Comment « porter » son bébé ? Prévention, accueil, écoute : des problèmes différents, des solutions différentes, proposées par une « Maison des 1000 jours » et par l’« Abri Languedocien », une structure particulière.


 

Suite à l’action longuement menée par le Département de l’Hérault en faveur de l’Enfance (Voir altermidi mag #14), la réflexion introduite par le Rapport sur les 1 000 premiers jours se poursuit dans les centres PMI (Protection Maternelle et Infantile), et notamment dans les « Maisons » qui ont été créées. Celle de Frontignan en est un exemple, qui mérite d’être confronté à l’expérience de l’« Abri Languedocien », dont la vocation est différente.

 

L’histoire des 1 000 jours, aujourd’hui…

Une réflexion a été menée et a conduit à la création des « Maisons des 1000 jours » après l’étude réalisée en 2020 par l’équipe de Boris Cyrulnik, le neuropsychiatre tenant de la « résilience ». Elles ne sont pas très nombreuses, certaines ont été fondées l’an dernier à Arras, Dijon, Troyes, Lyon, Metz, Nice, Marseille, et des projets Outre-mer sont encouragés, en Guyane, Guadeloupe… Le Département de l’Hérault a inauguré en février une « Maison des 1000 jours » à Béziers, après celle de Montpellier l’an dernier, et celle de Frontignan le 11 décembre 2024 (ouverte dès 2023).

Le principe des 1 000 jours suppose que le bébé n’est pas seulement suivi dès sa naissance mais dès sa conception utérine, et est accompagné non seulement dans la période hospitalière, mais quasiment jusqu’à son entrée en maternelle — du 4e mois de la grossesse de la mère jusqu’aux 3 ans de l’enfant. C’est une approche plurielle et personnalisée.

Le ministère de la Santé a désigné « les 1 000 premiers jours » comme « un concept scientifique » et « une nouvelle politique publique », à partir du rapport de la commission d’experts mise en place en 2019 par Emmanuel Macron et présidée par Boris Cyrulnik, soucieux d’instaurer « l’égalité des chances dès les premiers pas ». Cette réflexion s’installe après une grande campagne lancée en janvier 2017 par l’UNICEF « Les premiers moments comptent », qui mettait en avant les mille premiers jours de vie, portés par le slogan “Eat Play Love” — la nourriture, le jeu, l’amour.

 

Construire une famille, c’est un des buts essentiels des fameux « 1 000 jours ». Crédit photo. Santé Publique

 

L’UNICEF avait souligné l’importance de l’environnement sur le bébé, mais aussi l’idée d’une prévention précoce et d’une interdisciplinarité de l’approche. Aux apports nutritifs s’étaient ajoutées des « nourritures » sensorielles, interactives, auxquelles Boris Cyrulnik avait ajouté « affectives ». Auparavant, Fitzhugh Dodson avait entamé la réflexion en 1970 avec son ouvrage Tout se joue avant six ans.

 

Après des péripéties, une mise en route

Pour la petite histoire, la commission dirigée par Boris Cyrulnik a travaillé un an, bénévolement, mais a été « complétée » par des travaux d’enquête menés par le cabinet Roland Berger pour un montant de 425 000 €, un travail évalué 2,5/5 et déclaré « pas au niveau » par la DITP (Direction Interministérielle de la Transformation Publique). Ces péripéties n’ont pas empêché que le Rapport envisage des réformes nécessaires : un congé parental de 9 mois, des mesures augmentant les possibilités d’un accueil hétérogène, et remédiant aux inégalités sociales, ainsi qu’un accompagnement concret comportant des personnels qualifiés, augmentant donc le nombre de recrutés diplômés, et proposant un professionnel pour 5 enfants. Tout cela est proposé, et a un prix.

La réflexion est par ailleurs destinée à être poursuivie pour améliorer le rapport entre les actions au niveau collectif et individuel, et pour comprendre la maltraitance dans ses origines plus que dans ses conséquences, notamment dans l’approche du rôle du père. Boris Cyrulnik a publié un livre important en 2023*, la réalisation du projet a donc déjà commencé avec les nouvelles « maisons des 1000 jours », et celles de l’Hérault sont très actives.

 

Il faut bien 1 000 jours pour exister

La « Maison des 1000 jours » (MMJ) de Frontignan, qui concerne les 14 communes du Bassin de Thau, a développé les possibilités déjà offertes aux familles par la Protection Maternelle et Infantile, service départemental mis en place après 1945, qui héberge dans ses locaux la nouvelle structure. Les naissances étaient en baisse en 2024 : 884 contre 1025 l’année précédente. Les actes PMI ont été au nombre de 820, dont 200 pour Frontignan, et pour sa première année la MMJ a reçu 170 familles.

