En entérinant les résultats du premier tour des municipales, Emmanuel Macron grave du même coup dans le marbre la défaite de son propre mouvement et les espoirs déçus du Rassemblement national. Tour d’horizon en Occitanie.
Après une courte période d’incertitude, les résultats du premier tour des élections municipales 2020 sont désormais entérinés. Lundi, le président de la république a finalement tranché, affirmant avoir trouvé un consensus avec les représentants politiques du pays. La crise sanitaire que traverse le pays a joué en faveur de cette décision ; l’incontournable contribution des collectivités territoriales pour assurer le dispositif martial, dont les modalités ont été précisées par le ministre de l’intérieur hier à 22h, ne pouvant souffrir de flottement supplémentaire.
Ce faisant, Emmanuel Macron a, du même coup, entériné la défaite de son propre mouvement. Au vu des résultats de dimanche, le parti majoritaire à l’assemblée qui s’apprête à voter une loi d’exception qui lui permettra de gouverner temporairement par ordonnance, est presque partout minoritaire dans le pays à l’instar des deux métropoles en Occitanie.
La ville rose pourrait basculer
À Toulouse, le maire sortant Jean-Luc Moudenc, proche du premier Ministre Edouard Philippe, investi par Les Républicains et soutenu par LREM, partait favori. A l’issue du premier tour, il a recueilli 35,3% des suffrages exprimés, et se retrouve sérieusement menacé. La liste citoyenne « Archipel Citoyen », conduite par l’écologiste Antoine Maurice et soutenue par Europe Écologie Les Verts, La France Insoumise, Nouvelle Donne et Place Publique crée la surprise avec 28,3 % des voies, devançant de 10 points la socialiste Nadia Pellefigue, tête de liste de « Une nouvelle énergie pour Toulouse » soutenue par le PS, le PCF et le PRG (18,1 %). Sans attendre la confirmation de la date du second tour, Antoine Maurice s’est engagé à travailler à l’alliance des gauches. « L’émergence d’une véritable alternative pour Toulouse est possible. Une nouvelle ère pour notre ville s’ouvre aujourd’hui, une ère écologiste, sociale et démocratique. C’est pourquoi, sans plus tarder, je vais prendre contact avec Nadia Pellefigue et Pierre Cohen qui partagent avec nous la volonté de changement pour Toulouse », a-t-il déclaré dimanche en fin de soirée, sur la place du Capitole. Dès lundi, la tête de liste d’Archipel Citoyen s’est affichée avec l’ancien maire PS de Toulouse, Pierre Cohen qui a obtenu 5,9% des suffrages, à l’occasion d’une réunion « au sujet des mesures à prendre pour permettre le bon fonctionnement des services publics et organiser les solidarités ».
Rien n’est joué pour Philippe Saurel à Montpellier
À Montpellier, le candidat officiel LREM Patrick Vignal plafonne avec 6,1% des suffrages. Le maire, ex socialiste sans étiquette Philippe Saurel, arrive en tête avec seulement 19,11% des voix, talonné par son rival frêchiste, le candidat socialiste Michaël Delafosse qui récolte les fruits d’une campagne de terrain de longue haleine avec 16,66% des suffrages, devançant ainsi le chef d’entreprise Mohed Altrad, 13,31%, qui rêvait d’une seconde place sur le podium. Les quatorze listes en lice ont produit l’effet dévastateur prévisible et attendu de dispersion. Ce qui a conduit à effriter le double mouvement écologique et citoyen, vecteur de réel changement pourtant bien présent chez les Montpelliérains, avec un résultat lourdement pénalisant pour les trois listes écologiques qui représentent 16,3% de suffrages exprimés, sans parvenir à se qualifier au second tour. La droite s’effondre. Après avoir pris connaissance de son score 3,83%, le candidat LR Alex Larue a fait savoir qu’il abandonnait la politique. Rongé par les querelles intestines de sa famille politique, Olaf Rokvam confirme avec 4,78% la marginalisation du RN sur Montpellier. Rémi Gaillard, le youtubeur qui invitait les Montpelliérains à voter pour un vrai clown, finit « au max » du « n’importe quoi n’importe qui », en quatrième position, frôlant la qualification avec 9,54% des voix. Enfin, la liste citoyenniste conduite par Alenka Doulain, « Nous Sommes Montpellier », soutenue par LFI, loupe elle aussi la marche de peu avec 9,25% des suffrages exprimés.
Le report du dépôt de liste pour le second tour, finalement annoncé hier à 22 h par Christophe Castaner, repousse le suspens. Tout reste ouvert dans le jeu des alliances, comme l’a confirmé au Midi Libre le maire sortant Philippe Saurel, amateur des coups de poker : « Je ne me suis même pas occupé du second tour ! Je n’ai pas eu le temps… ».
L’abstention record ne tient pas qu’au coronavirus
Les résultats de dimanche restent cependant une base de projections significatives. Premier constat, en Occitanie comme ailleurs dans le reste du pays, le parti gagnant est celui de l’abstention. À l’aune du prisme de la crise sanitaire, 55,25% des électeurs ne se sont pas déplacés au niveau national.
L’abstention a été particulièrement forte dans les milieux urbains ce dimanche. Elle concerne 68% des Nîmois, 65,39% des Montpelliérains, 63% des Toulousains, 62,64% des Narbonnais, 60,7% des Perpignanais et 59.54% des Carcassonnais. Plus de la moitié des inscrits ne se sont pas rendus aux urnes.
