Israël s’empare de pans entiers de la bande de Gaza c’est le titre d’un dossier du Monde du 14/04/25 qui explique comment les opérations actuelles se transforment en un redécoupage de Gaza, préfigurant un contrôle total de la bande.


 

Samuel Forey écrit dans cet article « Rafah abritait 150 000 à 200 000 Palestiniens avant le 7 octobre 2023. Située au sud de la bande de Gaza, à la frontière avec l’Egypte, la ville doit être transformée en zone tampon par l’armée, selon les médias israéliens. Ce nouveau no man’s land devrait s’étendre jusqu’au corridor de Morag, un axe traversant l’enclave de part en part, dont les forces de l’État hébreu se sont emparées au cours des derniers jours, créant, sous leur contrôle, un troisième axe de division de Gaza. Sa superficie atteindrait 75 km2, sur les 360 m2 que compte l’enclave – soit un cinquième de son territoire – et couperait la bande de terre de la frontière égyptienne.  Au centre, l’armée s’est rendue à nouveau maîtresse de l’autre vaste corridor de l’enclave, celui de Netzarim, qui isole la ville de Gaza du reste du territoire. Au nord, elle a encore élargi le no man’s land. Et elle a en outre étendu la zone tampon du pourtour de la bande. Large de 300 mètres avant l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, elle mesure à présent entre 800 et 1 500 mètres. L’armée multiplie en outre les ordres de déplacement dans l’enclave, sommant les Palestiniens de quitter des quartiers entiers pour aller s’abriter dans des zones dites « humanitaires ». « Nous avons constaté qu’environ 48 % du territoire gazaoui se trouve dans la « zone tampon » élargie. Mais si l’on ajoute les ordres de déplacement, on arrive à 65 % de la bande de Gaza. Sans compter les zones supplémentaires de Rafah que le gouvernement souhaiterait reprendre et les évacuations de ces derniers jours…, note Tania Hary, directrice de l’ONG israélienne de droits humains Gisha. »

 

Cela fait de Gaza une zone de mort inhabitable

C’est la mise en place de trois corridors de sécurité qui découpent et isolent les différentes parties de la bande de Gaza : le plus au Sud celui de Philadelphie le long de la frontière de Gaza avec l’Égypte sous contrôle israélien depuis mai 2024 puis en remontant celui de Morag – nom d’une ancienne colonie juive située entre Rafah et Khan Younis- annoncé par Netanyahou le 2 Avril et plus haut celui de Netzarim séparant le Nord de Gaza et la ville de Gaza du reste du territoire. Ce sont des zones tampons de mort aux proportions énormes. Le journaliste Rami Abou Jamous raconte dans son journal pour Orient XXI que si l’on sort de la seule route Al -Rachid qui relie le Sud au Nord praticable uniquement à pied ou en charrette, les militaires israéliens tirent sans sommation.

 

Le rapport hebdomadaire de l’OCHA du 15 Avril 2025 parle également de rétrécissement de l’espace humanitaire

« Entre le 18 mars et le 14 avril, l’armée israélienne a émis au moins 20 ordres de déplacement, en plaçant environ 142,7 kilomètres carrés, soit 39 % de la bande de Gaza, sous ordonnance de déplacement actif. Outre les zones soumises à des restrictions de déplacement, les autorités israéliennes ont demandé à l’ONU de coordonner et de déclarer les mouvements dans la zone « interdite » le long du périmètre de Gaza et le long de Wadi Gaza, où les forces israéliennes ont été de nouveau déployées depuis le 20 mars, ce qui représente environ 50 % de la bande de Gaza. Au total, environ 69 % de la bande de Gaza fait l’objet d’un arrêté de déplacement actif, se trouve à l’intérieur de la zone « interdite », ou les deux. »

 

Le 17 Avril Abu Amir, notre correspondant à Gaza représentant de l’Union Juive français pour la Paix, envoie un texte qui montre avec détails et précisions les outils « doux » du déplacement forcé qu’emploie Israël pour préparer le terrain d’une troisième Nakba.

