Mouvement contre la vie chère en Martinique : les dernières négociations débouchent sur un protocole d’accord rejeté par le RPPRAC. Le collectif martiniquais appelle la Guadeloupe à rejoindre le mouvement et à intensifier la mobilisation. La préfecture, qui a renforcé ses troupes,  impose un couvre-feu dans l’île jusqu’au 21 octobre.


 

 

Mise à jour du 17/10/2024

Au terme du dernier volet de négociations, un protocole d’accord contre la vie chère a été signé par entre la préfecture locale, la Collectivité territoriale de la Martinique, des parlementaires, des distributeurs (hypermarchés et supermarchés…), des grossistes, le Grand Port maritime, le transporteur CMA-CGM, des représentants du monde économique, l’Observatoire des prix, des marges et des revenus.

Ce document comporte notamment l’activation d’un octroi de mer à 0% sur 54 familles de produits et de la TVA à 0% sur 69 familles de produits.

Dans un communiqué, le préfet de Martinique, Jean-Christophe Bouvier, précise que cet accord entérine « une réduction de 20 % en moyenne des prix de vente actuellement pratiqués sur une liste de 54 familles de produits correspondant aux produits alimentaires les plus consommés en Martinique ».

Le RPPRAC rejette ce protocole qui ne porte pas sur la totalité des produits alimentaires. Au moment de la signature, le RPPRAC a quitté la salle en signe de protestation. Le collectif appelle la Guadeloupe et la Guyane à rejoindre le mouvement et à intensifier les blocages.
« Man ni an bel déception en tchè mwen . Je pensais que la souffrance du peuple était la priorité! Ayen pa a pasé. Ça veut dire que là, on maintient les blocages! Le combat c’est jusqu’à obtention, jusqu’à gain de cause , on va intensifier. On a vu la limite de nos élus on a vu la limite du pouvoir territorial, on demande à ce que le ministre se déplace , tant que le ministre ne se déplace pas, personne ne circule ! », a déclaré Rodrigue Petitot devant le parvis de la CTM.

Mercedes Platon, vice-présidente du RPPRAC en Guadeloupe, s’était déplacée en Martinique pour assister à la table ronde de mercredi dernier ; elle souligne la nécessité d’une mobilisation identique dans son île : « Nous nous préparons à rejoindre la lutte de manière efficace, bien élaborée et bien étudiée. »

L’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) s’est quant à elle réunie mardi 15 octobre 2024 pour sa conférence de rentrée. Le syndicat précise que la vie chère est un réel problème comme en Martinique et appelle les Guadeloupéens à se mobiliser massivement pour mettre en place la riposte.
Mais pour l’UGTG, la lutte se situe au-delà, la problématique touche la santé, l’eau, l’éducation, la qualité de l’air…  «  Nous n’allons pas nous battre que contre la vie chère, mais contre un réel système de « pwofitasyon 1 » qui est en place et qui est sciemment organisé. C’est pour ça que nous devons mettre en place une plateforme de revendications prenant en compte l’ensemble des problématiques que nous avons en Guadeloupe. C’est un problème politique. Il faut que nous nous mobilisions et que nous fassions face aux profitants, pour leur dire qu’on n’accepte pas la manière dont ils nous traitent, ce qu’ils nous réservent. », a déclaré Maïté Hubert M’Toumo, secrétaire générale de l’UGTG.

François-Noël Buffet, ministre des Outre-mer, en déplacement en Nouvelle-Calédonie, salue une « avancée très, très forte contre la vie chère en Martinique, avec un engagement budgétaire significatif » et déclare qu’il se déplacera en Martinique non pas sous la pression mais en temps voulu.

Alors que des tensions persistent en zone urbaines, l’annonce de cet accord, largement insuffisant pour les contestataires, risque de relancer le conflit qui devrait s’étendre à la Guadeloupe.

1. Système de « pwofitasyon » : exploitation outrancière, capitaliste, colonialiste et de monopoles, source d’inégalités.

 


Mise à jour du 15/10/2024

Après les violences de ces derniers jours, un calme relatif est revenu en Martinique et la mobilisation pacifique continue. Mardi matin des barrages ont été réinstallés dans plusieurs communes et des actions de protestations ponctuelles ont lieu pour interpeller la population et l’inviter à rejoindre le mouvement. Il s’agit de sensibiliser les travailleurs afin d’envoyer un signal fort au gouvernement, notamment au préfet « qui envoie la force plutôt que d’entendre le cri des travailleurs »,  souligne Rose-Adelaïde, secrétaire général adjoint de la santé, membre dirigeant de la CGTM.

Suite à l’envahissement de la piste de l’aéroport Aimé Césaire par des militants qui pensaient empêcher l’arrivée par avion d’unités de police le 10 octobre dernier, Bruno Pelage, dit Volkan – une des figures de la contestation, seul participant déféré au parquet -, a été condamné à sept mois de prison ferme sans maintien en détention : une décision politique, selon ses avocats.  Depuis le début des manifestations, 130 personnes ont été placées en garde à vue et 200 procédures judiciaires sont en cours.

