Après l’hommage rendu à Sète1, La Chapelle de la Miséricorde à Montpellier accueille l’installation Mémoire du merveilleux de l’artiste écrivain et poète Jean-Luc Parant, dans le cadre d’une coproduction avec la galerie AL/MA. Une belle occasion de découvrir l’un des artistes français les plus singuliers, disparu en 2022.
Au cœur de Montpellier, la Chapelle de la Miséricorde offre un cadre aussi incongru que propice à l’invitation méditative autour de nos origines animales. Un amas de boules en cire à cacheter et filasse s’amoncellent sur le sol comme après un glissement de terrain. Des animaux naturalisés, mammifères, poissons, reptiles et coquillages sont enchâssés dans les boules, certains comme les crocodiles et les oiseaux semblent vouloir s’en dégager. Un éléphanteau aussi intrigué qu’intriguant apparaît libre de ses mouvements dans cette vision vertigineuse du monde. Les différentes espèces qui peuplent l’espace symbolisent l’air, l’eau et la terre, trois éléments constamment convoqués dans l’œuvre de l’artiste comme une synthèse du vivant.
Les espèces sont-elles éternelles et immuables comme le pensait Aristote ? Que renferment les boules de Jean-Luc Parents ? S’il touche à l’antériorité, le champ d’investigation de l’artiste se constitue partiellement de son histoire personnelle. Il a logé dans les boules des choses invisibles comme des vêtements de sa femme et de ses enfants. L’artiste s’est-il glissé à l’intérieur d’une d’elles depuis sa disparition en 2022… Sans doute pas sous la figure humaine qu’il avait exclue de son univers.
En se rapprochant on discerne une multitude de trous dans les boules qui sont comptés et chiffrés en romain. À partir de ces traces débusquées, on remonte le temps du langage. La somme des trous correspond au nombre de mots du texte écrit par le poète pour chaque boule.
« On ne devrait prendre la parole que pour dire ce que personne n’a jamais dit, et on ne devrait ouvrir les yeux que pour voir ce que personne n’a jamais vu, afin de pouvoir garder intact l’espace où tout s’entend et où tout se voit, garder intactes la parole et la vue qui ne laisse aucune trace. » Ainsi s’exprimait Jean-Luc Parant à propos de son travail présentée à Sète en 2015/2016 au Musée Paul Valéry.
Jean-Luc Parant était un homme simple, un poète obsédé par son humaine condition. « J’écris des textes sur les yeux pour pouvoir entrer dans mes yeux et aller là où mon corps, ne va pas, où je ne suis jamais allé avec lui, où je ne me rappelle pas avoir été touchable. Pour aller là sur la page, dans ma tête, dans l’espace. »
Pour faire ses boules, l’artiste avait élaboré une méthode de travail : main droite, yeux fermés, main droite, yeux ouverts, main gauche, yeux fermés, main gauche, yeux ouverts… « Je fais des boules pour pouvoir entrer dans mes mains et aller là où mes yeux ne vont pas, où je ne suis jamais allé avec eux, où je ne me rappelle pas avoir été visible. Pour aller là dans la matière, dans mon corps sur la terre (…) Dans l’idéal j’aurais aimé que tout soit noir. Je suis un impressionniste de la nuit. »
On peut appréhender l’installation Mémoire du merveilleux comme l’exploration d’un morceau d’histoire. Cette invocation du vivant sortie du néant rejoint intuitivement l’abîme inconditionné de la grande nuit. Artiste inclassable, Parant marque un passage entre représentation des choses et représentation de mots. Entre le texte et la matière, le visible et l’invisible, une aire transitionnelle de l’existence surgit du boyau de ses boules pour interroger les origines.
Jean-Marie Dinh
Jean-Luc Parant Mémoire du merveilleux Chapelle de la Miséricorde jusqu’au 17 septembre 2023. Entrée libre.
Jean-Luc Parant est né le 10 avril 1944 en Tunisie, à Megrine. Son travail a notamment été montré au Centre Georges-Pompidou (1990), puis au musée d’Art contemporain de Lyon en 1995, 2004 et 2016, mais aussi en 2000 au Palais des Papes à Avignon pour La Beauté in Fabula, au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (2006) ainsi qu’à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence (1976 et 2008) et au musée Paul Valéry à Sète.
L’œuvre Mémoire du Merveilleux est prêtée par la galerie Pierre-Alain Challier, institution parisienne qui l’avait présentée pour la première fois en 2012.