Jusqu’au dernier moment de la mise en œuvre du Cessez le feu à Gaza , le 10 Octobre à midi, l’armée israélienne a persisté, comme chaque fois, à bombarder sans discontinuer. Et depuis l’annonce du cessez-le-feu, une atmosphère contradictoire règne dans la bande de Gaza, entre une joie soudaine et une douleur persistante, entre décombres et espoir.
Depuis le début de la semaine les textes d’Abu Amir se sont succédés entre analyse de la situation sur le terrain à Gaza et compte rendu des activités persistantes et magnifiques des équipes de l’UJFP dans des conditions de plus en plus désastreuses. Bien sûr les tractations sur la première phase de l’accord inspiraient à la fois l’espoir et le désabusement pour la population civile de Gaza trop habituée aux pratiques génocidaires incessantes et systémiques de l’ état d’ Israël. Les dernières 48h Abu Amir a envoyé deux textes profondément éclairants sur cette situation à la fois ouverte et fermée pour un peuple qui crie au monde : « Nous ne partirons pas de notre terre ! »
Le 9 Octobre au soir : « L’histoire d’un peuple qui résiste à la mort par la vie, à Gaza, où l’espace se rétrécit et où le temps s’alourdit, se déploie une tragédie qu’aucune plume ne saurait décrire pleinement. Une tragédie où se mêlent la voix de l’appel à la prière et le fracas des explosions, où les rires s’étouffent sous les cris des enfants. Là-bas, la nuit ne ressemble à aucune autre nuit : ce n’est ni un moment de repos ni un temps de rêve, mais un rendez-vous renouvelé avec la peur, une quête d’abri contre un missile dépourvu de toute pitié. Des visages pâles et des yeux éveillés qui n’attendent qu’une seule nouvelle, une nouvelle simple mais qui est devenue leur plus grand souhait : que la guerre cesse. À Gaza, l’espoir n’est plus un luxe, mais l’ultime arme à laquelle se cramponnent les habitants, leur seule défense face à une mort qui frappe sans relâche.
Et malgré l’ampleur de la douleur, malgré la destruction qui a transformé les maisons en ruines, les Gazaouis savent que leur souffrance ne s’éteindra pas aussitôt que les canons se tairont. Ils savent pertinemment qu’ils reviendront aux vestiges de leurs foyers pour y trouver les murs effondrés, l’eau disparue, l’électricité réduite à un souvenir, et que leur vie ne s’améliorera réellement qu’après de longues années d’efforts et de labeur. Pourtant, ils ne demandent pas l’impossible ni ne rêvent de luxes inaccessibles : ils veulent seulement que les tueries s’arrêtent. Ils veulent serrer leurs enfants dans leurs bras la nuit sans craindre que cette étreinte ne soit la dernière, et voir dans leurs yeux des sourires au lieu de la terreur qui les envahit à chaque explosion proche…À travers toute cette douleur, persiste un sentiment accablant d’injustice, une injustice qui ne ressemble à aucune autre, car le monde entier regarde sans réagir. Comme si Gaza avait été abandonnée seule face à un ouragan de feu, comme si le sang des enfants ne suffisait plus à réveiller la conscience humaine. Et malgré tout, ce peuple continue de se tenir debout, de respirer malgré le blocus, de rêver alors que toutes les circonstances lui crient : ne rêve pas. Ils affrontent une guerre d’anéantissement, mais ils ne brandissent pas le drapeau blanc, car ils savent que s’accrocher à l’espoir est une forme de résistance, et que préserver leur humanité dans cet enfer est la plus grande des victoires.
En fin de compte, Gaza demeure une histoire qui ne s’écrit pas à l’encre mais avec des larmes et du sang. L’histoire d’un peuple qui a perdu sa maison, sa terre et ses proches, mais n’a jamais perdu sa volonté ni son espoir. Là-bas, sous un ciel obscurci par la fumée, au milieu des ruines des maisons effondrées, l’espoir renaît dans chaque cœur qui bat encore, dans chaque enfant qui insiste pour sourire malgré la peur, dans chaque mère qui refuse de céder à la tristesse.
La fin que les Gazaouis espèrent n’est ni vengeance ni gains politiques, mais seulement que cesse le massacre, que s’achève cette guerre d’extermination, qu’ils puissent vivre en paix comme les autres peuples. Ce qui demeure le plus puissant à Gaza, ce ne sont pas les murs de ses maisons – ils ont été détruits maintes fois – mais la force de son peuple, qui se relève à chaque fois des cendres, s’accrochant à ce fil ténu d’espoir, un espoir qu’aucune guerre ne peut tuer. »
Le 11 Octobre au matin
Depuis samedi matin, les rues de la bande de Gaza connaissent une scène qu’elles n’ont pas vue depuis de longs mois : des centaines de camions chargés d’enfants, de femmes et d’hommes forment de longues caravanes se dirigeant vers la ville de Gaza. Ils portent en eux l’histoire d’un peuple qui n’a jamais connu la défaite, revenant dans sa ville bien-aimée malgré la douleur, pour proclamer du milieu des décombres que la vie est plus forte que la guerre, que rester sur sa terre est la plus grande des victoires. Ce voyage n’est pas ordinaire ; il ressemble à un nouveau chemin de croix, mais cette fois avec une saveur différente. La douleur est toujours visible sur les visages, les yeux portent encore les images de la mort et de la destruction. Pourtant, au plus profond des âmes règne une étrange sérénité : la guerre est finie, la peur est brisée, et le flot de sang s’est enfin arrêté.
