Au cœur de sa ville, de son histoire, l’élu communiste, maire, député, conseiller général publie un ouvrage où sa vie personnelle est inscrite dans les quartiers et le milieu maritime de Sète — l’« Île singulière ».


 

Il a franchi le pas : se faire écrivain, ce n’était pas une démarche naturelle pour François Liberti, orateur et adepte de la « tchatche », comme il aime à le rappeler. Mais comment dire des souvenirs, personnels mais partagés, des événements marquants, des convictions intimes et publiques, sans que l’écrit en grave le souvenir ?.. Ainsi sont sortis les vingt chapitres d’un ouvrage atypique, François Liberti, Au service de l’humain, où l’auteur a été accompagné pour la mise en forme par Caroline Constant, journaliste à L’Humanité.

 

Fil de lecture : pêche et passions…

Les origines familiales, la vie personnelle de François Liberti occupent la moitié du sujet et, comme pour la majorité des Sétois et des Méditerranéens, leurs origines d’immigrés ont forgé les individus et leur société. Son père, Casimir, joue un rôle essentiel dans ses choix : « La mer, ça me vient de ma famille, de mes racines. » Ce n’est pas dit explicitement mais au fil des anecdotes on découvre un témoignage ancré/encré dans l’identité sétoise ; « Île singulière », selon Paul Valéry.

À l’autobiographie aux styles très variés se mêle une image constante du monde de la mer et de l’étang, du travail décrit avec précision dans son quotidien, comme une passion menant au premier engagement au Parti Communiste, dès l’adolescence. C’est l’univers de la pêche, hauturière ou côtière, avec les filets, radasses1, palangres2, et les naissains3 de moules, oursins et autres récoltes à la main, à la drague4, à l’arseillère5. La poésie des mots et la réalité du quotidien, des 20 heures par jour, des « petits métiers », des grèves, une pensée qui se forge dans un milieu conservateur : « La solidarité des gens de mer, ça n’est pas une légende. » Les événements marquants décident de la prise de conscience politique et c’est tout le début du parcours d’un gamin, qui est encore élève de troisième au collège Victor Hugo quand il découvre son premier contrat de pêche.

 

… et les questions que pose le port à l’élu

Le récit évoque ensuite l’élection comme maire, le travail de député, conseiller général, les grands combats pour le bassin de Thau. Mais c’est viscéral, on retourne vers le port, on crapahute. « On est de Sète mais d’abord d’un quartier », explique l’auteur, organisateur de rencontres participatives, et soucieux de préserver les identités, en refusant la folie des projets immobiliers et touristiques, ou la « marina » imaginée au Quai d’Alger… La vie de l’auteur, ce sont d’abord les souvenirs familiaux autour des rues proches des quais et des manifs’, des commerces, des lieux mythiques comme La Pointe Courte6, des cauchemars quand des explosions ont changé la face du port, en 597, en 778. Mais aussi les « luttes sur le terrain », une désindustrialisation qui s’inscrit dans les entreprises, les métamorphoses de l’hôpital public, des combats communs et des désunions, des désillusions…

Parmi ces aventures qui méritent la lecture, celle de la péniche, « Paix-Niche », ce centre social associatif créé en 1990 à l’Île de Thau est un vrai symbole. Et dans toutes ces évocations, il y a une complicité, un partage avec Anita, l’épouse toujours présente, indispensable, notamment dans le chapitre « À deux voix », où les échanges sur le passé sont un passage émouvant. Il se prolonge dans l’évocation d’une vie commune inscrite dans les lieux, depuis le logement HLM jusqu’à la fabuleuse petite maison aux volets bleus, dans l’Île de Thau. Amour, passions, partages…

 

Fil d’actu’ : « meeting » autour de l’écrit

Jeudi dernier, à Sète, dans une Bourse du Travail comble, où beaucoup de monde a dû rester debout et où la file s’allongeait au moment des dédicaces, François Liberti a présenté son livre, sa vie, celle de Sète, son parcours « Au service de l’humain ». Marie-Pierre Vieu-Martin, directrice des éditions Arcane 17, s’est réjouie de la nombreuse assemblée, cette sorte de « meeting », et a rappelé qu’un livre est un « acte de résistance », qu’il structure une pensée en livrant « des petites bulles de liberté » dont on a besoin pour lutter contre le fascisme. À ses côtés Caroline Constant, qui a contribué à la conception du livre, a souligné l’importance de la Culture comme « outil politique », comme « colonne vertébrale ».

C’est parti pour une « tchatche », chère à François Liberti ! Il commence par des remerciements — ils sont aussi nombreux dans son livre —, nommant d’abord l’artiste sétois Hervé di Rosa, auteur de la préface de l’ouvrage, et évoquant le souvenir de son père, cheminot, chasseur, syndiqué, farouche opposant à la bétonisation du Lido. Il rappelle le logo et l’affiche de campagne dessinés en 1996 pour les municipales remportées par la Gauche, et surtout le long combat commun pour la création du MIAM, le Musée International d’Art Modeste, pour la reconnaissance de cet « art modeste », qualifié de « sous-culture » par la droite… C’est pour lui un emblématique « totem » et ce ne sont pas Combas, Topolino, Cosentino, etc. qui le contrediront !

