistrés. Roselyne Bachelot, quant à elle, annonce que les États généraux des festivals se tiendront courant septembre.
Les temps sont donc rudes pour la profession privée de travail, et l’année blanche promise par Emmanuel Macron en mai dernier a finalement été actée au Journal officiel le 26 juillet. Les intermittents, du moins ceux dont les droits ont pris fin entre le 1er mars et le 31 août 2020, pourront bénéficier de la prolongation du calcul de leurs droits jusque fin août 2021.
Les mesures prises par le gouvernement semblent pourtant insuffisantes face à un si grand chantier.
Des auteurs appellent l’Europe à l’aide à travers un appel cosigné, soutenu par le Conseil des écrivains et la Fédération européenne des éditeurs. Ils estiment que « les propositions actuelles de plan de relance ne tiennent étrangement pas compte des besoins du secteur culturel et créatif » et réclament au Conseil européen un investissement plus important adapté aux circonstances.
Le 21 juillet, les 27 pays membres de l’Europe se sont finalement accordés sur le soutien aux économies frappées par la crise, avec un plan de 750 milliards d’euros répartis entre des prêts (360 milliards) et des subventions aux différents États (30 % des dépenses devant être engagées dans la transition climatique).
On sait déjà que 40 milliards iront à l’Hexagone… Mais la Culture bénéficiera-t-elle d’une augmentation du budget qui lui a déjà été accordée ?
Pour sa part, l’USEP-SV (Union Syndicale des Employeurs du Secteur Public du Spectacle Vivant) souligne dans son communiqué de presse que « 70 % des budgets publics en faveur de la Culture proviennent des collectivités territoriales ». Le syndicat insiste sur l’importance d’intégrer dans le plan de relance la garantie de leur stabilité financière, les collectivités territoriales ayant tendance ces derniers temps à revenir sur leur engagement à maintenir et à verser les subventions aux opérateurs culturels.
Roselyne Bachelot déclare qu’elle se contentera du budget mis à sa disposition pour relancer son secteur sans aller « pleurnicher » des sous à Bercy, sa mission étant de bâtir des projets pour faire revivre la Culture qu’elle affectionne tant… Le temps ne sera-t-il pas trop court, pour un si grand amour ?
En ce qui concerne la réforme de l’audiovisuel, la situation semble floue et Roselyne Bachelot répond à ce sujet que le calendrier législatif sera pleinement occupé par la relance, en précisant ensuite « il faut que l’audiovisuel public continue sa transformation pour parachever la transition numérique ». Le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique sera finalement morcelé, éparpillé dans d’autres textes ou en ordonnances pour un passage en force. Le projet de holding « France Médias » qui visait à regrouper les principales entreprises en une seule entité, trop coûteux, est pour sa part mis de côté. La suppression des chaînes France Ȏ et France 4, qui seront exclusivement diffusées sur des plates-formes numériques de France Télévisions dès 2020, est, quant à elle, prévue pour le 8 août.
La confusion et la contradiction ne seraient-elles pas les derniers atouts de la stratégie de communication gouvernementale pour tenter de redorer l’image du gouvernement Macron « surentachée » par une gestion de la crise sanitaire très contestée, avant l’échéance 2022 ?
Les départs de Christophe Castaner, Muriel Pénicaud, Sibeth Nidaye, pour ne citer qu’eux, ont été, de prime abord, ressentis comme un soulagement pour beaucoup d’acteurs sociaux et de citoyens qui ne supportaient plus jusqu’à leur image. Mais ces évictions ne sonnent malheureusement aucunement comme une condamnation de la politique ultralibérale et répressive du précédent gouvernement par le Chef de l’État.
En nommant des figures contestables aux postes les plus hauts de l’État, Emmanuel Macron ne prend pas un grand risque pour sa notoriété déjà au plus bas. Mais le signal que le Chef de l’État envoie aux citoyens en quête de justice économique et sociale, qui voient déjà dans son obstination à réformer, coûte que coûte, un profond mépris à leur égard, semble avoir pour vocation d’affirmer son autorité. Pas celle d’apaiser ou de réconcilier.
Le cap du gouvernement précédent est donc maintenu. Sur une mer démontée, le Chef de l’État hisse le spi alors qu’il vire à tribord face au vent qui s’est levé : la manœuvre est dans son ensemble dangereuse, pour les hommes et pour le navire.
Sasha Verlei
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