Ce niveau de participation historique en baisse de plus de 20 points par rapport au premier tour de 2014 s’explique par le contexte anxiogène lié à l’épidémie et l’annonce peu cohérente et tardive du Premier ministre samedi soir. En revanche, il ne semble pas avoir favorisé un parti au détriment d’un autre. Les gens inquiets concernent indistinctement toutes les catégories sociales et se répartissent sur tous les partis. Enfin, on ne peut réduire le taux d’abstention au coronavirus car ce serait aveugler le désintérêt ou le désaveu tangible des Français à l’égard de leurs représentants politiques.
L’extrême droite marque le pas dans l’Hérault et le Gard
L’autre perdant de ce scrutin en Occitanie est le Rassemblement National et l’extrême droite qui nourrissaient de grandes ambitions dans la région. Au soir du premier tour, malgré quelques victoires et bons résultats, le parti de Marine Le Pen est loin de crier victoire. Il confirme néanmoins ses positions à Beaucaire où Julien Sanchez (LRN) est réélu avec 59,51% des voix. Dans la commune gardoise voisine, Jean Denat (PS 45,02% des suffrages) se trouve menacé, à Vauvert, par Jean-Louis Meizonnet LRN (43,08% des voix). À Moissac, la percée de Romain Lopez avec 47,03% des suffrages exprimés pour l’assistant parlementaire de Marion Maréchal Le Pen est significative dans cette commune de 12.500 habitants du Tarn-et-Garonne. À Perpignan, Louis Aliot arrive en tête avec 35,66% des suffrages exprimés. Le Rassemblement National est en net recul à Nîmes où le score de Yoann Gillet (14,34%) est en recul de plus de 10 points par rapport à son résultat de 2014 (24,42%). Dans la seconde commune de l’Hérault, le maire d’extrême-droite Robert Ménard conserve comme prévu son siège de premier magistrat après avoir aspiré les Républicains. Cependant, la stratégie d’ouverture en direction des égarés républicains, lancée à plus grande échelle par le médiatique maire de Béziers, semble avoir fait un flop.
Durant la campagne, cette stratégie de l’union des droites sous des appellations diverses, « Liste d’ouverture » ou « Liste d’union des patriotes », a été élargie à d’autres communes où les bases militantes du Rassemblement national et LR ont mené la bataille ensemble. À Mèze, où Thierry Baëza (42,7 %) talonne à 80 voix près le maire sortant Henry Fricou (44,3 %), Joël Armentier, candidat soutenu par le RN et le maire de Béziers, pourrait peser dans la balance avec 12,9 % des suffrages dans le cas d’une alliance avec Thierry Baëza. Mais plus globalement dans l’Hérault, l’extrême-droite marque le pas. À Lunel, le score de Julia Plane (21,73 %) affiche un recul de trois points par rapport à 2014. Recul également de l’ex-gendarme et candidat mariniste Stéphane Vincent à Palavas-les-Flots, qui passe de 11,2% à 7,9%. La baisse est sévère à Mauguio, où Gilles Parmentier (13,7 %) perd sept points. Petite débâcle à Pérols où le RN est en chute libre (5,5 %) ; le fief d’Alain Jamet, figure historique du parti, avait obtenu 15,4 % en 2014. À Servian, l’attachée parlementaire de Mme Ménard est battue, comme le conseiller départemental Henri Bec à Vendres.
Ce mouvement se confirme dans des villes moyennes comme Agde, menacé par la vague marine qui en avait fait un de ses objectifs ; Jean-Louis Cousin doit se contenter d’une troisième place (15,66 %), très loin derrière le maire sortant Gilles d’Ettore en situation confortable avec 47,2% des suffrages exprimés. À Sète, où le maire sortant François Commeinhes (LR soutenu par LREM) est confronté à une pentagulaire délicate, le poulain de Robert Ménard, Sébastien Pacull, n’arrive qu’en 4e position (14,38%) malgré le soutien de Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen ayant fait le déplacement dans l’île singulière. La présence de la présidente du Rassemblement National à Frontignan n’aura pas plus porté chance à Gérard Prado qui cumule à 27,96% derrière Michel Arrouy 40,91% qui rassemble toute la gauche.
Les finalistes aux présidentielles désavoués par les Français
Comme à l’échelle de l’hexagone, en Occitanie les deux finalistes de la dernière élection présidentielle se retrouvent sanctionnés par le suffrage universel. La gestion calamiteuse du pays par le président Macron n’y est sans doute pas étrangère, comme les effets de déconstruction de l’échiquier politique entrepris par le mouvement LREM. En disqualifiant la droite traditionnelle à travers l’affaire Fillon – que les hasards du calendrier judiciaire ont fait resurgir durant la campagne – LREM a fait perdre aux Républicains toute boussole idéologique. Profitant de l’appel d’air, le RN et ses proches se sont engouffrés dans la brèche mais la stratégie d’adaptation de l’extrême-droite aux bouleversements de l’échiquier politique s’avère une nouvelle fois infructueuse. Elle profite plutôt aux forces de gauche. Un mot qu’on n’osait, hier encore, à peine prononcer.
Jean-Marie Dinh