L’Agora de la danse à Montpellier est à la recherche de sa nouvelle direction. Cet établissement est annoncé comme un « Équipement d’Intérêt Chorégraphique Global », en tant qu’« outil unique en Europe ». À côté de quoi, les acteurs de cette discipline sur le territoire se regroupent pour écrire un « Cahier des Rêves en Mouvements ».
Alors ça, il fallait l’imaginer : aucun communiqué de presse n’a rendu publique la “short-list” des quatre candidatures qui pourront continuer de concourir à la direction de « l’Agora, cité internationale de la danse » à Montpellier. Comme prévu, cette liste a été établie fin janvier, après examen de neuf candidatures spontanées préalables. Si obstruction il y a, elle est due au fait qu’« un des collectifs ne veut pas que leurs noms soient rendus publics », selon les explications du service de presse de cet établissement.
En même temps que parfaitement ridicule, pareille situation est totalement inédite pour une consultation de ce type. Voilà qui ne fait rien pour alléger l’atmosphère qui entoure le renouvellement structurel de cet énorme établissement culturel montpelliérain. Dans un magnifique bâtiment historique — mais très clos, et rendu encore plus rébarbatif par la multiplication de grilles l’entourant de tous côtés —, 7 500 m2 y sont intégralement dédiés à la danse.
On y trouve huit studios de répétition, dont l’un, magnifique, peut accueillir du public. Également un théâtre de plein air de 600 places, une splendide cour intérieure étonnamment vidée de toute vie, une salle d’exposition, les bureaux de deux entités : le Festival international Montpellier Danse et le Centre chorégraphique national. Lequel abrite de surcroît une école expérimentale de formation de jeunes artistes. Pas de doute : cet équipement est « unique en Europe » et « Montpellier compte parmi les capitales mondiales de l’art chorégraphique ».
Ressassées à l’envi, ces formulations finissent par intimider, voire étouffer, plutôt que stimuler. Si bien qu’en juillet 2024, le directeur du Festival, Jean-Paul Montanari prenant sa retraite (à 77 ans !), et Michaël Delafosse, maire et président de la Métropole de Montpellier, claironnaient : « Il faut une rupture. Changez tout ! » Dès cet instant, on pouvait s’étonner qu’il n’aient pas eu l’idée qu’apparaisse à leurs côtés, ni sollicitée en cercle de discussion, la moindre figure d’un renouveau artistique, qui soit bien dans son temps.
Avec six millions d’euros de budget, et au terme de plus de quatre décennies d’une direction de festival crispée sur la gestion du pouvoir, le renouveau annoncé s’en tient à un toilettage de paramètres institutionnels : soit la fusion des deux entités (Centre chorégraphique d’une part, Festival d’autre part). Les deux ont, certes, des missions très distinctes, cadrées par des statuts tout aussi différents. Un festival émane de l’histoire singulière d’un territoire (ici l’épopée frêchienne) et les acteurs politiques locaux y restent tout-puissants. Cela tandis que les Centres chorégraphiques nationaux sont des fleurons de la grande politique culturelle pilotée par l’État, qui les contrôle.
![](https://altermidi.org/wp-content/plugins/phastpress/phast.php/c2VydmljZT1pbWFnZXMmc3JjPWh0dHBzJTNBJTJGJTJGYWx0ZXJtaWRpLm9yZyUyRndwLWNvbnRlbnQlMkZ1cGxvYWRzJTJGMjAyNSUyRjAyJTJGQWdvcmEtZGUtbGEtZGFuc2UuanBnJmNhY2hlTWFya2VyPTE3Mzg5MTM4MTYtMjA2ODczJnRva2VuPTJhNDc5YjBlYzcwYjc4Y2Q.q.jpg)
Mais il faut passer sa vie entre cabinets et directions institutionnels pour se laisser griser par les seules adaptations de paramètres statutaires et structurels, même expérimentales, qu’entraîne la fusion envisagée dans le cas montpelliérain. En-dehors de quoi, ce sont les dimensions artistique et citoyenne qui font réellement question. Ces dimensions ne peuvent s’ébranler que sur les terrains de l’audace, du désir, de la créativité, l’ouverture, l’hospitalité, le pétillement, la générosité, le frisson, l’épanouissement, la fantaisie, l’écoute, l’esprit critique, la légèreté et l’humour. Autant de tournures et qualités qui se sont faites rares depuis longtemps, entre les sèches pierres de la monumentale Agora montpelliéraine — qui porte mal son nom.
C’en est au point que le panel de candidatures à la nouvelle direction se révèle lui-même décevant. Dans la short-list, il faut compter avec un seul artiste de très fort impact international. C’est Hofesh Schechter, mais il est à la danse contemporaine ce que le rock métal est aux musiques actuelles. Le public montpelliérain s’en souvient comme d’un remplisseur de Zénith. Est-ce bien au niveau esthétique de la ville de Dominique Bagouet et Mathilde Monnier ? Ce chorégraphe se présente en tandem avec Dominique Hervieu à la direction générale : une caricature des vieux restes des années 80, trustant les postes à responsabilité (Chaillot à Paris, Maison de la Danse à Lyon, Olympiades de la culture 2024). Rien que du lourd. Du trop lourd ? Sur ce plan, rien qui tranche avec un Montanari, avec de la densité intellectuelle en moins.
