Le metteur en scène de théâtre et d’opéra Georges Lavaudant crée Le Misanthrope à Montpellier qui inaugure la saison de la Cité Européenne du théâtre, du 24 au 29 janvier au théâtre Jean-Claude Carrière. Rencontre.


 

Après le Printemps des Comédiens le Domaine d’Ô accueille un nouveau défi théâtral, dans un contexte précédemment peu réjouissant1, mais c’est un bonheur : le metteur en scène Georges Lavaudant est arrivé la semaine dernière pour préparer la création de la saison ! Quand on l’interroge sur ses programmes des années passées, il répond : « Tous ont leur couleur ! » Une bien belle palette au Printemps des Comédiens où il a multiplié les créations… « Montpellier est ma deuxième maison », ajoute-t-il, car il y a monté une quinzaine de spectacles, et il rappelle avec plaisir le travail accompli avec les étudiants de l’ENSAD. A partir de 2011, il a été fidèle partenaire du directeur Jean Varela, qui a succédé à Daniel Bedos au Printemps des Comédiens, et on se souvient du souffle de sa « Tempête », mais aussi auparavant de son opératique « Tristan und Isolde », dès 2006 à l’Opéra Berlioz.

 

Ce défi est un hommage aux acteurs

C’est « Le Misanthrope » de Molière qui l’amène. Un événement dans sa longue carrière, il nous le confirme : « Pour moi c’est tout nouveau. Je n’ai jamais abordé Molière, Corneille, Racine, Victor Hugo, aucun auteur classique, et encore moins en vers ! » Petite précision, tout de même : « Il y a une dizaine d’années, j’ai mis en scène une version du « Misanthrope » en catalan, à Barcelone, mais en prose… » La réécriture par Sergi Belbel était audacieuse, et « El Misantrop » avait fait un malheur au Teatre Nacional de Catalunya en 2011.

Quant au choix de redécouvrir cette pièce, c’est pour le metteur en scène une démarche personnelle : « Il y a toujours une double raison : on aime une pièce pour soi, mais surtout c’est une possibilité de rencontrer un acteur, des acteurs. C’est un hommage à l’acteur. Ainsi à Ariel Garcia Valdès dans « Richard III » ou à Patrick Pineau dans « Cyrano ». Georges Lavaudant met cette fois en lumière Eric Elmosnino, qui sera Alceste, et face à lui la Célimène de Mélodie Richard.

 

Tout ou rien, jusqu’au bout du désert

Dans la pièce de Molière le misanthrope Alceste n’est pas seul, et s’il est amoureux de Célimène, il est aimé d’Arsinoé et d’Eliante. Son ami Philinte est essentie, et les personnages sont sept à vivre une « philosophie du compromis » vouée à l’échec, comme le précise le metteur en scène : « Alceste, c’est oui ou non, tout ou rien, il incarne le jusqu’au boutisme. Mais bizarrement il va d’un extrême à l’autre : se battre avec tout le monde puis se retirer dans le désert. Une cyclothymie entre combat et fuite. C’est une espèce de Don Quichotte, dans un combat vain ». De quoi rire, et être ému.

Faut-il être sincère ? Tout dire à tout le monde ? Célimène incarne une totale liberté qui est un autre aspect de cette problématique, et de la contradiction entre morale et amour. « Une étrange séductrice…, avance Georges Lavaudant. Pour Alceste, c’est un challenge de la ramener à la raison. Elle est vivante, elle veut qu’il y ait un temps pour s’amuser, être léger. Elle a l’art, la grâce pour dire non. Ce n’est pas un pois chiche, et vraiment le contraire de la coquette – ce préjugé ! » Elle est d’autant plus libre qu’en tant que veuve elle n’est soumise à aucune autorité, ce qui est important à l’époque de Molière, et correspond à une image féminine actuelle dans la mise en scène : « C’est le contraire de la situation dans « L’Ecole des femmes » où Agnès dépend d’un tuteur, et à l’époque les parents sont des « pères » qui maintiennent l’autorité masculine ».

 

 

Georges Lavaudant – photo© David Ruano

 

 

Un nouveau Molière « sans colifichets »

Les répétitions ont commencé. Un défi pour tous les interprètes, notamment pour Eric Elmosnino et Mélodie Richard, ces deux vedettes qui vont redécouvrir le théâtre classique. « C’est toute une galerie, se réjouit Georges Lavaudant. Je suis entouré de gens formidables, de l’équipe de mes rêves, même pour un rôle de trois répliques ! Je vis une chance unique, grâce à Jean Varela ! » Et ce nouveau monde épuré réinvente Molière : « Pas de colifichets, on va à l’os, à la racine ! Il ne s’agit pas de divertir, on est dans une joute verbale, et sous l’autorité d’Alceste ».

Le verbe se fait clair… Le travail sur l’alexandrin est essentiel pour le metteur en scène qui explique : « Il y a le sens et la musique, une musicalité à suivre. Un chemin dangereux car il faut être le plus rigoureux possible. Ce cadre à respecter est une contrainte qui vous libère. C’est curieux et paradoxal, on le vit, on le ressent, comme un espace, un chant. Une belle aventure ! » Ils vivent Molière au quotidien, loin de Paris, et les rimes de l’alexandrin comme on respire.

Molière avait coutume de prendre la route, et cette création en coproduction va être donnée en mars à Châlons, puis à l’Athénée. Heureux, Georges Lavaudant annonce que sa pièce de Kafka créée en 2023, « Rapport pour une académie », sera reprise aussi à Bobigny et à Antibes. Il rappelle : « Ce sont deux spectacles nés ici ! ».

Michèle Fizaine

 

« Le Misanthrope » de Molière, mise en scène de Georges Lavaudant, avec Eric Elmosnino Alceste, Astrid Bas Arsinoé, Luc-Antoine Diquéro Clitandre, Anysia Mabe Éliante, François Marthouret Philinte, Aurélien Recoing Oronte, Mélodie Richard Célimène, Thomas Trigeaud Du Bois, Bernard Vergne Basque, Mathurin Voltz Acaste. Création. Les 24, 25, 28 et 29 janvier à 20 h et le 26 à 17 h, au Théâtre Jean-Claude Carrière, rue de la Carrierasse à Montpellier. Tarifs : 10 à 30 €. www.domainedo.fr

En tournée : les 1er et 2 mars 2025 : La Comète à Châlons-en-Champagne ; du 12 au 30 mars 2025 : Athénée -Théâtre Louis-Jouvet, Paris

Photo 1. Sous le regard de Lavaudant, Alceste (Eric Elmosnino) résiste à la séduction d’Arsinoé (Astrid Bas). Photo Nicolas Natarianni

 

Notes:

  1. Le rideau s’est levé au 1er janvier sur l’EPCC Cité Européenne du Théâtre et des Arts associés, qui remplace désormais l’ancien EPIC, et fusionne Domaine d’Ô et Printemps des Comédiens, pour équilibrer leurs finances suite à un désastreux déficit qui serait d’1 M€…
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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.