Extraits de son texte

« La guerre à Gaza n’est plus une simple confrontation militaire menée à coups de bombes : elle est devenue un projet stratégique dont l’objectif profond est de vider Gaza de sa population, en imposant une nouvelle réalité démographique, sans déclaration officielle. Ce projet repose sur ce qu’on appelle les « outils doux du déplacement forcé ». Pas de déportation directe, pas d’ordre d’évacuation total, mais un étouffement lent, brutal, prolongé, qui pousse les gens à partir par eux-mêmes, en emportant les restes de leurs maisons et de leurs souvenirs, croyant – à tort – avoir fait ce choix librement.

Ce plan ne se met pas en œuvre en un jour. Il est préparé depuis des années, en s’appuyant sur une normalisation progressive : destruction systématique des infrastructures, interdiction de la reconstruction, restriction de la liberté de circulation, fermeture des points de passage, démantèlement des systèmes éducatifs et sanitaires, ciblage des terres agricoles, anéantissement des industries locales.

Puis vient l’étape la plus pernicieuse : les aides internationales deviennent conditionnées ; le discours international commence à intégrer la notion de « relocalisation volontaire » ; des discussions émergent sur l’accueil des réfugiés palestiniens dans d’autres pays, comme si cet exode planifié n’était qu’une réponse humanitaire temporaire à une tragédie passagère — et non un crime soigneusement orchestré.

Ainsi, on ne demande pas explicitement aux Palestiniens de partir ; on les pousse à croire que fuir est leur seule chance de survivre à la mort, à la faim, à la noyade sous une tente qui ne protège ni de la pluie ni des bombes. En parallèle, une nouvelle rhétorique est apparue dans le monde : celle du « transfert humanitaire temporaire ». Des voix politiques occidentales évoquent la nécessité de « trouver une solution pour les réfugiés » et « d’ouvrir des corridors humanitaires » – mais non pas à l’intérieur de Gaza, plutôt à l’extérieur. Des informations ont circulé – parfois fuitées, parfois assumées – sur des préparatifs pour créer des zones d’accueil dans le nord du Sinaï, accompagnés de propositions de facilités égypto-occidentales pour permettre à un nombre limité de Palestiniens de sortir, prétendument pour une « protection temporaire ».

Tout cela se déroule dans un silence international suspect, qui prépare le terrain à une troisième Nakba… sans déportation visible, mais par l’humiliation collective, la famine organisée, la paupérisation imposée. Les gens ne sont plus expulsés par les chars, mais par le désespoir. Quand un père ne trouve plus de médicament pour sa fille, ni de pain pour sa famille, ni d’eau potable à boire, il commence à penser : « Et si on partait ? Et si ce cauchemar prenait fin ailleurs ? » Le départ devient alors une idée tentante, même au prix de grands risques. C’est ainsi qu’est organisé le déplacement aujourd’hui : non par des soldats armés, mais par un monde qui pousse les gens au bord du gouffre… puis leur tend une corde qui ressemble au salut, mais les attache à l’exil éternel.

Ce qui se trame à Gaza n’est pas une réponse provisoire à une crise passagère, mais un projet d’élimination de long terme. Un projet auquel coopèrent la puissance militaire, la diplomatie internationale, l’abandon du monde arabe, l’épuisement des sociétés, et la trahison de l’humanité. Le déplacement de Gaza n’est pas un fantasme, c’est une réalité qui se construit, mot après mot, crise après crise, tente après tente.

Mais ce que les planificateurs ignorent, c’est que cette terre ne s’oublie pas. Et que son peuple, même s’il est contraint à l’exil, porte dans son cœur la carte du retour. Car la Palestine ne s’efface pas. Gaza ne disparaît pas. Et les peuples qui ont traversé les massacres ne sont pas vaincus par la peur. Ils se relèvent des cendres… et écrivent à nouveau leurs noms sur les murs, les champs, et sur les clés des maisons qui, dans leur mémoire, ne se sont jamais refermées.

Que le monde sache que Gaza, malgré ses blessures, continuera de battre, et que ses cris dérangeront encore les consciences vivantes, jusqu’au jour où la justice sera restaurée, où Israël sera tenue responsable de ses crimes, et où l’oppression prendra fin pour un peuple qui n’a jamais réclamé que son droit à vivre. »

Abu Amir le 17 Avril

 

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Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.