Allez y vite, il ne reste que quelques jours pour aller voir l’exposition d’hiver du MO.CO. Le musée accueille jusqu’au 26 janvier l’artiste américaine d’origine pakistanaise Huma Bhabha pour sa première exposition en France. Une découverte en 60 œuvres couvrant un parcours hybride sur trois décennie. L’entrée est gratuite et le voyage vaut le détour1


 

Huma Bhabha. Photo altermidi

Les expositions monographiques sont en règle générale celles qui attirent le plus de visiteurs mais elles supposent de faire des vrais choix et comportent par là même une dimension du risque devenue assez rare dans les propositions des acteurs culturels de Montpellier et alentours. Le MO.CO se risque ainsi à accueillir  une artiste talentueuse tout à fait ordinaire. « Il se trouve que je viens d’un endroit différent. J’aimerais bien appartenir à une vraie tribu, mais non, je suis une bâtarde », confiait-elle il y a peu à la revue Art Basel. Huma Bhabha a été remarquée en 2018 avec son œuvre We Come in Peace lorsqu’elle a été chargée de réaliser une commande monumentale pour le toit-jardin du Metropolitan Museum of Art de New York, et puis sa notoriété a grandi. Elle est aujourd’hui reconnue pour ses sculptures qui utilisent des matériaux trouvés et des rebuts de la vie quotidienne recyclés, mais elle n’avait jamais exposé en France.

En la croisant à Montpellier on apprécie sa simplicité et sa modestie, un trait de caractère — pas si courant chez les artistes contemporains — que l’on retrouve dans son travail. Le titre de son exposition au MO.CO « Une mouche est apparue, et a disparu » (A fly appeared, and disappeared) vient d’un poème de l’astronome et poète persan Omar Khayyam, une autre référence récurrente pour l’artiste :

Il y avait une goutte d’eau, elle a rejoint la mer,
Un grain de poussière, il a fusionné avec la terre ;
Qu’en est-il de votre entrée et de votre sortie de ce monde ?
Une mouche est apparue, et a disparu.

Le Centaure Photo altermidi

La salle d’accès révèle avec Le centaure une des premières œuvres de l’artiste, le signe d’une recherche qui amasse les traces de l’histoire humaine pour en restituer le souffle dans un hyper présent. Ici l’alliance antique des formes de l’humain et de celles du cheval est transcrite a travers un anorak à capuche habillant une chaise en bois. La simplicité du tissu synthétique fragile mais néanmoins présent, comme un esprit épouse l’armature solide de la chaise. À première vue ce pourrait être le résultat d’un linge que l’on a disposé pour le faire sécher, mais si l’on s’attarde un instant on perçoit une installation totémique étrange d’une force puissante, dirait Burroughs.

À propos de cette pièce l’artiste évoque « l’équilibre entre le hasard et ce qui est pensé comme fini. »

Photo altermidi

Les sujets que l’on rencontre dans cette exposition sont emprunts de cette même force brutale d’une énergie archaïque synthétisée dans un présent. Les ciseaux à bois de la sculptrice Huma Bhabha nous invitent à rompre avec notre quotidien pour suivre les aventures de ces êtres étranges à la forme puissante. A fly appeared, and disappeared rassemble plus de 50 œuvres, dont des sculptures en liège et en styromousse, des bronzes, des dessins, des gravures, des encres sur tirages chromogènes et des céramiques, le tout couvrant plus de 20 années de production. On suit le parcours en naviguant vers des terres inconnues dont les contours ne nous apparaissent pas très clairement, mais que nous rangeons tout de même dans la catégorie des grands mythes, de l’énergie archaïque aux raffinements de la décomposition. On avance sans savoir comme si une grande curiosité nous tirait par la main vers un lieu sans mensonge. Un parfum de restitution flotte dans les salles. Serait-ce lié à l’ancien métier d’Huma Bhabha qui a été un temps taxidermiste ? S’inscrivant dans une lente radiographie de la stupeur, ses œuvres agissent comme une mémoire qui nous serait commune.

Jean-Marie Dinh

 

 

Le MO.CO 13 rue de la République 34000 Montpellier +33 (0)4 99 58 28 00

Notes:

  1. Depuis le 12 décembre, le MO.CO. a décidé de rendre accessible gratuitement l’exposition Huma Bhabha, « en hommage à Vincent Honoré, directeur des expositions du MO.CO. et commissaire de l’exposition Huma Bhabha, disparu le 29 novembre 2023. »
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.