La deuxième équipe est réputée favorite, au seul fait d’être apparemment soutenue par le maire Michaël Delafosse. Elle comprend en effet Nicolas Dubourg, directeur d’un sympathique théâtre de la ville, orchestrateur de la candidature de Montpellier comme capitale culturelle de l’Europe 2028. Candidature en échec, qui aura su mobiliser tous les réseaux d’influence, mais en rien éveiller un enthousiasme. Dubourg n’est pas spécialement connu pour une expertise passionnée en danse. Il s’accompagne de la chorégraphe Lénio Kaklea, caricature de l’entre-soi d’une non-danse essoufflée avant d’avoir explosé. Également Arkadi Zaïdes. Cet autre artiste a des exigences expérimentales et politiques indéniables, mais d’une sècheresse confidentielle.
Le troisième pool est réuni autour de la chorégraphe Nacera Belaza. Ses pièces sont des chefs d’œuvre d’élévation spirituelle et d’épure gestuelle. Un grand transport. Mais voici longtemps que le monde de la danse lui fait sentir qu’elle manque de cette souplesse d’échine nécessaire pour louvoyer entre politiciens, technocrates et journalistes, comme il convient dans ces postes. L’accompagne le directeur de l’Institut français de Casablanca, et l’ex-directeur du festival de Marseille, le Belge Jan Gossens, indiscutable entrepreneur de la danse par-delà les mers. D’où une indéniable visée décoloniale, signifiante au bord de la Méditerranée.
Même si cette liste est donc tenue secrète, on sait qu’elle se complète de la chorégraphe Annie Hanauer, qu’on a certes croisée comme interprète très convaincante pour Rachid Ouramdane. Elle est associée avec le directeur sortant du festival de Bolsano en Italie. Une paire qui semble bien discrète.
Au total, voici donc le paysage d’une compétition tiède, comme d’emblée assourdie par la lourdeur de la logique institutionnelle dont elle relève. C’est là qu’il faudrait chercher la source du manque d’enthousiasme à se saisir d’un établissement aux potentialités pourtant incroyablement riches. Quoiqu’on raconte aux Montpelliérains, s’il est vrai que leur ville pèse lourd dans une géopolitique internationale de la danse, on ne peut plus dire qu’elle y scintille comme le lieu de l’invention et de l’ouverture. Jusqu’au chorégraphe Christian Rizzo, qui vient, lui, de conclure sa mission de direction du Centre chorégraphique, après s’être échiné à décevoir son image d’agitateur radical de son art, qui le précédait pourtant au moment de sa nomination.
![](https://altermidi.org/wp-content/plugins/phastpress/phast.php/c2VydmljZT1pbWFnZXMmc3JjPWh0dHBzJTNBJTJGJTJGYWx0ZXJtaWRpLm9yZyUyRndwLWNvbnRlbnQlMkZ1cGxvYWRzJTJGMjAyNSUyRjAyJTJGcHJlc3NlLW5vaXItZXQtYmxhbmMuanBnJmNhY2hlTWFya2VyPTE3Mzg5MTQxMjEtMTQzODE5JnRva2VuPTA5YjViNWZiZjhkMzE1OTQ.q.jpg)
Montpellier, morne plaine ? Dans ce contexte, l’apparition du Collectif Régional des Artistes en Mouvement vient d’éveiller la curiosité. Ils ont été plus d’une soixantaine à signer un Manifeste du 13 janvier 2025. On y retrouve la plupart des chorégraphes indépendant.e.s de la ville et de la région (dont Mathilde Monnier). En conférence de presse, on les a perçu.e.s comme déjà ravi.e.s d’avoir su se réunir ainsi, « dans une perspective positive, hors situation de crise », pour plusieurs semaines de réflexion partagée.
Cette capacité à faire collectif depuis l’horizontalité du terrain, dans une totale pluralité de générations et de styles, suffit à rendre leur démarche remarquable. Certes ils disent avoir bien connu les effets du « fonctionnement pyramidal » qui prévalait jusqu’à ce jour. Mais ils jurent qu’ils ne sont pas là « pour évaluer l’histoire ». Et il n’y en a ni un ni une pour se sentir concerné.e personnellement par une prise de direction à l’Agora.
Mais alors, pourquoi donc se manifester ? Pour se prévaloir de la réalité et de la diversité des pratiques, afin de « contribuer à bâtir un art vivant et accessible ». Ils voient là matière à « établir un Cahier des Rêves en Mouvements ». Cette expression a déjà le mérite de réhabilité le rêve, autrement qu’un gros mot, quand on parle d’art vivant dans la cité. « Nous plaidons, en termes d’écologie et de gouvernance, pour une prise de responsabilité sociale, environnementale, et une horizontalité des échanges et dialogues », expliquent-ielles, tout en rêvant d’une Agora « tournée vers sa ville, sa région, et au-delà », en mettant en acte « une volonté d’ouverture, d’accessibilité, de flux, d’hospitalité, de signalétique ».
Dites avec une langue de velours, toutes ces intentions pourraient paraître modestes, à ne commencer que par le désir d’être simplement reconnu.e.s comme des partenaires d’un projet nouveau. Or voilà : par les temps effrayants de replis et réductions généralisés, tout ce qui fait ouverture se présente en levier d’espérances en action.
Gérard Mayen
Photo 1 . Le Collectif CRAEM Photo Audrey Anselmi