380e Saint-Louis à Sète. Fin des surprises mardi dernier. Une grande fête, c’était pas de… refus !


 

Autant d’événements, autant d’images mémorables pour une Saint-Louis anniversaire. Si le spectacle « Légendaire » et ses fantastiques animaux nocturnes en ont mis plein les yeux, tout comme le feu d’artifice final, les tournois de boules carrés ou ovales, les roulements de barriques étaient des rendez-vous attendus tout autant que la traditionnelle arrivée des hautbois à la gare, l’incontournable défilé, la messe du dimanche ou la macaronade chez Boule.

Sur le Cadre Royal la foule était bien là, et les spectateurs nouvellement sétois découvraient ces combats propres aux joutes. Des vedettes consacrées pour des combats mythologiques qui impressionnent le monde entier, si l’on se souvient du grand reportage de la télé japonaise en 2015, ou du succès de l’affiche exposée l’an dernier à l’ambassade de Hô Chi Minh Ville (Saïgon), montrant l’affrontement entre Christophe Bancilhon et Loïc D’Elia en 2022.

 

Les héros et les « micros »

 

La Saint-Louis 2024 a eu pour vainqueur le palavasien Jérôme Barthod et Anthony Principato a été l’autre héros d’une finale qui a duré cinq passes. Cette année, les champions n’ont pas forcément été ceux attendus mais il y avait beaucoup à découvrir de l’art de jouter, avec Gina Ebri, Louka Chbily, Leo Causse, Ezio Gonzales, Fabien Rojas, Christophe Bancilhon. Sans oublier Mickaël Wolff, Olivier Rojas, et les belles passes de Noah Roux et d’autres adversaires.

 

La Valse des Barques, air traditionnel, ouvre toujours le tournoi – Photo Jouteurs Sète ici – Ville de Sète

 

Mais si l’on rêve d’une série qui s’intitulerait «  Un si grand tournoi » ou « Demain ou sinon rien » il faut d’abord suivre épisodes et commentaires des deux « micros » David Passeron et Pascal Nardone, ce tandem amical qui pour sa deuxième Saint-Louis se sentait moins stressé, « plus à l’aise » dans son travail de chef d’orchestre. « Il faut avoir les yeux partout, parler au jury, sortir deux ou trois galéjades, passer le relai aux deux peñas », précise David, et il ajoute : « Je me fais des fiches mémos, mais l’impro’ est importante, il ne faut pas avoir trop à dire. Aux revanches, je n’avais plus besoin de notes. C’était beau, humainement ».

 

Comment réussir le puzzle des tournois

 

Il chante. Pas question de reprendre pour le moment les airs emblématiques du regretté Christian Imparato, le « Rescatore », ou de Germinal Rausa, dit « Minal », auquel on rend hommage. Le choix est difficile, Sète a tout un répertoire de « Chansons de fierté » ainsi que de « Cançons d’ajustaires »*, mais tout le monde ne les connaît pas. « Les Marchés de Provence » restent un souvenir inoubliable, mais David a repris « Emmenez-moi » de Charles Aznavour et a ajouté du « jamais fait » : « Les lacs du Connemara ». « C’est Sardou ! Du pur français ! Je l’ai bien testé sous la douche ! Et je me suis dit ça va marcher. J’ai commencé… « Terre brulée… », je me suis arrêté : c’était parti ». On a chanté.

 

En avant partout ! les rameurs, une énergie essentielle – Photo Jouteurs Sète ici – Ville de Sète

 

« Tout s’emboite ! Comme un puzzle ! » C’est-à-dire : « le micro, le jury, les ramasseurs de pavois, les peñas, les patrons, les rameurs ». Ces derniers passent parfois huit heures sous le soleil, comme les hautbois tambours : « Je leur tire mon chapeau ». Effectivement, il faut voir les rames se ranger lorsque le dernier rameur dit : « À la longue », pour les ramener du côté droit quand les barques se croisent. Souvent le spectateur, fasciné par un jouteur héroïque, ne mesure pas les difficultés surmontées « pour que tout soit homogène ». Les barreurs, Rémy Minarro et Patrice Macone, doivent toujours tenir compte du courant, souvent assez fort dans le Cadre, et aussi du vent (pas de pluie cette année). « Très bonne ambiance, commente Francis Le Bail, président de la Coordination des Joutes Sétoises. On a été à la hauteur de l’événement ! »

