De plus en plus les textes d’Abu Amir — correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix à Gaza — révèlent une grande qualité d’analyse et de réflexion géopolitique sur l’évolution du désastre programmé dans la Bande de Gaza. Le 22 mai il nous envoie ce texte sur l’enjeu que représente Gaza entre les ambitions internationales et le silence du monde.


 

« Alors que les bombes pleuvent sur les civils à Gaza et que des flammes s’élèvent de chaque quartier et rue, une autre scène se joue en coulisses, totalement différente. Gaza n’est plus seulement un champ de bataille entre une résistance palestinienne et une armée d’occupation israélienne. Elle est devenue le nœud central à travers lequel se redessine la carte du Moyen-Orient, voire du monde. Elle s’est transformée en un cadavre géopolitique sur lequel se disputent les grandes puissances.

La ville, ravagée jour et nuit par les flammes, n’est plus seulement une zone assiégée, mais un échiquier où les pions de la politique internationale se déplacent, de Washington à Tel-Aviv, de Pékin à Riyad. Tandis que les enfants meurent sous les décombres, un conflit discret se joue en arrière-plan entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou. Une lutte douce pour s’emparer des clés de Gaza —non pas par amour pour elle ou pour son peuple, mais par convoitise de sa position stratégique et de ses ressources gazières.

 

Gaza point de jonction entre l’Asie et l’Europe via la Méditerranée

Trump voit Gaza comme une porte d’entrée pour étendre l’influence américaine à travers un port construit sur les ruines de la ville, en lien avec le projet du « nouveau corridor économique » destiné à relier l’Inde au Golfe, puis à l’Europe. De son côté, Netanyahou refuse tout partage du contrôle et vise une victoire militaire totale qui lui permettrait d’imposer de nouveaux faits accomplis, faisant de Gaza une extension sécuritaire et un couloir économique exclusivement israélien.

Bien que leurs méthodes diffèrent, les deux hommes partagent la même vision : le gaz au large de Gaza est un trésor, et le port envisagé ne sert pas à l’aide humanitaire, mais à contrôler les routes commerciales mondiales. La destruction totale de Gaza n’est pas hasardeuse, mais bien une étape pour la reconstruire en tant que zone économique, et non plus comme territoire palestinien.

Dans ce contexte, Gaza devient un projet stratégique dépassant les calculs locaux. Les ports israéliens ne suffisent pas aux ambitions américaines, et la distance entre le désert du Néguev et Gaza est plus courte et moins coûteuse, ce qui en fait l’endroit idéal pour un port moderne au service des intérêts américains, tout en empêchant l’expansion de la Chine. En effet, les plans dessinés en coulisses envisagent une reconstruction de la ville selon une « architecture commerciale », avec déplacement d’une partie de la population et utilisation de ceux qui restent comme main-d’œuvre bon marché pour ce nouveau projet, le tout emballé dans un discours humanitaire.

Washington, qui vise l’hégémonie, ne souhaite pas une occupation directe, mais veut imposer une administration civile à visage humain, mais aux fins sécuritaires et commerciales, pour se présenter comme le sauveur de Gaza et désamorcer l’obstacle qui freine la normalisation avec l’Arabie saoudite. Ainsi, les événements du 7 octobre ne sont pas simplement une surprise militaire, mais l’étincelle nécessaire pour démanteler l’ordre ancien et lancer une phase de déplacement, de normalisation et d’ingénierie démographique, via des bombardements ciblés justifiant un changement de gouvernance et facilitant l’établissement du port et du nouveau corridor économique.

Cependant, l’Égypte s’est opposée au déplacement massif de population, refusant d’accueillir des centaines de milliers de réfugiés, ce qui a temporairement bloqué la mise en œuvre du grand scénario, en attendant une sortie politique ou une pression internationale.

Pendant que ces projets sont dessinés par satellite, le dragon chinois observe en silence. Pékin, avec son projet « La Ceinture et la Route », cherche depuis des années à étendre son influence en Méditerranée, et voit en Gaza un point d’appui idéal. Si le projet de port voit le jour, il concurrencera les ports européens et deviendra une clé maritime reliant la route de la soie aux marchés africains et européens. C’est pourquoi Washington se précipite pour consolider son influence avant que la Chine ne s’installe.

Dans cette équation globale, Gaza est privée de reconstruction réelle, et les massacres sont utilisés comme levier pour imposer des réalités économiques et sécuritaires, sous couvert d’“aide humanitaire”, alors que les écoles et les tentes sont bombardées en plein jour.

Alors que la bataille est menée militairement par Israël, Washington vise le prix ultime : un port sur les ruines d’une ville, et un corridor économique bloquant l’expansion chinoise et accélérant la normalisation entre le Golfe et Israël. Israël, de son côté, voit dans le projet américain une tentative d’instaurer une double hégémonie, ce qui pousse Netanyahou à rechercher une victoire totale, car la mise en place d’une administration internationale signifierait son exclusion des bénéfices.

La Chine, quant à elle, sait que perdre Gaza au profit de l’Amérique, c’est perdre un maillon stratégique en Méditerranée.

En fin de compte, Gaza est bombardée non seulement parce qu’elle est un bastion de résistance, mais parce qu’elle est devenue le centre à partir duquel se redessinent l’avenir du commerce, du pouvoir et des alliances. Elle n’est plus seulement un symbole de tragédie, mais une porte du nouveau Moyen-Orient. Celui qui en détient les clés détiendra l’avenir de la Méditerranée et imposera les équilibres du monde à venir. Dans cette lutte effrénée entre grandes puissances, sur le sable brûlant de Gaza, l’être humain palestinien reste la victime silencieuse…

Aujourd’hui, Gaza n’est pas seulement un champ de bataille, mais un témoignage vivant de la décadence du système international, où l’avenir d’une ville est vendu contre une alliance, et un peuple effacé pour tracer une route commerciale. Les puissants se disputent les territoires, ce sont les petits qui sont enterrés en silence, et les contrats de demain s’écrivent sur leurs cadavres. »

 

Le rapport hebdomadaire de l’OCHA (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) #290, mis à jour le 21 mai, alerte au plus haut point.

Le bureau du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies met en garde contre l’escalade des frappes sur les tentes, les bâtiments résidentiels et les hôpitaux surpeuplés et la destruction méthodique de quartiers entiers. Les organisations humanitaires mettent en garde contre les niveaux aigus de faim, une forte diminution de la diversité alimentaire et une proportion plus élevée d’enfants atteints de malnutrition aiguë, tandis que moins de 300 000 repas quotidiens sont maintenant préparés dans les cuisines communautaires.

Environ 29 % de la population de Gaza a de nouveau été déplacée au cours du mois dernier, y compris plus de 161 000 personnes déplacées en une semaine, sans lieu sûr.
Environ 81 % du territoire de la bande de Gaza se trouve désormais dans des zones militarisées israéliennes ou a fait l’objet d’une injonction de déplacement.

Et pendant ce temps des entreprises de sécurité américaines sont déjà dans la bande de Gaza pour superviser un nouveau plan de distribution d’aide israélienne, que l’ONU et d’autres organisations internationales ont fermement condamné, étant donné qu’il repose sur un mécanisme qui déplacera davantage la population de Gaza. Signons, diffusons et relayons l’appel Gaza, l’aide humanitaire doit passer maintenant !

Brigitte Challande

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.