Le point de vue de Claude Mangin*, après la validation du plan du Maroc au Sahara occidental par Emmanuel Macron. Pour la défenseure des droits humains, épouse du prisonnier politique sahraoui Naâma Asfari, cette reconnaissance relèverait d’un marchandage autour du contrat de la LGV Tanger – Rabat vers Marrakech.


 

Tribune

 

« Merci aux amis algériens de m’avoir fourni hier, le 1er août, à ma demande, la lettre du Président Macron. Je me demandais si elle existait car seuls l’Algérie et le Maroc semblaient l’avoir vue. En effet, depuis le 30/07/2024 n’avaient été portés à notre connaissance par la presse que des extraits donnés par le ministre des Affaires étrangère Stéphane Séjourné. D’ailleurs, est-ce une affaire courante ?

Tous les commentaires des partis de la gauche française, suite à cette déclaration, sauf LFI dont les membres ont des avis différents sur la question, vont dans le sens du droit international et c’est heureux car, par exemple les Verts, tout en disant qu’ils défendent le droit international et en l’espèce le droit à l’autodétermination en général, n’avaient jamais, à ma connaissance, pris une position officielle quant à la question sahraouie. Le PS au pouvoir a toujours soutenu le Maroc comme tous les présidents français depuis 1975.

Giscard d’Estaing a envoyé les avions français en soutien à l’aviation marocaine pour bombarder les familles sahraouies en fuite lors de l’invasion marocaine. Cette déclaration du président Macron, comme très souvent les commentaires officiels, ceux de presque toute la presse, des “experts”, ou les déclarations présidentielles précédentes, ne parlent jamais des Sahraouis — ce sont pourtant eux qui sont empêchés de vivre depuis 50 ans après avoir été colonisés depuis 1884 par l’Espagne sous le nom de Rio de Oro. Que ce soit dans les campements de réfugiés de la RASD1, près de Tindouf dans le sud-ouest algérien, où ils survivent grâce à l’aide internationale en forte diminution, que ce soit dans la diaspora où la majeure partie des familles sahraouies n’a pas le droit d’aller au Sahara occidental, que ce soit au Sahara occidental colonisé qui, après avoir été un territoire militaire fermé jusqu’en 1982, est devenu depuis janvier 2014 un territoire fermé à tout témoin, est expulsée toute personne solidaire avec les militants sahraouis et les familles des prisonniers d’opinion sahraouis, et où la population en raison du déplacement illégal de la population marocaine ne représente plus que 20 % de la population, sans parler de l’enfermement illégal des prisonniers d’opinion condamnés à des peines allant jusqu’à la perpétuité.

Cette lettre est le reflet de la politique française profonde, celle qui privilégie les intérêts politiques et économiques de la France. Aujourd’hui c’est, entre autres, l’annonce de l’accord avec des entreprises françaises pour la réalisation de la construction de la suite de la LGV Tanger-Rabat vers Marrakech. Le chantage marocain, on se souvient de la permanence de celui à l’immigration, est la méthode habituelle du royaume pour obtenir ce qu’il veut. Ce même chantage a été, là aussi, utilisé en menaçant d’accorder le contrat à d’autres pays.

Autre exemple, la France fait partie des pays européens qui ont fait appel des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Il s’agissait de renouveler les accords de libre-échange Europe-Maroc de 2012 qui intégraient le Sahara occidental, territoire occupé par la force coloniale marocaine. La CJUE, qui a déjà acté que le Sahara occidental est « un territoire séparé et distinct » du royaume du Maroc, doit statuer définitivement en fin d’année 2024. À savoir que que les décisions de la CJUE sont applicables à tous les États européens.

Suite à cette décision qui fait peu de doutes et va faire beaucoup de mal à l’économie marocaine, car le Maroc va devoir rembourser des sommes colossales pour les produits marocains qui ont été importés à des tarifs préférentiels qui ne s’appliquent pas aux produits sahraouis, les nombreuses entreprises françaises et celles des autres pays vont devoir répondre devant la justice du pillage qu’ils ont effectué depuis des années en contradiction du droit international qui interdit toute exploitation des ressources naturelles d’un territoire non autonome en voie de décolonisation sous l’égide de l’ONU depuis les années 1960. La France et son président actuel, membre du Conseil de sécurité n’en a cure, de même qu’il ignore l’article n°2 qui spécifie que les droits de l’Homme doivent être respectés par les pays qui signent des accords de libre-échange.