Les passes refusées indignent aussi le spectateur qui n’a d’yeux que pour les combattants. Sur la barque les musiciens interrompent La Charge, jouent en toute ironie un air d’agrément… Mais les raisons peuvent être plurielles ! « Le poids est bon ! », entend-t-on dire aux commissaires, ce qui signifie que les planchers de la tintaine, où sont perchés les jouteurs sont à la même hauteur — un combattant plus haut placé serait défavorisé… Sébastien Fabre, président de la Ligue, reconnaît que les facteurs sont nombreux pour que les barques ne soient pas en position égale : question de présentation, de distance, poids des jouteurs assis sur la bigue sous le jouteur, gestion essentielle du « timonier-patron » à la barre : « On ne peut pas réduire cela à zéro ». Toutes les pièces du puzzle.

 

La magie d’une boite noire

 

Depuis quelques années un projet s’est peu à peu construit. L’idée était venue à un des rameurs de la Saint-Louis de chercher un moyen d’éviter que les refus n’allongent le tournoi jusqu’à dix heures, et l’idée a intéressé un professeur de l’IUT de Montpellier-Sète, Jean-François Averseng, ainsi qu’un groupe de ses étudiants en deuxième année de formation B.U.T. (Bachelor Universitaire de Technologie) Mesures Physiques. Il s’agit donc d’expérimenter un prototype, un système émetteur/récepteur, où les ultrasons permettent d’évaluer la hauteur des planchers pour pouvoir les réajuster plus précisément. Cette petite boite noire a été testée l’an dernier et tout récemment, et trois jeux sont en cours d’expérimentation. « Le but n’est pas de réduire à zéro les refus, explique Sébastien Fabre. Mais les commissaires reçoivent directement ces résultats. Cela répond à un besoin. En fait on y va, mais à reculons ! On n’est guère favorable à la technologie, mais on prête attention à la question pour améliorer cette situation, pour que certains qui refusent la passe ne le fassent plus. »

C’est une démarche intéressante pour jouteurs, rameurs, hautbois, jury. Tous concernés ! Pour conserver l’esprit de fête, pas de… refus chez les étudiants motivés qui partagent l’engagement bénévole de leur enseignant : « Ce n’est pas dans les mœurs des joutes. Mais toute la démarche ancestrale rencontre la modernité ! » La Saint-Louis réunit de façon unique tous ceux qui de près ou de loin contribuent au sacre des jouteurs : il suffit de feuilleter le répertoire musical* où rameurs, bateliers, Sètois, pêcheurs, ont tous leur chanson, car ils sont tous acteurs. C’est ainsi que la tradition se perpétue en se renouvelant.

Michèle Fizaine

Lire aussi : Patrimoine sétois : les joutes s’affichent pour la Saint-Louis 2024

*Toutes les traditions chansonnières dans « Sète en chansons » de Jean-Michel Lhubac et Marie-José Fages, OPCI-Eurotambfi-Domens, 2022.

Photo 1.  Belles passes : Noah Roux contre Jimmy Saez – Photo Jouteurs Sète ici – Ville de Sète

En direct et en replay

Sur TF1, un reportage très attendu sur la Saint-Louis, épisode de « 50 minutes Inside », est diffusé samedi 31 août à 17 h50. Le tournoi de la Saint-Louis est toujours visible en replay sur ViàOccitanie (durée 7 h 15).

L’aventure continue en live avec la suite des tournois de la Lance Sportive Sétoise ce week-end et avec le Championnat de France le 14 septembre, à 14 h 30, sur le Cadre Royal de Sète.

 

Le palavasien Jérôme Barthod vainqueur de la Saint-Louis 2024 – Photo Jouteurs Sète ici – Ville de Sète

 

Avatar photo
J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.