 

Le droit du sol, le droit du port

Pour Liberti, ils sont tous l’identité de Sète, devenu le premier port méditerranéen, tous ceux nés d’ailleurs, comme son grand-père, immigré venu de Gaète [Italie, ndlr] : « Tous ces discours sur l’immigration responsable de bien des maux masquent les vraies raisons de l’exploitation des peuples. Cela touche à mes racines, un port est un lieu d’échanges entre les cultures, entre les savoir-faire. Sète est née du port, qui a fait la ville. » Son « exigence de paix » est née en 1960 lorsqu’à 13 ans il a vu partir les soldats pour l’Algérie, et vu revenir les cercueils…

Étape marquante de l’histoire de Sète et des 20 ans de François, le rassemblement de 1968 avec la CGT « La Coquille », a été une lutte particulièrement locale car il s’agissait de réorganiser la conchyliculture, les pêcheurs n’ayant pas de concessions. Ni le droit d’en exploiter. La coopérative des Cinq Ports (Sète, Frontignan, Bouzigues, Marseillan, Mèze) va en obtenir et en gérer 340. Liberti insiste sur cet exploit dont on trouve le récit au chapitre 4 de l’ouvrage, « Pêcheur, un métier, une passion, un engagement ». Une expérience unique en France, il s’en souvient.

À la Bourse du Travail, la rencontre avec ses futurs lecteurs permet à l’auteur d’avouer des « oublis » (il lui faudrait écrire un deuxième tome…), notamment l’installation des masets correspondant à ces exploitations conchylicoles, en particulier la construction de 40 mas par la mairie. Il pense aussi à l’édification du Lycée de la Mer, aujourd’hui premier de France, vu le nombre d’élèves. Une longue histoire de l’étang et du Barrou9.

 

Avant la présentation du livre, la file s’allonge pour les dédicaces. Crédit photo altermidi M. F.

 

Transmettre une flamme

Concernant sa vie d’élu, François Liberti revient sur des moments d’identité locale, et la salle l’applaudit à plusieurs reprises. Son élection comme maire en 1996 a été obtenue par « une gauche unie », un désir d’« innover en matière de démocratie locale ». En 97 il intègre, comme député, « un milieu hostile » à l’Assemblée, où sa voix rude et son accent du Sud doivent se faire apprécier, et il découvre que tout projet législatif n’a que 4 h pour se faire entendre… Il crée alors un comité consultatif de circonscription qui permet de participer, de créer des amendements. Cela étonne, c’est sétois…

François Liberti conclut par un « Passage de flambeau » et rappelle sa mobilisation toujours aussi active. S’il continue de coller des affiches, de distribuer des tracts, de vendre « L’Huma’ » le dimanche, il lutte aussi contre le deal de drogue, toutes les semaines depuis trois ans, dans le secteur de l’Île de Thau : « Il faut faire reculer la peur, et parvenir à une réhabilitation du quartier avec les gens, pas contre les habitants. » Il garde toujours « la furieuse envie d’être utile pour changer le monde ». C’est actuel, au quotidien, à Sète, c’est écrit, partagé, et « singulier ».

Michèle Fizaine

François Liberti, Au service de l’humain, éd. Arcane, 2025, 160 p. 17,15 €.

Prochaines rencontres en mars à Sète :
– le 05 à 18h30 à la Baraquette Citoyenne,
– le 12 au mas du Barrou,
– le 15 à la guinguette Thau’thèmes de la Zone Aquaculture,
– le 16 au Carafon de Manon…

Photo 1. Rencontre et dédicaces pour François Liberti, jeudi dernier, à la Bourse du Travail de Sète. Crédit altermidi M. F.

 

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Notes:

  1. La radasse était à l’origine un vieux filet de pêche accroché à un cadre qu’on laissait traîner au fond de la mer pour ramasser les oursins, cette méthode était dévastatrice pour les fonds marins, elle a rapidement été interdite.
  2. La palangre est constituée d’un corps de ligne, appelé ligne mère ou maîtresse, sur lequel sont fixés des hameçons par l’intermédiaire d’avançons. Un émerillon est en général placé entre l’hameçon et le corps de ligne. L’appât accroché à chaque hameçon est choisi en fonction de l’espèce recherchée.
  3. Juvéniles de différents mollusques, notamment d’espèces faisant l’objet de cultures marines.
  4. Filet de pêche en forme de poche et dont la partie inférieure racle le fond.
  5. Arseillère ou clovissière, sorte de râteau qui gratte les fonds marins.
  6. Quartier des pêcheurs au bord de l’étang de Thau, à l’écart du centre-ville.
  7. Grand incendie provoqué par la collision d’un pétrolier italien avec un pont-tournant et un yacht.
  8. Explosion du pétrolier Le Gunny.
  9. Le quartier du Barrou, mêlant tranquillité et paysages sublimes, est situé sur le rivage de l’étang de Thau.
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.