Créée le 10 octobre 2019, après l’incendie du 26 septembre à l’usine Lubrizol de Rouen, la commission d’enquête du Sénat « chargée d’évaluer l’intervention des services de l’État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques » de ce triste épisode porte un regard critique, notamment sur l’information du public lors des accidents qui se produisent sur les sites classés « Seveso ».


 

Images impressionnantes de panaches de fumées noires, cafouillage dans la communication, colère des riverains : on se souvient de l’émoi provoqué par l’incendie de l’usine Lubrizol qui, heureusement, n’a pas fait de victimes. Créée à l’unanimité des groupes politiques et des commissions permanentes du Sénat, la commission d’enquête a rendu son rapport la semaine dernière, après visites sur place et audition de près de 80 personnes issues d’institutions, administrations, organismes publics ou associations.

Dans la note de synthèse du rapport1, les sénatrices Christine Bonfanti-Dossat (LR, Lot-et-Garonne) et Nicole Bonnefoy (groupe Socialiste et républicain, Charente) déplorent notamment « les manquements graves qui nuisent à l’efficacité des mécanismes de prévention des accidents industriels » et formulent des recommandations « pour une meilleure prise en compte des risques industriels » par les différents acteurs : État, entreprises, collectivités territoriales et citoyens.

Ces recommandations ne se limitent évidemment pas au cas de Lubrizol mais concernent les quelques 1200 sites « Seveso » répartis sur le territoire national.

La région Sud-Provence-Alpes-Cote d’Azur en compte 99, dont 70 ( 44 classés « seuil haut ») pour le seul département des Bouches-du-Rhône. 2 . Le « 13 » totalise le deuxième taux de concentration de sites Seveso du pays, derrière la Seine-Maritime (75 sites), département d’implantation de Lubrizol notamment. Plus vaste que la région PACA, l’Occitanie en compte 86. 3

Le rapport de la Commission d’enquête sénatoriale caractérise l’incendie de Lubrizol comme « l’un des premiers accidents majeurs de l’ère des réseaux sociaux »  et considère que le  « bruit médiatique » suscité (200 000 tweets en 24 heures, plus de 20 000 documents à ce jour) « a révélé la défiance de la population à l’égard de la parole publique et une très forte anxiété des citoyens par rapport aux conséquences sanitaires de l’accident ». 

On pourrait ajouter que la défiance à l’égard de la parole publique était bien antérieure à l’incendie et que la difficulté à connaître la nature des produits n’a pas été étrangère au niveau d’anxiété. Selon le rapport, « l’incendie de Rouen a révélé une difficulté pour l’administration d’accéder en temps réel à l’information sur la localisation et la composition des produits stockés dans un site « Seveso » seuil haut, faute parfois de connaissance précise par les industriels eux-mêmes de l’état de leurs stocks ou d’accès aux données » (sic).

 

« Un manque criant de culture du risque industriel »

« Aujourd’hui 90% des Français se sentent mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques », écrivent les rapporteures.  62% des élu-e-s font également part d’un manque d’information et « 78% sont peu ou pas associés aux exercices de sécurité civile ».

Pour la commission d’enquête, l’incendie de Lubrizol est un signe du « manque criant de la culture de la sécurité et du risque industriel ».  Et le public, « y compris les riverains des installations les plus dangereuses », est « le grand absent des politiques de prévention des risques ».

Dès lors, le constat est clair, voire accablant : « La communication de crise des services de l’État a montré ses limites par son incapacité à informer le public de façon claire, prescriptive et pédagogique et à utiliser efficacement l’ensemble des canaux de distribution disponibles (radio, télévision, presse, réseaux sociaux) ».

La commission d’enquête estime  donc qu’il est « urgent de revoir la doctrine de communication de l’État » car « vouloir rassurer à tout prix fait perdre de vue l’objectif principal : informer le plus clairement possible et en temps réel ». 

 

Renforcer le dispositif de prévention des risques

Alors que le gouvernement annonce son intention d’augmenter de 50% le nombre de contrôles d’ici 2022, on peut légitimement douter de la capacité à atteindre l’objectif lorsque les rapporteurs notent que « les crédits budgétaires alloués par l’État à la prévention des risques technologiques diminuent tendanciellement depuis plusieurs années ».

Faudra-t-il, dans ce domaine aussi, faire plus avec moins, selon la formule magique des libéraux de tout poil ?

Avec les précautions langagières qui siéent à ce type de rapport, les deux sénatrices n’en pointent pas moins un aspect majeur en la matière : « Le nombre réduit de sanctions prononcées, leur faiblesse et le taux de classement sans suite plus élevé pour les infractions environnementales […] sont perçus par certains observateurs comme le signe d’une forme d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries et ce soupçon affecte la crédibilité de la politique de prévention ».

Pour la commission d’enquête qui souligne la nécessité d’ « assurer un suivi des conséquences de long terme de l’accident », l’Agence régionale de santé « n’ a pu exercer sa mission dans les meilleures conditions possibles », dans la mesure où elle s’est trouvée « dépourvue d’informations essentielles quant à la nature des produits brûlés et aux effets cocktail susceptibles d’avoir été engendrés par l’incendie ».

Et les retards constatés « pour contrer les fausses informations véhiculées par les réseaux sociaux ont alimenté l’angoisse de la population quant aux dommages causés par l’accident sur leur santé ».

Comme les élus locaux, les professionnels de santé les plus proches du terrain et les intervenants à domicile « auraient davantage dû être associés dès le départ au suivi des dommages causés par l’accident », plaide la commission. 

Si les conséquences économiques ont été rapidement prises en compte avec deux fonds d’indemnisation à l’amiable mis en place par Lubrizol, « l’un pour les agriculteurs, l’autre pour les entreprises et les collectivités locales », les rapporteurs considèrent néanmoins qu’ « un tel mécanisme dérogatoire, qui implique renonciation contractuelle à toute action contre Lubrizol, laisse entière la question de la prise en compte des préjudices indirects ».

Cette question fait partie des six axes de recommandations élaborés par cette commission d’enquête, avec la nécessité de « créer une véritable culture du risque industriel », d’améliorer la politique de prévention des risques industriels et la gestion de crise, « d’assurer une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales » et celle d’ « appliquer le principe de précaution au suivi sanitaire des populations touchées par un accident industriel ». 

On peut déplorer que la commission d’enquête sénatoriale, présidée par le sénateur de l’Eure, Hervé Maurey (Union centriste) ne dise mot de la suppression des Comités d’Hygiène Sécurité et Conditions de Travail (CHSCT) qui assuraient une forme d’alerte et d’expertise salariales sur ces questions. En première ligne sur ces questions, les salariés des sites Seveso ont aussi leur mot à dire.

 

Morgan G.


iconographie : extrait fond de carte georisques brgm sites industriels


 

Notes:

  1. consultable sur www.senat.fr
  2. Source : francebleu.fr
  3. Source : georisques.gouv.fr