Un sacré pari de questions et de réflexions que nous propose l’essai d’Houria Bouteldja dans une période où ça flambe et où tous les signaux sont au rouge, où la fissure, voire la fracture, ne cesse de s’agrandir entre les villes et les quartiers périphériques appelés quartiers populaires !


 

Entre les mouvements citoyens organisés ou pas dans la gauche radicale contre les violences policières et celles et ceux à qui on dénie une reconnaissance de leur révolte contre les conditions sociales et de vie qui leur sont faites, en les stigmatisant comme é-meutier.ière.s… des meutes ?

Entre celles et ceux, même prolétaires mais toujours du bon côté du manche, et celles et ceux également prolétaires mais victimes d’un racisme structurel d’État au quotidien qui ne se cache plus.

Un espoir de recréer du collectif, un nous, qui se battrait pour un autre monde est-il encore possible ? Sans pour autant verser dans la fascination d’une pensée dissidente qui pourrait représenter une réponse à elle seule.

Voilà à gros traits l’enjeu de ce petit livre qui rejoint par sa façon de penser et de problématiser les questions un écrit de Fernand Deligny1 dans son trajet avec les autistes en Cévennes :

« Un radeau, vous savez comment c’est fait : il y a des troncs de bois reliés entre eux de manière assez lâches, si bien que lorsque s’abattent les montagnes d’eau, l’eau passe à travers les troncs écartés.C’est par là qu’un radeau n’est pas un esquif. Autrement dit :nous ne retenons pas les questions. Quand les questions s’abattent, nous ne serrons pas les rangs — nous ne joignons pas les troncs — pour constituer une plateforme concertée. Bien au contraire. Nous ne maintenons que ce qui du projet nous relie. Vous voyez par là l’importance primordiale des liens et du mode d’attache, et de la distance même que les troncs peuvent prendre entre eux. Il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu’il ne lâche pas. »

Houria Bouteldja est une militante politique décoloniale, c’est-à-dire anti-raciste engagée contre l’islamophobie et le néo-colonialisme. Elle cofonde en 2005 le Parti des Indigènes de la République : mouvement de dénonciation du passé colonial de la France et de lutte contre les discriminations dont sont victimes les habitant.e.s racisé.e.s des quartiers populaires. En 2016 sort son premier livre également aux éditions de la Fabrique Les blancs, les juifs et nous : vers une politique de l’amour révolutionnaire. La réception de ce premier livre a été beaucoup plus polémique que celle de son deuxième livre dont il est question ici.

Houria Bouteldja a non seulement présenté son livre lors de rencontres publiques dans certaines villes de France et de Suisse ( Paris/ Marseille/ Lausane…) mais a également participé à de nombreuses émission sur le site Parole d’honneur où elle était face à différent.e.s contradicteurs. trices avec des débats qui ont enrichi les réflexions proposées. C’est un enjeu politique d’importance suite aux révoltes pour Nahel et face au projet de loi pour « contrôler » l’immigration qui sera présenté à la rentrée parlementaire.

Le petit livre vert d’Houria Bouteldja, s’agence en deux parties : La première plus historique décrit « l’État racial intégral » en s’appuyant sur une analyse marxiste et gramscienne de sa construction structurelle, abordant le rapport de race, le rapport de classe et le rapport de genre. « Ainsi on ne trouvera dans les lignes qui suivent aucune trace de primat de la race sur la classe (ou sur le genre). On pourra même affirmer sans ambiguïté que la race est une modalité de la classe (et du genre) comme on pourra dire que la classe est une modalité de la race (et du genre). Il s’ensuit que la lutte des races est une modalité de la lutte des classes… » et réciproquement ! Sont abordés également les participations de la société politique et de la société civile à cette construction de l’État racial, notamment avec l’histoire du Parti Communiste et de la CGT — leur arrimage à l’État racial — puisque le sujet abordé est bien celui de l’unité possible des classes populaires, du prolétariat.  «  L’ennemi serait-il dans notre propre pays ? »

Le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » accouché de la Révolution française ne serait-il pas souvent qu’un supplément d’âme, tout au plus, dans les rapports de force capitalistes et impérialistes auxquels est soumis la société civile dans un terrain miné d’affects y compris coloniaux… La bonne volonté ne suffit pas pour lutter contre le racisme qui est co-produit, il faut politiser cette question pour la déjouer ; comment rompre le pacte racial ? Une place est faite associant une fine description et une analyse de l’adhésion des classes populaires aux convictions racistes, homophobes et sexistes entretenues par les thèses de l’extrême droite. « L’existence de l’état racial intégral est indissociable de l’histoire de l’esclavage, de la colonisation et de l’impérialisme occidental. » Donc il ne nous reste plus qu’à lutter en tenant compte de cette conflictualité spécifique et des brèches possibles à creuser, développer… « C’est un pari, un pari pas gagné d’avance mais aucun pari n’est gagné d’avance. »

À partir de là s’enclenche la deuxième partie plus offensive et plus politiquement joyeuse : L’amour révolutionnaire ou l’optimisme de la volonté. Le mouvement et l’histoire des Gilets Jaunes leur a appris à se coltiner, finalement elles et eux aussi, la réalité quotidienne des violences policières vécue dans les quartiers depuis tant d’années. « Les gilets jaunes qui demandent aux noirs et aux arabes de venir les aider c’est la meilleure vanne de 2018… il est là le malheur… il est là le nœud… il est là le pari ! » «  L’antiracisme officiel et l’instrumentalisation du Front National ont été les deux faces d’une même politique d’État, consciente et résolue. » Il est aussi question du phénomène Soral2, du vote Jean-Luc Mélanchon, tout est abordé sans concessions y compris la nécessité maintenant de se salir les mains si on veut arriver à changer le cours des choses.  « Consentir à l’impureté » «  Qui est déraciné déracine. Qui est enraciné ne déracine pas » S.Weil

Un texte dissident, toujours sur le fil du rasoir, qui essaie de tenir tous les bouts des contradictions et conflictualités sur le terrain sans jamais céder à une quelconque forme de complaisance.


Houria Bouteldja, Beaufs et Barbares : le pari du nous, 2023, éditions La Fabrique, 263 p, 13 €.


Notes:

  1. Fernand Deligny est un éducateur, écrivain et réalisateur français, une des références majeures de l’éducation spécialisée.
  2. L’essayiste, comédien, réalisateur, idéologue d’extrême droite, chef d’entreprise et vidéaste web franco-suisse défend des idées antisémites, négationnistes, conspirationnistes, sexistes, masculinistes et homophobes. Il devient progressivement un idéologue d’extrême droite, oscillant entre un antisémitisme traditionnel et le nouvel antisémitisme, en compagnonnage avec Dieudonné. Depuis 2008, Alain Soral est régulièrement condamné, notamment à une peine de prison ferme en 2019, pour « diffamation », « injures raciales ou antisémitisme », « incitation à la haine raciale », « provocation à la haine, la discrimination ou la violence », « apologie de crime de guerre et contre l’humanité », « négationnisme » par la justice française, mais il vit en Suisse.
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.