La réunion de négociation qui devait se tenir ce mardi a été annulée « faute de proposition concrète et viable », indique Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de Martinique. La table ronde se tiendra mercredi 16 octobre, précise la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) dans un communiqué.

De nouvelles unités de CRS sont arrivées en renfort dans l’île lundi 14 octobre (source CL Presse) et le couvre-feu a été prolongé jusqu’au lundi 21 octobre. François Buffet, ministre des Outre-mer, dit vouloir se rendre en Martinique après la signature d’un accord.

 

 


Mise à jour du 13/10/2024

En Martinique, l’ampleur de la révolte qui se prolonge est inédite. Les problèmes majeurs de la population locale ne sont pas récents mais ont été ignorés, ils dépassent le problème de la pauvreté. Pour le sociologue André Lucrèce, cette situation est due à une érosion des valeurs fondamentales au sein de la société. « C’est aussi une crise générationnelle. Par exemple, 60 % des logements en HLM sont occupés par des mères célibataires, ce qui signifie une absence fréquente de figures paternelles, et qui conduit à une socialisation problématique. À cela s’ajoute l’exil de nos jeunes et, bien sûr, la pauvreté. Nous devons examiner ces facteurs dans un contexte social très grave. Il y a déjà eu des morts, et il pourrait y en avoir d’autres. Cela montre que nos valeurs fondamentales ne sont plus respectées », explique-t-il à RCI.

En outre, le non-lieu prononcé en janvier 2023 dans le procès du scandale sanitaire de la chlordécone est perçu comme une immense injustice. Pour rappel, le 24 avril dernier, la procureure générale de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau, a annoncé avoir demandé la confirmation de l’abandon des poursuites. L’appel sur l’ordonnance de non lieu sera examiné le 22 octobre prochain.

De plus, pour économiser 60 milliards d’euros le gouvernement compte récupérer un milliard de taxation supplémentaire en s’appuyant sur l’augmentation sans précédent de la taxe de la solidarité sur les billets d’avion.
Une mesure qui pénalisera les ultramarins et accentue la colère déjà bien présente.

Par ailleurs, les députés ultramarins, dont Béatrice Bellay, ont interpellé, dans le cadre des questions au gouvernement à l’Assemblée mercredi 9 octobre, François Noël Buffet, ministre des Outre-mer sur les problématiques sociales de l’île. Le ministre a répondu : « Le préfet est au travail, l’État est mobilisé pour apporter une réponse à la situation ponctuelle que connaît la Martinique. »

Dans un communiqué commun, L’ACCD’OM (Association des Communes et Collectivités D’Outre-Mer) et les associations des maires de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte réagissent et font part de leur inquiétude, de leur désaccord et de leurs préoccupations. Les instances se disent « prêtes à travailler de concert pour parvenir à des solutions durables et cohérentes avec les réalités ultramarines. »

L’Association des communes et collectivités d’outre-mer (ACCD’OM) précise au gouvernement dans son communiqué du 11 octobre : « Cette situation n’est ni ponctuelle, ni localisée en Martinique ; elle est généralisée à l’ensemble des 11 territoires d’outre-mer, et est non seulement en place de longue date, mais connaît également une aggravation permanente ».

En effet, les répercussions de cette crise pourraient être durables et les conséquences extrêmement graves comme en Nouvelle-Calédonie si des solutions autres que répressives ne sont pas apportées rapidement aux revendications légitimes de la population locale.

 


Mise à jour du 12/10/2024

Lors de la journée « Martinique île morte », des dizaines de barrages ont été érigés dans plusieurs communes. Malgré le couvre-feu instauré dès jeudi de 21h à 5h, l’île est toujours secouée par des affrontements avec les forces de l’ordre qui tentent de lever les barrages et de contenir les émeutes. Un bilan provisoire fait état de blessés du côte des manifestants et des gendarmes, de pillages, de bâtiments et locaux commerciaux incendiés dont celui de la brigade territoriale mobile du Carbet. Clarisse Taron, procureure de la République en Martinique, annonce une atteinte sur tout le territoire avec plus de 500 véhicules brulés dans la nuit de mercredi à jeudi, notamment un parc entier d’automobiles neuves et fait part de nombreuses interpellations.

La procureure indique le décès de trois personnes depuis le début des émeutes : « On a eu cette nuit deux motards, peut-être faisant partie des manifestants, tués dans un accident de la circulation alors qu’ils prenaient la rocade à contre-sens. Sans compter un autre meurtre », un homme de 20 ans tué par balle sur la commune du Robert dans la nuit de mercredi à jeudi près d’un magasin vandalisé. L’auteur du tir n’a pas été  identifié, le parquet écartant à ce stade l’implication des forces de sécurité.