Enfin, quand on signe des accords, c’est habituellement le donnant-donnant qui s’applique. Ainsi, le président du pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préambule de la Constitution, aurait dû profiter de cette occasion pour réaliser ce qu’aucun autre président français ni aucun membre du Conseil de sécurité n’a jamais fait appliquer depuis la signature du cessez-le-feu signé en 1991 entre le Maroc et le Polisario. En particulier, ces dernières années, aucune obligation n’a été exigée du Maroc par ses pairs pour donner suite aux condamnations du Maroc — à partir de 2016, le Comité contre la torture (CAT) a condamné le Maroc pour fait de tortures sur plusieurs prisonniers politiques sahraouis et demandait au Maroc de diligenter une enquête sur les bourreaux. Ni pour faire appliquer les Avis du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) de l’ONU à Genève.

Ainsi, en novembre 2023, le « Groupe de travail sur la détention arbitraire » a publié un avis déclarant que les 18 membres du groupe dit de Gdeim Izik, condamnés après deux procès illégaux à Rabat en 2013 et en 2017, sont en détention arbitraire et que leur libération doit être immédiatement appliquée par le Maroc. Ce même royaume qui, pour cette année 2024, a été élu à la présidence du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU dont la mission est de faire appliquer le droit international par ses pairs.

Et que dire du jeu perpétuel qui consiste à jouer sur les émotions en soufflant alternativement le chaud et le froid sur le Maroc et sur l’Algérie. Là encore, les peuples marocains et algériens méritent plus de considération de la part du président français. »

Claude Mangin, le 2 août 2024

 

Lire aussi : Un entretien avec Claude Mangin

 

NOTE
* À partir de 2016, Claude Mangin est interdite de séjour au Maroc. D’après le Tribunal administratif de Rabat devant lequel elle a fait un recours après sa 5e expulsion en juillet 2019, elle est « un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de l’État marocain ».

Elle n’a pu rendre visite à son mari qu’une seule fois en 8 ans, en janvier 2019, sur intervention de la France, suite à 30 jours de grève de la faim effectuée en avril-mai 2018 à la Mairie d’Ivry sur Seine, après sa 4e expulsion du royaume. Depuis lors, elle n’a pas essayé d’y retourner n’étant pas soutenue par son gouvernement malgré le droit des familles.

En juillet 2021, le Consortium de journalistes « Forbidden stories » et Amnesty International dévoilait l’espionnage de l’I-Phone de Claude Mangin par le logiciel espion « Pegasus » de l’entreprise israélienne NSO acheté par le Maroc, ainsi que celui de centaines de personnes dont le président Macron et 11 de ses ministres. 120 connexions sur 9 mois entre le 8 octobre 2020 et le 5 juillet 2021 ont permis au Maroc de tout connaitre de sa vie privée, d’entraver sa vie militante et de harceler encore plus les militants sahraouis dans les territoires occupés du Sahara occidental. Une plainte a été déposée et le téléphone examiné par l’Agence nationale de surveillance des systèmes (ANSSI).

 

Voir aussi : Macron valide le plan du Maroc au Sahara occidental Histoire du Sahara occidental.

Notes:

  1. RASD : République arabe sahraouie démocratique.
Avatar photo
Compte contributeurs. Ce compte partagé est destiné à l'ensemble des contributeurs occasionnels et non réccurents d'altermidi. Au delà d'un certain nombre de publications ou contributions, un compte personnalisé pourra être créé pour le rédacteur à l'initiative de la rédaction. A cette occasion, nous adressons un grand merci à l'ensemble des contributeurs occasionnels qui nous aident à faire vivre le projet altermidi. Toutefois, les contenus des contributions publiées par altermidi n'engagent pas la rédaction.