Des consultations supplémentaires ont donc été mises en place, une prévention active, qui s’adresse à plus de familles. Isabelle Deixonne, responsable adjointe, déclare : « On est là pour éviter les pertes de chances pour les enfants. » Un dépistage précoce est prévu, à tous les niveaux, et le Docteur Nathalie Gutowski, qui est à la tête de la Maison, précise : « Il s’agit de réduire les inégalités, c’est ouvert à tout le monde, gratuit, universel. »

L’enfant est au cœur de la question, mais aussi ses parents et son entourage, et si médecin et sage-femme préparent à la naissance et au suivi médical, il est possible de consulter aussi un psychologue et une psychomotricienne, une orthophoniste, et depuis peu un orthoptiste, les troubles de la vue comme l’amblyopie (différence de vision entre les deux yeux) devant être décelés assez tôt. Le médecin ajoute : « Il faut toujours être dans une prévention bien avant que les troubles n’apparaissent, car parfois avec la rééducation cela coince… La prévention permet de dédramatiser, de faciliter l’accès au diagnostic. »

 

Pour parler de tout… sans oublier personne !

La mise en place a commencé en 2023 et les questions se sont multipliées, de même que les approches complémentaires, sur la dentition, la nutrition, et surtout l’approche de la grossesse. À Frontignan est ouvert, le mercredi, un LAEP (Lieu d’Accueil Enfants Parents), comme « Les Canaillous » à Gigean, où l’on peut échanger sur bien des questions. Mais celle des violences conjugales ne peut guère être abordée directement : « Il s’agit surtout de donner confiance. Il est possible lors de l’entretien prénatal au 4e mois de repérer une vulnérabilité qui soit prise en charge. Et la dépression post natale est la première cause de suicide. On doit avant tout faire preuve d’écoute, d’empathie. » Les critères de vulnérabilité font l’objet d’une attention particulière, et le suivi permet d’apporter une aide plus rapprochée. La PMI recevant tous les avis de grossesse et de naissance, la proposition est « universelle », souligne Isabelle Deixonne. En rapport avec le centre de Sète pour les IVG, avec l’Aide Sociale à l’Enfance pour les situations préoccupantes et pour les placements, notamment avec l’appui parental à l’« Abri Languedocien » : « On n’oublie personne ! », sourit Nathalie Gutowski.

En parallèle avec l’écoute individuelle se sont créés des ateliers collectifs, et c’est beaucoup de travail d’organiser l’apprentissage du langage, mais aussi la découverte du livre, sa fabrication, des rencontres, un « cercle vertueux ». Une approche diverse. Participent aussi le « Relai Petite Enfance » qui s’étend sur cinq communes et propose des animations hebdomadaires pour les assistantes maternelles et les enfants en accueil de la ville de Frontignan. Outre les rencontres du « Lieu d’Accueil Enfants Parents » s’organisent des échanges avec des partenaires comme « L’Instant Partagé », mais aussi des massages pour les parents. Récemment a eu lieu une action de prévention sur le mauvais usage des écrans, et une conférence sur la vaccination avec l’Institut Buisson Bertrand a réuni les professionnels Petite Enfance. Les projets se multiplient : sport, jeu, construction, et une mission en milieu scolaire est envisagée à partir de 5 ans, en grande section. 1 000 jours et 1 000 idées !

 

L’« Abri Languedocien » est une tout autre « maison »…

Il y a aussi des lieux historiques, des structures qui existent depuis longtemps et sont moins connues, un peu secrètes. L’« Abri Languedocien » en fait partie et est un établissement particulier, une rare institution qui accueille des mères mineures, de l’Hérault, mais aussi de la Drôme, des Bouches du Rhône, et exceptionnellement de Paris. C’est une institution ancienne qui, après 1945, dans le cadre du redressement du pays marqué par la guerre, a eu pour but de « venir en aide aux mineurs, plus spécialement aux filles-mères délinquantes ou inadaptées »… En 1946 le Conseil d’Action Morale et Sociale de Montpellier fonde l’« Abri Languedocien », qui s’installe au Montmaur Cottage acheté par la Ville. Un grand domaine avec entre autres un bâtiment de 662 m2 et un terrain de 23 ha. En 1963 l’association le rachète et peut commencer un véritable hébergement des mères adolescentes, la capacité d’accueil passant en 1971 de 12 à 32. De gros travaux de construction sont entrepris et une crèche voit le jour en 1982.