Tables rondes : reprise des discussions

Dans un climat plutôt tendu, les acteurs économiques, politiques et le RPPRAC se sont rassemblés jeudi à la Collectivité territoriale de Martinique pour une nouvelle table ronde mais aucun protocole d’accord n’a pu être trouvé. Vendredi, les négociations ont repris pour tenter d’arriver à un consensus signé qui devrait réduire les écarts de prix avec l’Hexagone. Les discussions se sont prolongées tard dans la nuit, 24 points sur 26 ont été réglés, mais les négociations bloquent sur deux points cruciaux : la méthode de calcul du différentiel du prix entre l’Hexagone et la Martinique et le nombre de produits alimentaires concernés par la baisse de prix. Les membres du RPPRAC exigent que cette baisse s’applique à tout l’alimentaire alors que les représentants de la grande distribution prévoit une diminution de prix sur 54 familles de produits. Le RPPRAC déclare qu’il ne reculera pas et demande la venue du ministre chargé des Outre-mer. En l’attente, la mobilisation continue. Les pourparlers reprendront mardi 15 octobre.

En Martinique le taux de pauvreté approche les 27 %, contre 14,5 % dans l’Hexagone. Selon une étude de l’Insee publiée en 2023, les prix étaient, en 2022, 14 % plus élevés en Martinique qu’en France métropolitaine et pour la seule alimentation, le chiffre s’élève à 40 %. Le logement, la culture et les services de communication sont également largement plus élevés.

La préfecture de la Martinique a annoncé l’interdiction jusqu’à lundi des manifestations et des rassemblements.

Les 37 organisations politiques, syndicales et associatives à l’initiative de la journée de mobilisation générale, « Martinique île morte, contre la répression » et pour le « retrait immédiat de la CRS8 du sol martiniquais », annonce une mobilisation populaire et unitaire ce samedi, à partir de 8 h, depuis la maison des syndicats.


 

Le mouvement contre la vie chère, récurrent  dans les Antilles françaises, a été relancé début septembre par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC). Les protestataires exigent l’alignement sur l’Hexagone des prix des produits alimentaires, 40 % plus chers à la Martinique.  Le collectif est désormais composé d’associations, d’organisations syndicales — dont le Comité de Défense des Métiers et des Travailleurs (CDMT), la Confédération Générale du Travail de la Martinique (CGTM), l’ASsociation pour la SAUvegarde du PAtrimoine MARtiniquais (Assaupamar), le Mouvement International pour les Réparations (MIR), le Parti pour la libération de la Martinique (Palima), le Parti communiste pour l’indépendance et le socialisme (PKLS) et l’Union générale des travailleurs de la Martinique (UGTM) — et d’Insoumis de Martinique et fait part de revendications plus larges.

Les manifestations et blocages pour le pouvoir d’achat ont été le théâtre de tensions qui ont conduit la préfecture à imposer un couvre-feu nocturne dans certains quartiers de Fort-de-France et de la commune limitrophe du Lamentin.

Le déblocage du rond-point du Lamentin, mardi dernier, a donné lieu à une journée d’affrontements. Le collectif dénonce la réponse disproportionnée des forces de l’ordre ainsi que la présence de la CRS81.  En effet, cette unité s’est violemment illustrée lors des émeutes sanglantes de 1959, appelées « décembre noir » qui ont profondément marqué les mémoires. Le Conseil général de Martinique de l’époque avait décidé le 24 décembre, de retirer de l’île « tous les CRS et des éléments racistes indésirables ». Le retour de cette unité dans l’île, justifié par la présence d’armes à feu sur le territoire, est donc considérée comme une vraie provocation. Pour certains élus, dont la députée PS de la Martinique, Béatrice Bellay, cette décision ne fait qu’aggraver les tensions dans l’île où la situation est tendue mais pas insurrectionnelle.

Rodrigue Petitot, président du RPPRAC et leader du mouvement a été blessé lors des derniers affrontements. Dans un communiqué le RPPRAC dénonce « la répression policière coloniale de Martiniquais pacifistes »  et confirme : « … notre président Rodrigue Petitot, dit « le R », a été pourchassé et blessé à la main et à la jambe ». Deux militants ont été placés en garde à vue. La préfecture rapporte quant à elle depuis lundi 7 octobre, quinze policiers et gendarmes blessés et dix-huit personnes interpellées.

Aucune issue satisfaisante n’a été trouvée lors des quatre tables rondes organisées par les autorités depuis le début de la crise. La cinquième, qui devait se tenir lundi, a été repoussée à une date indéterminée.

Les syndicats estiment que les réponses de l’État aux problématiques légitimes des Martiniquais sont « opaques et inadaptées » : « On ne devrait pas revendiquer ou négocier pour pouvoir manger et s’habiller correctement, pour pouvoir circuler. Il faut qu’ils comprennent bien que la réponse n’est pas la répression. On ne peut pas parler d’État de droit alors que tous ces droits-là sont bafoués tous les jours », ont-ils déclaré au journal France Antilles.

Le collectif martiniquais appelle mercredi 9 octobre à une mobilisation générale « Martinique île morte ».

 

 

Photo. Martinique image d’archive

 

Communiqué des organisations signataires

Notes:

  1. Unité de maintien de l’ordre, rapidement mobilisable, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines et contre le trafic de stupéfiants.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.