Les camions délabrés avancent lentement sur des routes éventrées, transportant des familles entières avec ce qu’il leur reste de biens, et quelques vieilles photos rescapées des décombres. À la tête de chaque convoi, un enfant brandit le drapeau palestinien, comme pour dire : « Nous sommes revenus… et nous ne partirons plus. Le long de la route menant à Gaza, des dizaines de milliers de personnes marchent à pied — hommes et femmes, jeunes et vieux — portant sur leurs épaules ce qu’ils ont pu sauver. L’un d’eux dit d’une voix tremblante : « Nous revenons vers les ruines de nos maisons et nous ne quitterons plus cette terre. » Une phrase qui résume l’histoire de tout un peuple, ayant vécu deux années de douleur et d’exil, de faim et de peur, mais qui est resté attaché à son droit de rester, d’appartenir, de vivre. Chaque pas sur la route est une déclaration d’identité. Chaque regard vers le ciel est une promesse renouvelée que cette terre, aussi brisée soit-elle, restera la leur.
Cette scène humaine extraordinaire — des milliers de citoyens rentrant, fiers, au milieu des ruines — n’est pas un simple retour aux foyers, mais un message adressé au monde entier. Un message disant que nous sommes les plus légitimes sur cette terre, car nous sommes les seuls à avoir résisté dessus, à l’avoir protégée de nos corps et de notre sang.
Les habitants de Gaza ont tout sacrifié — l’argent, les maisons, les enfants, les vies — pour ce jour : le jour du retour, le jour de la dignité. Nous ne sommes pas de nouveaux réfugiés, ni des étrangers sur notre terre. Nous sommes ses habitants, son sel, ses racines profondément ancrées dans l’histoire, malgré toutes les tentatives d’arrachage. Nous n’avons pas fui, nous n’avons pas cédé, nous n’avons pas abandonné. Nous sommes restés, car nous croyons que la résistance prend aussi la forme de la persévérance.
Debout sur les ruines… nous restons
Sur les vestiges des maisons effondrées, les gens se tiennent aujourd’hui la tête haute. Parmi les pierres brûlées et les restes d’une vie déchirée, ils écrivent sur les murs fissurés : « Nous restons. » Ce mot seul est devenu un hymne national non écrit, résonnant dans les rues et dans les cœurs, racontant l’histoire d’un peuple qui ne se rend pas. Une femme ayant perdu ses enfants dit en posant la main sur sa poitrine : « Ils ont pris mes fils… mais ils ne prendront pas ma terre. » D’entre les décombres, un petit garçon sort, tenant sa poupée brûlée, et dit avec un sourire : « Je reconstruirai notre maison. » À cet instant, Gaza n’avait plus besoin de miracles… son peuple était le miracle.
Malgré le génocide… nous ne partirons pas
Malgré une extermination sans précédent dans l’histoire moderne, la volonté du peuple ne s’est pas brisée. Au contraire, ils sont sortis plus déterminés que jamais à rester, plus convaincus que la victoire ne se mesure pas au nombre de maisons détruites, mais au nombre de cœurs qui n’ont pas cédé.La destruction a tout recouvert, mais l’esprit de Gaza continue de battre dans chaque pierre, dans chaque visage couvert de poussière, dans chaque voix criant « Nous ne partirons pas. »
Un message au monde
Et pour clore cette scène humaine grandiose, les habitants de Gaza lèvent leurs mains en signe de gratitude envers tous les libres du monde qui n’ont pas gardé le silence face à l’injustice et n’ont pas marchandé la vérité. À ceux qui sont descendus dans les rues, ont écrit, protesté, et exercé des pressions jusqu’à faire bouger les gouvernements, ils disent : « Vous êtes la voix de la justice dans ce monde, et vous êtes nos partenaires dans cette grande victoire morale. » Votre solidarité sincère a contraint de nombreux gouvernements à revoir leurs positions et a ravivé dans la conscience mondiale la vérité que la justice ne meurt jamais, même si l’on tente de l’effacer par la force.
Aujourd’hui, Gaza n’est pas simplement une ville revenant de la guerre ; c’est une ville qui renaît de ses cendres pour dire au monde « Nous sommes ici, nous avons toujours été ici, et nous y resterons. » Des ruines naît une nouvelle volonté, et du cœur de la douleur s’écrit un nouveau chapitre de l’histoire palestinienne — celle d’un peuple indomptable, convaincu que Rester sur sa terre est la forme la plus noble de résistance, l’existence même est une victoire.
Finir avec une strophe d’un poème inédit de Mahmoud Darwich Janvier 2002« Etat de siège » « Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps Près des jardins aux ombres brisées, Nous faisons ce que font les prisonniers, Ce que font les chômeurs : Nous cultivons l’espoir. »
Brigitte Challande