 

Un lieu d’échanges à Frontignan : récente réunion sur l’addiction aux écrans. Crédit photo. MMJ

 

Dans les années 80 commence donc à se définir cette structure de type MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social), qui va comporter 29 places, 7 appartements dans Montpellier et 12 pour mère mineure avec enfants, sans oublier 10 SAP (Service d’Accompagnement Personnalisé). La structure a évolué, avec l’ajout de deux crèches, et le Service d’Accompagnement Personnalisé continue à suivre les résidentes. Karine Proteau-Pilar, la chef de service de l’internat, se réjouit de cette évolution et déclare : « C’est toujours plein, et pour un temps d’accueil assez long », d’une durée de deux ans et neuf mois en moyenne, en 2024…

 

Dès 13 ans, être maman à part entière

Les jeunes mères peuvent avoir en principe entre 13 et 21 ans, mais elles ont 17-18 ans en moyenne. « Les profils sont très variés, explique la responsable. Il y a souvent plusieurs vulnérabilités, la situation n’est pas stable pour devenir une maman à part entière ! » Il y a quelque situations migratoires, des Mineurs Non Accompagnés, des femmes en rupture de lien familial, des carences affectives et éducatives : « Des cas très variés ! » Sur le plan pratique, l’Abri comporte actuellement deux étages, des studios, qui peuvent héberger les couples mère-enfant. Le projet d’un nouveau bâti a été validé et la construction doit se faire cette année.

Outre l’accompagnement de la grossesse par une sage-femme, les demandes concernent souvent une psychologue, qui est là à mi-temps, et sont concernés aussi bien les parents — mère et père —, que la famille et l’enfant : « Il y a autant de cas que de situations. Le père est aussi accompagné, pour construire un projet de couple, une vie familiale. » Cette évolution est en cours, il y a plus de pères présents depuis une vingtaine d’années.

Il est prévu pour les résidentes un suivi de formation pour un parcours professionnel et s’il y a déjà eu des cours pour un niveau de collège, ce sont surtout des préparations à des CAP, BEP, stages et études post bac, bien sûr dans le cadre d’un arrêt maternité. Un atelier informatique est disponible ainsi qu’une salle de sport et un entraînement hebdomadaire. Pour enfants et parents sont organisées des activités musicales et manuelles (peinture, mosaïque et couture), ainsi que des soirées culturelles, des sorties à la piscine, à la Ferme Pédagogique…

 

Démarche plurielle et unique

« Il s’agit actuellement de prendre en compte des démarches personnelles, d’évaluer le besoin des personnes », explique la responsable. Il ne s’agit pas de prendre en charge les personnes qui ne le souhaitent pas, mais d’envisager des possibilités telles que la prise en compte d’un parcours traumatique, comme a pu l’envisager le psychiatre Franz Fanon, et d’ouvrir des réflexions sur les rapports sexuels, sur les addictions, sur les processus de violences familiales et conjugales. Dans certains cas, on serait tenté d’explorer à nouveau « le désir d’enfant », tel qu’il a été maintes fois abordé par le psychanalyste montpelliérain Jean Reboul (notamment dans deux films et une quinzaine d’ouvrages…), aussi bien face à l’infertilité que lors d’une grossesse inattendue, ou dans une démarche d’avortement.

La naissance est un heureux événement, mais cela se prépare et la situation est souvent complexe, pleine de problèmes, concernant la mère, le couple, la famille, la grossesse, l’accouchement, la période postpartum qui le suit, la prise en charge de l’enfant — éventuellement avec d’autres enfants déjà nés —, sans compter les questions d’intégration, de logement, de parcours d’études, et les éventuels viols, violences ou exclusions. Le manque d’établissements d’accueil reste toujours à considérer, la réflexion est à poursuivre au niveau social, non seulement pour un accompagnement de chacun, mais aussi pour une intégration des situations douloureuses. Les « Abris » sont nécessaires, même si les Maisons des Mille Jours constituent des « premiers pas », qui vont aider l’enfant à faire une bonne entrée dans la vie.

Michèle Fizaine

 

* Nathalie Casso-Vicarini, Boris Cyrulnik, Isabelle Filliozat et Antoine Guedeney, Là où tout commence. Les premiers mille jours,  Éditions Cherche Midi, 2023, 9 €. Et documentaire du même titre en 2023.

 

Maison des 1000 jours Montpellier – 61 rue Robert Fabre – 04 67 67 38 60 maisondes1000joursmontpelliernord@herault.fr

Maison des 1000 jours Béziers – 2 avenue Albert 1er – 04 67 67 55 92 maisondes1000joursbiterrois@herault.fr

Maison des 1000 jours Étang de Thau, Frontignan – 172 avenue du Maréchal Juin  04 67 67 76 99 maisondes1000joursetangdethau@herault.fr

Photo1 L’entrée de l’enfant dans la vie se prépare bien avant sa naissance ! Crédit photo Santé Publique

Cet article est publié en complément du dossier sur l’enfance paru dans altermidi mag1 disponible en kiosque.

Lire aussi : Témoignages: Familles accueillant des mineurs

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.